“Coup de blues” français sur la Défense européenne
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“Coup de blues” français sur la Défense européenne
La défense européenne file un mauvais coton. La préférence communautaire prônée par la France est rejetée par les autres membres de l’UE. Projet emblématique, un bouclier antimissile européen est proposé par Berlin et il n’associe pas la France mais les Etats-Unis et leur système Patriot. Personne ne s’en offusque dans l’UE. Pas question de froisser Washington sur les achats d’armes, surtout si Donald Trump revient à la Maison Blanche en novembre.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a écarté le Français Thierry Breton, dépecé son portefeuille et confié la Défense à des commissaires de pays qui ont un tropisme transatlantique assumé. La France semble désormais se détacher d’un projet porté durant cinq ans par Emmanuel Macron. Ses partenaires ne veulent rien changer et assument une dépendance vis à vis des Etats-Unis pour la défense du vieux continent contre une agression de la Russie. Mais dans ce cas, quelle est la souveraineté de l’Union européenne, si sa protection dépend d’un parapluie dont l’activation dépend du bon vouloir du président des Etats-Unis ?
Quels sont les projets d’Ursula von der Leyen ? L’ancienne ministre de la défense d’Angela Merkel parle beaucoup, mais ses annonces sont pour le moment floues et ses intentions vagues, notamment sur les financements. Elle refuse de considérer l’emprunt commun comme une option. Emmanuel Macron a plaidé pour “une défense crédible” et réclamé des capacités dans son discours sur l’avenir de l’Europe en avril. Ursula von der Leyen a répondu avec l’annonce lors de son investiture en juillet de son intention de proposer ”un certain nombre de projets de défense d'intérêt commun, à commencer par un bouclier aérien et une cyberdéfense”.
Les membres de l’UE ont les capacités pour se doter d’un bouclier européen, mais la France et l’Allemagne ne sont pas en phase. Berlin a lancé “Sky Shield” (bouclier du ciel), un projet calqué sur le dôme israélien. L’Allemagne a rallié une vingtaine de pays de l’UE à son initiative, mais pas la France. La raison: le “bouclier du ciel” s’appuie sur le système de défense antiaérien allemand, les batteries américaines Patriot et un système israélien pour la défense exo atmosphérique.
Équivalent du Patriot, le système de défense aérienne sol-air franco-italien SAMP-T Mamba de nouvelle génération pourrait remplacer les batteries américaines. Il sera équipé d’ici 2026 des missiles Aster 30 B1 NT capables d’intercepter à 360 degrés les avions, drones, missiles de croisière et hypersonique. Et le projet Exoguard du groupe français Astrium pourrait assurer la défense exo-atmosphérique. La demande de préférence communautaire pour la défense européenne défendue par Emmanuel Macron prendrait ainsi tout son sens. Mais Washington n’entend pas être tenu à l’écart. “Nous veillerons à ce que ces grands projets soient ouverts à tous”, a affirmé Ursula von der Leyen.
La métaphore du coton illustre la dépendance de l’UE. Pour fabriquer de la poudre, il faut un type spécifique de coton qui vient principalement de Chine, la nitrocellulose, ou “gun cotton”. Or les livraisons de ce coton par la Chine se sont arrêtées, bloquant la production d’obus dans l’UE. L’Union a rencontré le même problème lorsque les Etats-Unis ont refusé d’exporter certains composants à la fabrication des vaccins contre la Covid. Que se passera-t-il si les munitions pour les missiles des batteries Patriot viennent à manquer, comme cela s’est produit en Ukraine, car les Etats-Unis ne livrent plus ? La dépendance est un handicap. Mais les Européens ne parviennent pas à s’en convaincre.
Emmanuel Macron doute du parapluie américain. “Depuis l’Afghanistan, le parapluie américain n’est plus une garantie absolue en raison des changements de leadership aux Etats-Unis”, a-t-il déclaré dans une intervention lors de sa visite à Berlin le 2 octobre. Le doute gagne en France. “Notre pays n'a rien à attendre de l'UE en matière de défense. En dépit de sa situation budgétaire relative qui tend à rendre de plus en plus difficile le maintien de l'industrie de défense française dans une posture de leadership, les budgets de défense de demain sont un enjeu essentiel pour préserver le dernier avantage comparatif de la France dans l'UE. Mais vu de Bruxelles, il faut tout changer pour que, surtout, rien ne change”, soutient le groupe “Mars”, un collectif d’une trentaine de personnalités françaises issues des milieux de l’industrie de l’armement, dans une libre opinion publiée sur le site internet du quotidien la Tribune quelques jours après la mise à l’écart de Thierry Breton.
“Grâce à Mme von der Leyen, on continuera encore longtemps en Europe à verser des larmes de crocodile sur sa dépendance à l'égard des industriels de défense américains : les objectifs du programme européen pour l’industrie de la Défense, EDIP, de 50% d'achats « made in Europe » en 2030 et 60% en 2035 ne sont qu’indicatifs. En attendant, il faudra alimenter le Moloch des F35 et des Patriots américains acquis depuis deux ans en créant une chaîne de sous-traitance européenne qui ne veut pas entendre parler de préférence européenne”, accusent les plumes de Mars.
Les déclarations du nouveau secrétaire général de l’Otan,le Néerlandais Mark Rutte, lors de sa prise de fonction, vont dans leurs sens. “Les efforts de défense de l’UE doivent être complémentaires à ceux de l’Otan. Ils ne doivent pas créer de doublons ni de structures parallèles”, a soutenu le nouveau patron de l’Alliance. Rutte est resté dans la figure imposée par les Etats-Unis, vrais patrons de l’Otan: “ Sans une industrie de la défense transatlantique forte, il n’y a pas de défense”. Son prédécesseur, le Norvégien Jens Stoltenberg, a été plus dur. “L’industrie européenne n’est pas compétitive”. Fermez le ban.
“L’Europe peut-elle se défendre sans les Etats-Unis ?”, a demandé le magazine en ligne autrichien der Pragmaticus. lors d’un débat d’experts en cas d’une attaque de la Russie . La conclusion est négative et inquiétante. “Sans les États-Unis, les Européens ne pourraient pas faire grand-chose”. Si Donald Trump est élu, “une de ses premières décisions sera une réduction des effectifs américains en Europe. Et même si les États-Unis voulaient aider du mieux qu’ils peuvent, ils ne pourraient déployer qu’une petite partie de leurs troupes et de leurs armes en Europe”, a souligné l’analyste Franz-Stefan Gady. “C’est pourquoi l’Europe devrait investir massivement dans les capacités et l’efficacité au combat de ses armées afin de dissuader efficacement Moscou”, a-t-il conclu.
La défense européenne est une priorité assure Ursula von der Leyen. Mais elle a demandé et obtenu la tête de Thierry Breton, le commissaire qui a donné à la Défense européenne sa force et sa crédibilité. “Sous Breton, le rôle comportait un volet diplomatique important, le commissaire se rendant dans les capitales et auprès des entreprises pour les forcer à produire davantage de munitions, tout en cherchant à résoudre les problèmes structurels qui servaient d’inhibiteurs à un secteur de défense plus efficace dans l’UE”, souligne l’analyste Daniel Fiott.
Son portefeuille a été cassé et ses attributions éparpillées entre cinq commissaires. La Défense a été confiée à l’ancien Premier ministre lituanien Andrius Kubilius, membre comme Ursula von der Leyen du Parti populaire européen (PPE), la famille politique dominante dans l’UE. Comme toujours, l’argent sera le nerf. Kubilius va devoir trouver des financements et embarquer les industriels. Ce sera la bataille du budget pluriannuel. Breton plaidait pour consacrer au moins 100 milliards aux investissements afin de “remonter la pente” et doter l’UE d’une industrie de la défense indépendante et performante. Emmanuel Macron soutenait cette démarche et plaidait pour un emprunt commun. Mais Ursula von der Leyen a fermé cette porte.
Paris a bataillé pour sauver les financements pour la défense dans le dernier budget pluriannuel 2021-27 et lors de sa révision en 2024. Mais la France va-t-elle accepter de mettre de l’argent pour la défense dans le prochain budget pluriannuel s’il va aux américains ? La question se pose. “Je crains que la France ne soit tentée de se désengager de la défense européenne” , nous a confié un responsable européen. Et si la France, actuellement dans une situation budgétaire difficile, refuse de mettre au pot lors de la négociation budgétaire, la grande priorité européenne va subir un grand coup de frein. Une conférence sur la stratégie européenne de défense et de sécurité est organisée le 16 octobre à Bruxelles, premier jour d’une série de sommets européens auxquels Emmanuel Macron participe. Le chef de l’Etat pourrait saisir cette occasion pour s’adresser aux participants de cette conférence.
La citation
“Votre refus d'évacuer les soldats de la FINUL les a transformés en otages du Hezbollah”.
Benyamin Nétanyahou.
Géopolitique
Accord sur une condamnation minimale d'Israël pour les attaques contre la FINUL - Les vingt-sept Etats membres ont réussi à se mettre d'accord hier sur une déclaration commune pour exprimer une condamnation très limitée des attaques menées par Israël contre les bases de la mission de la FINUL au Liban. « L'UE exprime sa profonde inquiétude face à la récente escalade le long de la Ligne bleue », peut-on lire dans la déclaration de Josep Borrell au nom de l'UE, publiée peu avant minuit hier soir : « L'UE condamne toutes les attaques contre les missions de l'ONU ». Les négociations ont duré tout le week-end. Le Service européen pour l'action extérieure dirigé par Josep Borrell avait envoyé un projet vendredi aux capitales, dans l'espoir de publier la déclaration samedi. Mais l'opposition de certains États membres, qui jugent le langage trop dur à l'égard d'Israël, a empêché de parvenir à l'unanimité. Vendredi, l'Italie, la France et l'Espagne ont publié une déclaration commune qualifiant les attaques contre la FINUL d'« injustifiables », accusant Israël de violer la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies et le droit humanitaire international. À l'ONU, la plupart des États membres de l'UE ont signé une déclaration des pays contribuant à la FINUL condamnant les récents incidents.
Les ministres des affaires étrangères cherchent un moyen de contourner le veto de la Hongrie sur les armes destinées à l'Ukraine - Les diplomates des vingt-sept États membres ont commencé à discuter d'une proposition du Service européen pour l'action extérieure visant à contourner le veto de la Hongrie, qui bloque 5 milliards d'euros destinés à financer des livraisons d'armes à l'Ukraine. L'idée, que les ministres des affaires étrangères mettront sur la table lors de leur réunion d'aujourd'hui à Luxembourg, est de rendre les contributions au Fonds d'assistance à l'Ukraine de la Facilité européenne de paix volontaires et non plus obligatoires. Selon diverses sources diplomatiques, cela suffirait pour que la Hongrie renonce à son veto, puisque le gouvernement de Budapest n'aurait pas à payer sa part (qui s'élève à 1,2 % du total). « La formule imaginée est celle des contributions volontaires, basée sur la disposition de la Facilité européenne de paix qui permet des contributions d'Etats tiers », explique un diplomate. Mais cet artifice risque d'ouvrir la boîte de Pandore. En passant d'une contribution obligatoire à une contribution volontaire, certains États membres seraient contraints de passer devant les parlements nationaux. Certains pourraient objecter qu'un pays est autorisé à être un « passager clandestin ». D'autres pourraient décider de dotations inférieures à la clé de répartition de la Facilité européenne de soutien à la paix. « Il n'y a pas encore d'accord », nous a dit le diplomate. La question pourrait être soumise au Conseil européen.
Sanctions contre l'Iran pour avoir fourni des missiles à la Russie et à ses mandataires - Les ministres des affaires étrangères de l'UE annonceront aujourd'hui des sanctions contre l'Iran pour avoir fourni des missiles à la Russie et à des milices mandataires opérant au Moyen-Orient. La liste noire de l'UE devrait inclure 14 personnes et entités impliquées dans des transferts d'armes et la production de missiles. En ce qui concerne la Russie, l'Iran s'est en fait dénoncé lui-même. À l'Assemblée générale des Nations unies, lors d'une réunion avec le haut représentant Josep BOrrell, le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, a reconnu que la République islamique avait envoyé à la Russie des missiles d'une portée inférieure à 250 kilomètres. Selon une source, Araghchi a déclaré qu'il ne s'agissait pas de missiles à effet de souffle, mais de fusées à courte portée. M. Borrell a répondu qu'il admettait ce que la République islamique nie depuis des mois.
Post Brexit
Preuve de la coopération entre l'UE et le Royaume-Uni en matière de politique étrangère et de sécurité - C'est un autre effet de la « réinitialisation » des relations entre le Royaume-Uni et l'UE décidée par le Premier ministre britannique, Keir Starmer. Aujourd'hui, pour la première fois depuis le Brexit, le secrétaire d'État britannique David Lammy sera également présent au Conseil des affaires étrangères à Luxembourg. L'échange est informel, mais considéré comme « important » par les 27, nous a confié un haut fonctionnaire de l'UE. De l'Ukraine à la Chine, « le Royaume-Uni est un pays qui partage les mêmes idées que l'UE ». La discussion avec M. Lammy est un point de départ important pour la coopération future avec le Royaume-Uni en matière de politique étrangère et de sécurité ». L'une des pistes explorées est la participation britannique à des projets de défense.
Pre Trump
L'Allemagne veut une ligne commune sur les résultats des élections présidentielles américaines - L'Allemagne a demandé à aborder un sujet très particulier lors de la réunion des ministres des affaires étrangères qui se tient aujourd'hui à Luxembourg : les élections présidentielles américaines du 5 novembre, dont l'issue est très incertaine. Les sondages donnent la démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump au coude à coude. Annalena Baerbock demandera aux autres ministres de préparer une ligne commune à adopter en cas de victoire de l'un ou l'autre et d'éviter d'envoyer des messages contradictoires. En 2020, alors que presque tous les dirigeants de l'UE avaient immédiatement reconnu la victoire de Joe Biden, le Premier ministre slovène, Janez Jansa, avait publié un message sur Twitter saluant le succès de Donald Trump et dénonçant les fraudes électorales. Pour l'Allemagne, ce spectacle ne doit pas se répéter. A Bruxelles et dans les capitales, on s'inquiète du comportement du Premier ministre hongrois Viktor Orban qui, deux jours après les élections présidentielles, recevra les autres dirigeants de l'UE lors d'un sommet informel à Budapest.
Migrants
Tusk suspend le droit d'asile en Pologne - Le Premier ministre polonais Donald Tusk a annoncé samedi la suspension temporaire du droit d'asile, lors d'un discours devant son parti dans lequel il a promis une nouvelle stratégie plus stricte en matière de migration. Les mesures qui seront présentées au gouvernement mardi visent à « reprendre le contrôle et à assurer la sécurité2 », a déclaré M. Tusk. « L'un des éléments de la stratégie migratoire sera la suspension territoriale temporaire du droit d'asile. Le premier ministre polonais a annoncé qu'il demanderait « la reconnaissance de cette décision en Europe, car nous savons très bien comment Loukachenko, Poutine et les trafiquants utilisent ce droit d'asile à l'inverse de ce qu'il devrait être ». La Commission n'a pas encore réagi. Certaines dispositions du nouveau pacte sur l'immigration et l'asile prévoient des limites et des conditions plus strictes pour le droit d'asile en cas d'instrumentalisation de l'immigration par des régimes hostiles, mais pas de suspension. En 2023, la Pologne a enregistré 7 700 demandes de protection internationale, contre 329 000 en Allemagne, 160 000 en Espagne, 145 000 en France et 130 000 en Italie, selon Eurostat. Cette année, la Pologne a reçu entre 500 et 1 500 demandes d'asile par mois.
L'Allemagne veut relancer le règlement de Dublin - Le Conseil européen de jeudi et vendredi devrait se terminer sans accord sur les politiques migratoires. Alors qu'il existe un consensus général sur la nécessité de renforcer la dimension extérieure (plus de contrôles aux frontières et plus d'expulsions), l'Allemagne insiste pour demander la réactivation des règles de Dublin afin que l'Italie et la Grèce commencent à accepter les demandeurs d'asile qui se sont déplacés dans d'autres États membres et pour lesquels ils sont responsables en tant que pays de première entrée. Les gouvernements de Rome et d'Athènes ont utilisé toutes les excuses possibles, de la pandémie de Covid-19 au nombre de débarquements. En 2023, sous le gouvernement de Giorgia Meloni, l'Italie a reçu 42 468 demandes de reprise de migrants ayant fui vers d'autres pays, principalement l'Allemagne et la France. Mais il n'y a eu que 60 transferts effectifs vers l'Italie. La Grèce, face à 6 400 demandes, n'a accepté que 6 transferts de migrants dont elle était responsable. L'Allemagne insiste également pour remplir ses obligations en matière d'enregistrement des migrants entrant sur le territoire européen afin de déterminer quel pays de première entrée est responsable.
Cela se passe aujourd'hui
Conseil Affaires étrangères (à Luxembourg)
Conseil Environnement (à Luxembourg)
Service européen pour l'action extérieure : le Haut représentant Borrell rencontre le ministre britannique des Affaires étrangères David Tammy
Commission : conférence de presse du Président von der Leyen avec le Chancelier allemand, Olaf Scholz, à l'issue du Sommet du Processus de Berlin
Commission : le commissaire Reynders assiste à l'ouverture de la Semaine internationale de la sécurité des produits
Commission : le commissaire Urpilainen rencontre le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Fake, à Addis-Abeba (Éthiopie)
Parlement européen : le Président Metsola en Autriche rencontre le Chancelier Karl Nehammer
Parlement européen : débat en commission des affaires étrangères sur les élections présidentielles en Tunisie
Parlement européen : audition de la commission de l'environnement sur le report de la mise en œuvre de la loi sur la déforestation
Conseil : réunion du Coreper
Eurostat : empreinte écologique matérielle en 2023 ; données sur les conditions de vie en 2024