Européennes: rien n'est joué, voilà pourquoi il faut voter
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Européennes: rien n'est joué, voilà pourquoi il faut voter
Consolider les positions, renverser la tendance, éviter le naufrage, survivre, peser. Tous les partis ont ces éléments en tête. Il leur reste un mois pour convaincre les électeurs de voter pour eux lors des Européennes des 6 et 9 juin. Un scrutin d’ordinaire peu prisé car les jeux sont déjà faits: l’Allemande Ursula von der Leyen sera reconduite par défaut pour un second mandat à la tête de la Commission de Bruxelles et si les enquêtes d’opinions annoncent des scores importants pour les partis d’extrême-droite, ils ne pèseront rien au sein du nouveau Parlement européen, car ils sont divisés, expliquent les gazettes. Alors pourquoi ruiner une belle journée de juin pour aller voter si tout est déjà joué d’ avance? La question se pose. La réponse est simple. Parce que chaque bulletin peut modifier la donne, rééquilibrer les forces, faire élire un député qui va faire son travail de législateur et déterminer si Ursula von der Leyen mérite de redoubler ou s’il faut la remercier.
La dernière compilation des intentions de vote dans les 27 pays de l’UE réalisée par Europe Elects confirme la poussée des partis d'extrême-droite, le maintien de la famille du Parti Populaire Européen comme premier groupe, une bonne résistance des Socialistes, une remise à niveau des Libéraux, une chute des Écologistes et de la gauche radicale. Mais ces tendances peuvent être renversées si les électeurs jugent que l’Union européenne vaut la peine d’être sauvée.
L’extrême-droite et les partis souverainistes dominent la vie politique en France, en Italie, en Pologne, en Hongrie et ils bousculent les grands partis en Allemagne et en Espagne. Ils n'aiment pas l’Union européenne. Après le Brexit et ses conséquences pour le Royaume-Uni, personne ne parle plus de sortie. Mais tous veulent la remodeler, la démanteler. “Nous pouvons devenir les forces dominantes”, clame le Premier ministre hongrois Viktor Orban qui rêve de "fédérer toutes les forces nationales conservatrices, souverainistes et chrétiennes “. Son amie, la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, veut “renvoyer la gauche dans l’opposition”.
Le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella est le premier parti en France. Les sondages le créditent de 25 des 81 élus européens du pays. Fratelli d'Italia, le parti de Giorgia Meloni pourrait envoyer 23 des 76 élus de l’Italie, Droit et Justice (PiS) 17 des 53 élus polonais, le Fidesz de Victor Orban 11 des 21 élus hongrois, l’AfD 16 des 96 élus allemands et Vox 7 des 61 élus espagnols. Mais ils ne siègent pas au sein des mêmes groupes, ils ne partagent pas les mêmes positions sur l’Europe et ses valeurs ni sur son rôle dans le monde ou sur la guerre de la Russie en Ukraine. Les Français du RN et les Allemands de l’AfD sont réunis au sein du groupe Identité et Démocratie. Ils ont été inexistants durant la dernière législature. Jordan Bardella l’admet et l’assume. Les Italiens et les Polonais ont dirigé l’ECR, l’autre groupe d’accueil des partis d’extrême droite comme l’Espagnol VOX ou des formations souverainistes comme la NVA belge.
Faut-il étendre le cordon sanitaire aux partis de la droite nationale conservatrice et de l’extrême-droite réunis au sein du groupe Conservateurs et Réformistes Européens (ECR) ? Le Parti Populaire Européen refuse. Son président Manfred Weber a défendu toutes les alliances passées par les partis de sa famille avec les membres de l’ECR, Fratelli d'Italia en Italie et Vox en Espagne. Et il n'a pas réagi à l’adhésion à l’ECR de Reconquête, l'autre formation de l’extrême droite française dirigée par Eric Zemmour et Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen. Ursula von der Leyen, devenue la candidate du PPE pour son second mandat, a laissé la porte ouverte à une collaboration avec l’ECR lors du premier débat des Européennes entre les représentants des groupes politiques. “Cela dépend de la composition du Parlement européen et de quel parti siège dans quel groupe”, a-t-elle déclaré.
Premier parti du Parlement, le PPE aura besoin de soutiens pour constituer une majorité en soutien à Ursula von der Leyen si sa reconduction est acceptée par la majorité des dirigeants de l’UE. Or le consensus entre les dirigeants est devenu moins évident depuis sa décision de concourir pour le seul PPE, nous expliquent nos interlocuteurs dans les capitales, au sein des institutions et au Parlement.
Ursula von der Leyen ne veut pas faire campagne car elle n’excelle pas dans l’exercice. Elle aime les audiences déjà acquises, les petites vidéos flatteuses, la complaisance, mais elle ne supporte pas la contradiction et éprouve des difficultés à se défendre contre les critiques portées sur le bilan de son mandat. Sa prestation lors du débat organisé par Politico a été jugée mauvaise. Elle a été désarçonnée par le Néerlandais Bas Eickhout, représentant des Verts. “C’est le Parlement qui crée les majorités”, a-t-elle lancé.
Ursula von der Leyen compte sur la capacité du PPE à forger une majorité pour la soutenir. Les forces pro-européennes –PPE, Socialistes, Libéraux et Verts – seront majoritaires, mais leur coalition sera difficile. Les relations entre le président du PPE, l’Allemand Manfred Weber, et les Socialistes sont conflictuelles et elles ne sont pas des meilleures avec les Libéraux. Comme Giorgia Meloni, Manfred Weber rêve d’envoyer les socialistes dans l'opposition. Mais une alliance entre les droites ne serait pas majoritaire et elle ne serait pas acceptée au sein du PPE.
“Le PPE ne gouverne rien à l'ouest de Vienne”, souligne un de ses dirigeants. La CDU-CSU en Allemagne et le Partido Popular (PP) en Espagne sont dans l’opposition et font jeu égal avec les socialistes au niveau national. Si le PP espagnol déteste le PSOE et son chef Pedro Sanchez, une grande coalition CDU-SPD est en revanche un scénario possible en Allemagne. Il ne faut jamais conjurer le sort. Et le Premier ministre PPE polonais Donald Tusk n’acceptera jamais une alliance avec le PiS, son adversaire, qui siège au sein de l’ECR.
Le PPE devrait compter 183 élus, les Socialistes 140 et les Libéraux de Renew 86, selon les estimations d’Europe Elects fin avril. “La 'grande grande coalition' pro-européenne composée par les trois groupes PPE, SD (socio-démocrates) et Renew (centristes-libéraux) devrait perdurer, même si le poids respectif des trois groupes devrait diminuer”, estime l’Institut Jacques Delors en conclusion d'une analyse de la coopération entre les groupes PPE et ECR. “C’est en son sein que se réalisent les compromis et se trouvent les accords menant à un vote majoritaire”, soulignent les auteurs de l’étude. La formation de coalitions de droite ponctuelles est toutefois envisagée dans l’étude, mais elle ne sera pas évidente.
Le PPE aura toutefois besoin des votes de l’ECR pour éviter à sa candidate l'humiliation d'être rejetée par le Parlement. En 2019, Ursula von der Leyen a été investie avec une majorité de 9 votes. En 2024, elle sera jugée par les élus européens sur son bilan et surtout sur ses renoncements en fin de mandat. Or les partis de la grande coalition ne lui sont pas acquis et Giorgia Meloni a pris ses distances avec le bilan d’Ursula von der Leyen dont “certains choix ont été des erreurs”.
La citation
“Tous les nationalistes européens sont des brexiters cachés. C’est le même discours de mensonge. A la fin, c’est les mêmes résultats”.
Emmanuel Macron.
Géopolitique
Macron réitère la possibilité d'envoyer des soldats en Ukraine - Emmanuel Macron est revenu dans le rôle du président lanceur d'alerte. Dans une longue interview accordée à The Economist, le président français a réaffirmé que l'Europe était en danger de mort, comme il l'avait fait lors de son discours à la Sorbonne. “Les choses peuvent se dégrader très vite". Et Macron est revenu sur son ambiguïté stratégique face à l'avancée de la Russie en Ukraine, y compris sur la possibilité d'envoyer des soldats sur le terrain. "Si les Russes devaient aller percer les lignes de front, s’il y avait une demande ukrainienne – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – on devrait légitimement se poser la question", a déclaré M. Macron. Continuer à fixer des limites serait une erreur "en termes de crédibilité, en termes de dissuasion à l'égard des Russes", a déclaré M. Macron. Le président français a rappelé que la France s'était "libérée avec ses alliés et grâce à ses résistances intérieures” et grâce à la "générosité internationale" lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans l'interview, M. Macron a enfin réaffirmé qu'il était prêt à mettre la dissuasion nucléaire française à la disposition de l'Europe. Mais “c’est le Président de la République, comme chef des armées, qui définit l’engagement de cette force nucléaire dans toutes ses composantes”,a-t-il insisté. La Russie "est devenue une menace pour la sécurité des Européens", a déclaré M. Macron, qui a mentionné la Moldavie, la Roumanie, la Pologne et la Lituanie comme possibles prochaines cibles.
Dîner à l'Elysée pour convaincre Scholz sur la Chine - Le président français Emmanuel Macron a invité hier le chancelier allemand Olaf Scholz à dîner pour le convaincre de participer à une rencontre la semaine prochaine avec le président chinois Xi Jinping, à laquelle Ursula von der Leyen sera également présente. C'est Noah Barkin, du German Marshall Fund, qui a révélé l'existence de ce dîner, au cours duquel les deux hommes pourraient également discuter de l'Ukraine et de la défense européenne. Macron et Scholz s'opposent à la fois sur la politique vis-à-vis de la Chine et sur la stratégie vis-à-vis de la Russie. Dans l'entretien qu'il a accordé à The Economist, le président français a opéré un net revirement par rapport au ton très docile qu'il avait employé il y a un an lors d'une visite en Chine. Sur la question économique, "nous, Occidentaux, n’avons pas été clairs avec les Chinois”, a déclaré M. Macron. “Nous avons regardé la Chine comme un bon marché export pour l’automobile européenne et surtout allemande. Je respecte cela. Cela a permis de créer beaucoup d’emplois, pas qu’en Allemagne ; partout en Europe. Est-ce que cela est encore valide? La réponse est non. Parce qu’aujourd’hui, la Chine est un marché surcapacitaire sur les véhicules et elle les exporte massivement, notamment en Europe". Pour Macron, ce n'est pas “bon" pour l'Europe. La critique de Macron semble plus dirigée vers Scholz que vers Xi.
Scholz, le chancelier craintif, acceptera la ligne de Macron sur la Chine ? - Olaf Scholz, qui s’est rendu à Pékin à la mi-avril, est beaucoup plus timoré. “Son approche à l'égard de la Chine est toujours façonnée par la peur, une peur entretenue par les dirigeants chinois et relayée par les capitaines de l'industrie allemande, que Pékin se retourne contre les entreprises allemandes si Berlin ou Bruxelles les poussent trop loin”, explique Noah Barkin dans une analyse pour le German Marshall Fund. “Cette angoisse semble avoir conduit Scholz, au cours de ses trois jours en Chine, à minimiser la menace que les produits chinois subventionnés font peser sur l'industrie européenne, sapant ainsi les positions de la Commission et des Français”, soutient le chercheur. Les deux lignes peuvent-elles converger sur certains points ? Olaf Scholz acceptera-t-il de venir à Paris et de se joindre à la réunion avec le président Xi à laquelle Emmanuel Macron a convié la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ?
Élections européennes
Les nationalistes sont tous des Brexiters - Emmanuel Macron à la dent dure contre les nationalistes européens et appelle à les combattre. “N’ayez pas peur, soyez audacieux”, lance le président français dans son long entretien à The Economist. “Les nationalistes travestissent le débat européen”, accuse-t-il, citant les silences du Rassemblement National, le parti d’extrême droite nationaliste français sur les conséquences du Brexit pour le Royaume Uni. “Le Rassemblement National voulait sortir de l’Europe, de l’euro, de tout. Maintenant, il ne dit plus rien. Il tire les dividendes de l’Europe en voulant la détruire sans rien dire. Et c’est vrai dans tous les pays”, accuse-t-il. Macron appelle les Européens à se réveiller. “Tous les nationalistes européens sont des Brexiters cachés. C’est le même discours de mensonge (…). Si vous confiez les clefs à des gens comme eux, il n’y a aucune raison que l’Europe devienne une grande puissance. Aucune”.
Pour Macron, Giorgia Meloni est une nationaliste à part - Tous les nationalistes ne sont à pas à mettre dans le même sac, reconnait Emmanuel Macron. “La présidente du Conseil italien a aujourd'hui une approche européenne”, souligne le président français. Il félicite Giorgia Meloni d’avoir soutenu le pacte asile et migrations. Mais “la meilleure façon de construire ensemble, c’est d’avoir le moins de nationalistes possibles”, conclut-il.
Migrants
Von der Leyen annonce une aide d'un milliard au Liban pour réduire le nombre de réfugiés - La présidente de la Commission a proposé hier au Liban une enveloppe financière d'un milliard d'euros pour réduire le nombre de départs de réfugiés vers Chypre. "L'UE soutient fermement le Liban et son peuple. Et nous voulons renforcer notre coopération de longue date", a déclaré Mme von der Leyen lors d'une conférence de presse à Beyrouth avec le Premier ministre libanais Najib Mikati et le président chypriote Nikos Christodoulidis. "Je suis en mesure d'annoncer une enveloppe financière d'un milliard d'euros pour le Liban, qui sera disponible de cette année à 2027. Mme Von der Leyen a déclaré qu’elle souhaitait renforcer les services de base, les investissements dans l'éducation, la protection sociale, la santé et accompagner les réformes économiques et financières dans le pays du Cèdre . Mais l'enveloppe d'un milliard sera presque exclusivement consacrée aux migrants : 750 millions serviront à soutenir le Liban dans sa réponse à la crise des réfugiés syriens, et 264 millions iront à la coopération bilatérale, en particulier au renforcement de l'armée et de l'appareil de sécurité. "Nous comptons sur votre bonne coopération pour empêcher la migration illégale et lutter contre le trafic de migrants", a insisté Mme von der Leyen.
Von der Leyen veut renvoyer les réfugiés syriens en Syrie - Lors de sa conférence de presse à Beyrouth, elle a également annoncé "une approche plus structurelle des retours volontaires en Syrie" des réfugiés syriens au Liban. Concrètement, une grande partie des 1,5 million de réfugiés syriens présents dans le pays du Cèdre devraient retourner là où ils ont fui, malgré le fait que le régime de Bachar al Assad reste plus fort que jamais. Mme Von der Leyen a assuré que l'approche sur les retours volontaires serait décidée "en contact étroit avec le HCR" (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés). Dans son dernier rapport sur la situation en Syrie, le HCR a expliqué que "les conditions en Syrie ne sont pas propices à des retours volontaires à grande échelle dans la sécurité et la dignité". En outre, le HCR a souligné que le taux de retour en Syrie reste très faible, avec 24 400 réfugiés ayant regagné leur pays au cours des huit premiers mois de l'année 2023. Selon une enquête du HCR, seuls 1,1 % des réfugiés syriens prévoient de rentrer au cours des douze prochains mois. Selon le HCR, 753 000 Syriens ont besoin d'être réinstallés. Traduit : ils devraient être transférés des pays qui les accueillent actuellement, comme le Liban, vers des pays plus riches, comme ceux de l'UE.
Vache sacrée
La Commission prolonge les aides d'État extraordinaires en faveur de l'agriculture - La Commission a approuvé hier une modification du cadre temporaire pour les aides d'État en période de crise et de transition afin de prolonger de six mois certaines dispositions en faveur de l'agriculture et de la pêche. Cette mesure était attendue après les concessions annoncées par Ursula von der Leyen en réponse aux protestations des agriculteurs. Les États membres pourront continuer à accorder aux entreprises touchées par la crise ou par les sanctions et contre-sanctions successives, y compris de la part de la Russie, jusqu'à 280.000 euros pour le secteur agricole et jusqu'à 335.000 euros pour les secteurs de la pêche et de l'aquaculture. Un autre cadeau aux agriculteurs est en vue. La Commission a annoncé une révision du règlement "de minimis" afin de relever les plafonds des aides d'État pour lesquelles les États membres ne doivent pas demander d'autorisation. La justification est la pression inflationniste de ces dernières années et le contexte actuel de prix élevés des matières premières affectant le secteur agricole.
Ce qui se passe aujourd'hui
Service européen pour l'action extérieure : le Haut Représentant Borrell prononce un discours lors de l'événement "L'Europe face à deux guerres".
Commission : la vice-présidente Suica participe à un événement démographique organisé par Population Europe
Eurostat : données sur le chômage en mars ; données sur les permis de construire en janvier ; données sur l'espérance de vie en 2023 ; données sur le redressement industriel en février ; données sur le secteur de l'édition en 2022