Allemagne en campagne, France en crise : l'hibernation de l'UE se prolonge jusqu'à mi-2025
Bonjour! Je suis David Carretta et avec Christian Spillmann et Idafe Martín nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
N'oubliez pas de soutenir la Matinale en souscrivant à un abonnement payant.
Allemagne en campagne, France en crise : l'hibernation de l'UE se prolonge jusqu'à mi-2025
Si l'Union européenne fonctionnait avec des messages convenus publiés par les responsables des réseaux sociaux de ses dirigeants, tout irait pour le mieux. "Cela marque le début d'un partenariat solide pour l'Europe. Les défis qui nous attendent ne seront pas une promenade de santé, mais ensemble, nous pouvons les surmonter", ont écrit à l'unisson Ursula von der Leyen, Antonio Costa et Roberta Metsola dans trois messages accompagnés de leurs images tandis qu'ils marchaient dans le parc Leopold, où se trouve le Parlement européen.
Les présidents de la Commission, du Conseil européen et du Parlement européen ont tenu leur première réunion conjointe depuis l'entrée en fonction des nouvelles institutions. Le signal est celui de l'unité et de l'harmonie, après cinq ans de tensions, en particulier entre von der Leyen et Charles Michel, le prédécesseur de Costa. "Les Européens s'attendent à des résultats : de bons emplois, un climat sain et une défense plus forte. Unis, nous produirons des résultats", ont écrit les trois. Mais l'UE est quelque chose de plus que la communication sur X.
En réalité, le grand sommeil de l'Union européenne, entamé il y a un an avec la campagne pour les élections européennes du 9 juin et prolongé jusqu'au 1er décembre avec le processus de nomination et de confirmation des nouvelles institutions, pourrait durer encore longtemps. "Jusqu'en mai-juin 2025", nous a dit un diplomate d'un État membre. L'Allemagne est en campagne électorale et votera le 13 février de l'année prochaine. "Tant qu'il n'y aura pas un nouveau gouvernement à Berlin, et ce processus pourrait prendre quelques mois, il ne se passera pas grand-chose à Bruxelles", explique le diplomate.
"Je ne m'attends pas à ce qu'il y ait d'initiatives sérieuses avant l'arrivée de Friedrich Merz à la chancellerie", nous a confirmé un fonctionnaire de l'UE. Dans les couloirs des institutions communautaires, la victoire du leader de l'Union Cdu-Csu est considérée comme acquise. "La question est de savoir s'il devra gouverner avec le SPD, avec Les Verts ou avec les Libéraux. Pour les politiques de l'UE, le type de coalition que Merz formera pourrait s'avérer décisif", a expliqué le fonctionnaire.
Dans le même temps, la France a ressuscité la crise politique à la suite de la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale et d'aller à des élections anticipées. Le Premier ministre, Michel Barnier, a annoncé hier l'utilisation de l'article 49,3 de la Constitution pour contourner le Parlement sur la loi de finances de 2025. La France Insoumise, le mouvement de la gauche radicale anti-européenne a annoncé qu'elle présenterait une motion de censure contre le gouvernement et compte sur le soutien de ses alliés socialistes, écologistes et communistes du Nouveau Front Populaire (NFP) .
La dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, après avoir pris Barnier en otage en le faisant chanter sur plusieurs choix politiques, a déclaré qu'elle était prête à le faire tomber. La France est face à son moment de vérité. S'il n'y a pas un nombre suffisant de députés prêts à renier leurs partis par sens des responsabilités, le gouvernement Barnier tombera juste trois mois après sa formation. Ce serait le deuxième cas de censure dans l'histoire de la Cinquième République. "Je suis très inquiet", nous a confié un deuxième fonctionnaire de l'UE face aux nouvelles sur le sort de Barnier.
L'Allemagne est en campagne électorale jusqu'au 23 février. La France est embourbée dans une crise politique qui ne pourra pas être surmontée avant la fin juin, lorsque Emmanuel Macron pourra convoquer de nouvelles élections dont l'issue est incertaine. Cette situation paralyse de facto l'UE à un moment crucial. Donald Trump revient à la Maison Blanche le 20 janvier et menace déjà l’UE d’une guerre commerciale et de se désengager de l’aide fournie à l’Ukraine pour se défendre dans la guerre lancée par la Russie.
Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, qui prendra la présidence tournante du Conseil de l'UE le 1er janvier, tente de mettre en place une "coalition des volontaires" pour soutenir Kyiv et renforcer la défense de l'UE. Mais lui aussi est confronté à une échéance électorale. Les Polonais voteront en mai pour élire leur nouveau président. Si le candidat du PiS, Karol Nawrocki, l'emporte sur celui de la Plateforme civique, Rafał Trzaskowski, Tusk se retrouvera les mains liées par le veto et les pouvoirs présidentiels.
Ursula von der Leyen a fait de nombreuses promesses pour ses 100 premiers jours. La priorité sera une "boussole" pour la compétitivité afin de tracer la voie pour la relance économique de l'UE. Un livre blanc sur la défense sera présenté. Et une "vision" sur l'avenir de la politique européenne sera publiée. La présidente de la Commission a également déclaré qu'elle prendra personnellement en charge la crise de l'industrie automobile avec le lancement d'un "dialogue stratégique" sur l'avenir du secteur.
"Boussole”, "livre blanc", "vision", "dialogue stratégique" : ce sont toutes des expressions qui, dans le jargon de l'UE, désignent des documents contenant des idées, des lignes directrices, des options et des possibilités à explorer et à suivre. Mais, sauf dans quelques domaines limités, comme l'immigration, on ne s'attend pas à des paquets législatifs bouleversants. "Jusqu'à la formation du nouveau gouvernement en Allemagne", prédit le diplomate. Le big bang politique de la nouvelle législature commencera à mi-2025.
La citation
""Kellogg vient à Moscou avec son plan, nous le prenons et lui disons ensuite d'aller se faire foutre, parce que nous n'aimons pas tout cela. Fin de la négociation".
L'oligarque russe Konstantin Malofeye, dans une interview au Financial Times, sur la réponse de la Russie aux projets de Donald Trump de négocier sur l'Ukraine par l'intermédiaire de son envoyé spécial, Keith Kellog.
Géopolitique
Scholz à Kyiv des armes plein les bras, mais pas de Taurus - Olaf Scholz, le chancelier pacifiste allemand, a retrouvé le chemin de Kyiv et est arrivé hier des armes plein les bras après avoir échoué quelques semaines plus tôt à convaincre Vladimir Poutine d’ouvrir des négociations de paix avec l’Ukraine. L’enveloppe est conséquente: 650 millions d’euros. Le ministère des Affaires étrangères a détaillé les fournitures promises dès le mois de décembre: deux systèmes de défense aérienne IRIS-T, 10 chars Leopard 1, 60 véhicules blindées et chars M84 et M80 développés dans les années 80 dans l’ex-Yougoslavie, 6.000 missiles non guidés et 500 missiles guidés, des drones, des armes légères, des équipements d’hiver et des équipements de chauffage. “Nous avons du pouvoir. Nous ne faiblissons pas dans notre soutien à l’Ukraine. Nous serons aux côtés des Ukrainiens – aussi longtemps que nécessaire”, a affirmé Olaf Scholz. Mais les Taurus, les missiles de croisière air-sol allemands demandés par les Ukrainiens ne figuraient pas dans sa hotte.
Rutte veut utiliser l'argument de la Chine pour convaincre Trump sur l'Ukraine - Les ministres des Affaires étrangères de l'OTAN se réuniront aujourd'hui à Bruxelles pour la première réunion sous la direction du nouveau secrétaire général, Mark Rutte. Dans une interview accordée au Financial Times, Rutte a expliqué comment il compte essayer de convaincre Donald Trump de continuer à soutenir l'Ukraine. L'argument principal sera l'axe des adversaires composé de la Russie, de la Corée du Nord, de l'Iran et... de la Chine. "Le fait que l'Iran, la Corée du Nord, la Chine et la Russie travaillent en si étroite collaboration" signifie que "ces diverses parties du monde où il y a conflit, et qui doivent être gérées par les politiciens, sont de plus en plus interconnectées", a déclaré Rutte. "Et il y a un certain Xi Jinping qui observe de très près ce qui en sortira" de l'Ukraine.
Le Danemark renonce au régime “frugal” - “Nous, en tant que gouvernement danois, envisageons les aides d'État avec de nouveaux yeux et de nouvelles lunettes, la dette commune avec de nouveaux yeux et de nouvelles lunettes et le budget de l'UE avec de nouveaux yeux et de nouvelles lunettes. C'est une nouvelle époque”. La Première ministre socialiste Mette Frederiksen a confirmé hier dans un entretien à l'agence de presse danoise Ritzau être prête à ce que le Danemark soutienne à la fois une dette commune, un budget commun ambitieux et davantage d'aides d'État pour augmenter les investissements dans la défense européenne et accroître la compétitivité européenne. La Commission doit présenter en 2025 un projet pour le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE (2027-2034) mais les négociations s’annoncent difficiles. Il y a cinq ans, le Danemark faisait partie du groupe des pays dits “frugaux” et Mette Frederiksen jugeait “totalement absurde” une augmentation du budget commun. Aujourd'hui, elle appelle les “frugaux” (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Autriche, Finlande) à “repenser leur réaction instinctive” lorsque les négociations sur un nouveau budget vont commencer pour permettre d’améliorer la compétitivité des entreprises européennes. “Je ne vois pas comment nous allons financer tout cela avec des fonds connus”, a-t-elle soutenu. Mette Frederiksen prend le contrepied de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui refuse d’envisager un nouvel endettement commun comme une option. Frederiksen est constante. Elle avait annoncé cette nouvelle orientation dans un entretien en juin à notre consoeur Karin Axelsson de Politiken dont la Matinale Européenne s’était fait l’écho.
Fico plante Kallas après ses déclarations à Kiev - Le Premier ministre solvaque Robert Fico a téléphoné hier à Ursula von der Leyen pour se plaindre de la prise de position de la Haute Représentante Kaja Kallas lors de sa visite à Kiev avec le président du Conseil Antonio Costa et la commissaire à l’élargissement Marta Kos. “L’UE veut que l’Ukraine gagne cette guerre. Nous ferons tout ce qu’il faudra pour cela”, a déclaré Kaja Kallas dans un message posté sur X. Hostile à la poursuite du soutien de l’UE à l’Ukraine, le Premier ministre slovaque n’a pas apprécié cette expression très tranchée de Kaja Kallas, en ligne avec les positions exprimées lorsqu’elle était Premier ministre de l’Estonie. “Ni les membres de la Commission, ni le président du Conseil européen ne peuvent se permettre de faire des déclarations, au nom de l'Union européenne, sur lesquelles l'Union européenne et le Conseil européen ne se sont jamais mis d'accord”, a-t-il déclaré à la presse, cité par Politico. Le rappel à l’ordre de Fico a été formulé à Ursula von der Leyen, une manière de rabaisser Kaja Kallas en lui signifiant qu’elle n’est plus membre du Conseil européen mais la subalterne de la présidente de la Commission.
France
La France s’engage en territoire inconnu - Michel Barnier a engagé hier la responsabilité de son gouvernement avec le recours à l’article 49-3 pour adopter le budget de la sécurité sociale sans vote à l’Assemblée nationale. La France Insoumise et le Rassemblement National ont annoncé le dépôt de motions de censure. La gauche radicale et l’extrême droite veulent faire tomber le gouvernement. Les deux partis anti-européens vont joindre leurs forces pour parvenir à leurs fins. Les motions de censures doivent être votées par la majorité absolue des députés, soit 289 suffrages. Le RN compte 124 élus, la France Insoumise 71. Il leur faut rallier 95 députés. Le vote est prévu mercredi. “C’est le moment de vérité. Chacun de nous est devant ses responsabilités et doit décider si le pays se dote d’un texte (pour le financement de la Sécurité sociale) ou si nous entrons en territoire inconnu”’, a lancé Michel le Premier ministre. Si Barnier tombe, le président Emmanuel Macron doit nommer un nouveau Premier ministre et le gouvernement démissionnaire devra gérer les affaires courantes.
Italie
Meloni nomme Tommaso Foti ministre des Affaires européennes - Après la nomination de Raffaele Fitto en tant que vice-président de la Commission européenne, Giorgia Meloni a choisi un fidèle de son parti, le chef de file de Fratelli d'Italia à la Chambre des députés, comme nouveau ministre des Affaires européennes. Contrairement à Fitto, qui vient de la Démocratie chrétienne, Foti a un passé dans l'extrême droite néofasciste. Sa carrière politique a commencé dans le Front de la jeunesse, l'organisation jeunesse du Mouvement social italien. Comme d'autres membres du MSI, en 2002, Foti a participé à la fondation d'Alleanza Nazionale puis de Fratelli d’Italia en 2012. "Tout le monde a le droit de se convertir", mais il ne fait aucun doute que l'Italie "a maintenant un ministre des Affaires européennes avec un passé de militant néofasciste", a commenté une source de l'UE.
Hongrie
Moody's abaisse la note d'Orbán en raison de l'État de droit - L'agence de notation Moody's, le vendredi 29 novembre, a abaissé la note de la Hongrie en raison des "faiblesses institutionnelles et de gouvernance" et des craintes quant à la prolongation du conflit avec la Commission sur l'État de droit, ce qui a conduit au gel d'une part importante des fonds de l'UE. "Notre décision de changer les perspectives à négatif reflète les risques à la baisse liés à la qualité des institutions et de la gouvernance en Hongrie", ont expliqué les analystes de Moody's, soulignant que le gouvernement de Viktor Orbán pourrait perdre une partie "substantielles" des fonds de l'UE, car il ne respecte pas les conditions nécessaires pour débloquer les ressources. "Cela pourrait réduire la tendance de croissance du PIB et affaiblir les indicateurs fiscaux et de la dette". Le gouvernement Orbán a décidé d'accélérer l'adoption d'une série de lois au Parlement pour tenter de répondre aux exigences de la Commission concernant la conditionnalité de l'État de droit.
Europe sociale
L’Espagne obtient suffisamment de soutiens pour bloquer la proposition hongroise sur les stages rémunérés - La présidence hongroise du Conseil de l’UE a présenté hier aux ministres de l’Emploi une proposition d’accord sur la directive européenne relative aux pratiques de travail, qui dénaturait tellement la version originale de la Commission européenne qu’elle en devenait inefficace. Selon plusieurs délégations, la Hongrie n’avait pas rempli son rôle de médiateur impartial. Ces derniers jours, la vice-présidente et ministre espagnole de l’Emploi, Yolanda Díaz, a rassemblé des soutiens. Hier, lorsque la Hongrie a présenté sa proposition, elle s’est heurtée au rejet de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de la Bulgarie, de Chypre, de la Slovénie, de l’Espagne, du Portugal et de la Roumanie, qui ont formé une minorité de blocage très étroite mais suffisante. Le texte original de la Commission européenne visait à définir ce qu’est un stagiaire légitime et ce qu’est un faux stagiaire, afin d’empêcher les entreprises et institutions d’utiliser la figure du stagiaire pour éviter de signer des contrats de travail standards. Le dossier passe désormais à la présidence polonaise.
Médiateur
Six candidats pour le poste d'Emily O'Reilly – La commission des Pétitions du Parlement européen écoutera aujourd'hui en audition les six candidats pour succéder à l'irlandaise Emily O'Reilly au poste d’Ombudsman de l'UE. Sous sa direction, le médiateur civil a gagné en visibilité, remettant en question plusieurs cas de mauvaise administration commis par la Commission d'Ursula von der Leyen. Parmi les candidats, il y a deux Italiens (l'ancien fonctionnaire du Parlement Emilio De Capitani et le défenseur civique de la région du Latium, Marino Fardelli). Les autres candidats sont la Tchèque Julia Laffranque, l'Autrichienne Claudia Mahler, le Néerlandais Reinier van Zutphen et la Portugaise Teresa Anjinho. Cette dernière est considérée comme la favorite pour le vote à bulletin secret lors de la plénière du Parlement européen en décembre à Strasbourg.
Ce qui se passe aujourd'hui
OTAN : réunion des ministres des Affaires étrangères ; conférence de presse du secrétaire général Mark Rutte
Conseil de Santé
Commission : la présidente von der Leyen reçoit le ministre-président de Rhénanie-Palatinat, Alexander Schweitzer
Commission : le commissaire Micallef reçoit le ministre de la Culture de Hongrie, Hankó Balázs
Parlement européen : audition en commission des Libertés civiles du médiateur européen, Emily O'Reilly
Parlement européen : audition en commission des Pétitions des candidats pour le poste de médiateur
Cour des comptes : rapport spécial sur l'intégration des migrants dans l'UE
Eurostat : données sur les investissements directs étrangers en 2023 ; données sur la recherche et le développement en 2023 ; données sur les permis de construire en août ; chiffre d'affaires de l'industrie en septembre