Faire de l’Europe une puissance dotée pour la faire respecter
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Faire de l’Europe une puissance dotée pour la faire respecter
Donald Trump revient à la Maison Blanche. Les Américains l’ont élu et bien élu. Lors de son investiture en janvier 2025, il aura tous les pouvoirs et l’Union Européenne retrouve ses peurs. Que va décider l’imprévisible et vindicatif milliardaire américain ? Ses prises de position durant la campagne ont de quoi inquiéter ses alliés. Trump n’aime pas l’Otan, et il n’aime pas l’UE. Le président américain va-t-il fermer le parapluie ? Va-t-il désengager les Etats-Unis d’Europe alors que la guerre fait rage en Ukraine ? A Budapest, lors de la réunion de la Communauté politique européenne, puis d’un sommet entre les 27, de mâles paroles ont été prononcées. Mais l’Union est-elle prête au rapport de force pour se faire respecter? Est-elle en mesure d’assurer sa sécurité sans les Etats-Unis ? Se repose le débat difficile de la capacité de dissuasion nucléaire pour faire de l’Europe une “puissance dotée”.
Le 17 octobre, à Bruxelles où il était l’invité d’un sommet européen, Volodymyr Zelensky a rappelé que l’Ukraine était une puissance nucléaire et qu’en 1991, avec la signature du mémorandum de Budapest, elle a accepté de renoncer à ses armements en échange de la garantie qu’elle resterait souveraine dans ses frontières. La Russie était signataire de cet accord et a violé son engagement en 2014 avec l’annexion de la Crimée puis en 2022 avec l’invasion de l’Ukraine. Pour la première fois, une puissance nucléaire, la Russie, a envahi un état souverain sans même lui déclarer la guerre. “Poutine ne s'arrêtera pas Il aime la guerre”, a averti le président Ukrainien. Soucieuses d’assurer leur sécurité, la Suède et la Finlande ont rejoint l’Otan, alliance de défense nucléaire. Qui pourra garantir leur protection si Donald Trump décide de faire rentrer les bombardiers stratégiques américains ?
Ce n’est pour le moment qu'une hypothèse, mais elle est prise en considération dans une étude publiée en septembre par l’Institut International d'Études Stratégiques (IISS). “Si les États-Unis optaient pour le désengagement, les Européens seraient pris au dépourvu au milieu de la guerre russo-ukrainienne en cours – la plus importante sur le continent depuis la Seconde Guerre mondiale – et mal équipés pour affronter seuls la Russie. Dans le scénario le plus extrême, le vide du pouvoir permettrait à des dirigeants ambitieux de revendiquer le leadership, tandis qu’une cacophonie d’appels nationaux divergents saperait tout sentiment d’unité européenne. Certains pourraient suivre leur propre voie et faire contrepoids à la Russie, y compris par des moyens nucléaires. D’autres pourraient suivre le mouvement de Moscou. La fin de l’OTAN et de l’Union européenne pourrait être proche”, écrit Héloïse Fayet, spécialiste sur les questions de dissuasion nucléaire.
Un débat a commencé sur le rôle des armes nucléaires dans la sécurité européenne. Nous nous sommes fait l’écho début février dans La Matinale Européenne du flou du parapluie français, puisque la France est la seule puissance dotée de l’UE depuis la sortie du Royaume Uni, l’autre puissance nucléaire. Le débat a été relancé par Etienne Marcuz, spécialiste des questions stratégiques. Dans un long “fil” publié sur X sous le titre provocateur “La route vers un parapluie français”, il propose “quelques idées sur la façon de travailler ensemble pour construire un nouveau parapluie nucléaire sur l'Europe”.
“Je ne l'appellerais pas un parapluie français, mais cette réflexion offre beaucoup de bonnes idées sur la façon de donner une saveur plus européenne à la dissuasion nucléaire française”, a réagi Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’Otan. Mais faire de l’UE une puissance dotée sera “très compliqué et difficile en format UE (sans l’autre puissance nucléaire européenne, la Grande Bretagne, et avec Autriche et Irlande, très antinucléaires) ce qui ne doit pas empêcher d’approfondir la discussion entre Européens”, a-t-il souligné.
“Quoi qu’il arrive, l’ère de la sous traitance géopolitique est terminée”, a affirmé le Premier ministre polonais Donald Tusk. L’assertion a fait bondir un ancien commissaire européen. “On ne peut pas dire que l’on veut reprendre son destin en main en matière de défense sans être une puissance dotée. Sinon c’est de la philosophie”, s’est-il insurgé. “La France est une puissance dotée. Elle doit le faire accepter et pour cela dire que si les Baltes sont attaqués, la France est attaquée. Sans protection nucléaire face à la Russie, l'Allemagne, la Suède, la Finlande, la Pologne n’existent pas. L’Union doit s’organiser pour le rapport de force et le nucléaire est le coeur de ce rapport”, soutient-il.
Donald Trump considère les Européens comme des “mauvais payeurs”. Il a obtenu qu’ils consacrent 2% de leur PIB pour les dépenses de défense en 2024 et de retour au pouvoir, il exige maintenant qu’ils passent à 3%, comme l’a demandé l’ancien secrétaire général de l’Alliance, le Norvégien Jens Stoltenberg. Pour parvenir à ses fins, il peut exercer un chantage avec la menace de ramener les bombardiers stratégiques aux Etats-Unis.
“La France devrait promouvoir la création d'un « pilier nucléaire européen » au sein de l'Otan”, préconise Héloïse Fayet “Une telle démarche permettrait de préserver l'autonomie de décision française”, explique-t-elle. Mais les armes nucléaires “ne sont pas une baguette magique”, insiste Fayet. Elle suggère de “mieux définir le rôle que la France envisage pour les forces conventionnelles françaises et européennes dans la défense de l’Europe” et prône “une délimitation plus claire des tâches entre les partenaires européens nucléaires et non nucléaires”.
Des discussions ont été engagées en marge du sommet de l’Otan à Washington en juillet entre les ministres de la Défense de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de la Pologne avec l’intention de développer conjointement une capacité européenne de frappe conventionnelle à longue portée. Une nouvelle réunion des quatre ministres est prévue dans les prochaines semaines. Les Européens vont-ils s’affirmer comme une puissance pleinement indépendante ? Emmanuel Macron plaide en ce sens. Mais le président français est-il encore écouté et crédible ? Son mandat se termine en 2027 et il a laissé un parti d’extrême-droite anti-européen et pro-russe s’installer à la porte du pouvoir. Sa chef de file, Marine Le Pen, a exclu de mettre la dissuasion française au service de la sécurité de l'Europe.
Que sont devenus les engagements du sommet de Versailles sur l’autonomie stratégique ? Les Européens ont peu fait. Le franco-allemand est dans le coma avancé et avec lui le triangle de Weimar formé avec la Pologne. La tentation est grande de courber l’échine et face à l’orage, d’acheter plus d’armes et de gaz aux Etats-Unis pour garder le parapluie de l’oncle Sam ouvert.
La citation
“Donald Trump aidera l'Europe à passer à l'âge adulte”.
Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, dans une interview accordée à L'Echo.
Géopolitique
Le Donald européen organise la coalition des volontaires contre le Donald américain - Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a annoncé qu'il tiendrait dans les prochains jours une série de réunions avec les dirigeants de France, du Royaume-Uni et des pays nordiques et baltes pour discuter de la coopération transatlantique après l'élection de Donald Trump et la guerre contre l'Ukraine. "Il ne fait aucun doute que ce nouveau paysage politique est un défi sérieux pour tous, en particulier dans le contexte d'une possible fin de la guerre russo-ukrainienne comme résultat d'un accord entre le président russe et le nouveau président des États-Unis", a déclaré Tusk. La Pologne assumera la présidence tournante du Conseil de l'UE le premier janvier, trois semaines avant l'installation de Trump. Le Premier ministre polonais rencontrera à Varsovie le président français, Emmanuel Macron, et le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, et Tusk pourraient se rencontrer à Varsovie ou Londres. Tandis qu'une rencontre avec les dirigeants nordiques et baltes se tiendra à Stockholm. Parmi les noms des dirigeants mentionnés par Tusk, deux particulièrement notables manquent. La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, qui aspire au rôle de pont entre l'UE et Trump, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, dont la coalition gouvernementale s'est effondrée et qui n'avait pas invité Tusk à une rencontre avec les dirigeants des États-Unis, de France et du Royaume-Uni en octobre. Cependant, selon certains observateurs, la principale raison de leur exclusion est que Tusk veut construire une coalition de volontaires pour soutenir l'Ukraine.
La France s’engage pour l’Ukraine - “Nous allons fournir de nouveau des missiles Mistral. Et pour permettre à l’Ukraine d’effectuer des frappes derrière la ligne de front, j’ai signé ces derniers jours une nouvelle cession d’une dizaine de missiles Scalp”, a annoncé hier le ministre de la Défense français Sébastien Lecornu . Les missiles Scalp sont des missiles de croisière d’une portée de 400 km conçus pour frapper l’ennemi en profondeur son territoire. Les missiles Mistral sont des missiles sol-air de courte portée utilisés pour la défense aérienne.
Nordiques, Baltes et Pologne demandent plus de droits de douane contre la Russie - Un groupe de pays composé de Suède, Danemark, Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Lituanie et Pologne a écrit à la Commission pour demander l'augmentation des droits de douane sur les imports de biens en provenance de Russie pour affaiblir encore plus son économie dans le contexte de la guerre d'agression contre l'Ukraine. "Nous devons en faire plus pour soutenir l'Ukraine et exercer une pression économique sur la Russie. L'espoir est qu'ensemble, nous pouvons freiner les exportations russes vers l'UE et affaiblir l'économie russe", a déclaré le ministre suédois de la coopération et du commerce extérieur, Benjamin Dousa. Selon ces huit pays, une augmentation des droits de douane réduirait le financement à la disposition du Kremlin pour l'invasion illégale de l'Ukraine. Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont déjà imposé des droits de douane plus élevés sur les imports de biens russes.
Sommet
Aucune surprise sur la dette commune lors du sommet de Budapest - La déclaration de Budapest pour lancer le nouveau Pacte sur la compétitivité européenne n’a pas révélé de surprises. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a réussi à conserver une phrase pour ne pas fermer définitivement la possibilité d'instruments de dette commune. "Nous explorerons le développement de nouveaux instruments", indique le document. Mais Michel a lui-même reconnu qu'il "n'y a pas de consensus spontané sur le sujet". La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a réitéré le mantra des ressources propres et des contributions nationales, qui constituent les ressources traditionnelles du budget de l'UE. Selon le chancelier allemand, Olaf Scholz, "l'argent est là, il doit simplement être canalisé comme aux États-Unis dans la croissance des entreprises. Et c'est le défi central pour la future Commission européenne", a déclaré Scholz.
L'appel de Draghi après l'élection de Trump - "Ce que l'Europe ne peut plus faire, c'est reporter les décisions", a déclaré Mario Draghi vendredi à Budapest avant la discussion avec les chefs d'État et de gouvernement sur son rapport. Ses recommandations "sont devenues encore plus urgentes après les élections aux États-Unis. Il ne fait aucun doute que la présidence Trump fera une grande différence dans les relations entre les États-Unis et l'Europe", a déclaré Draghi. Trump "donnera un nouvel élan au secteur technologique", où le retard de l'UE est déjà important, mais en même temps, "il protégera les industries traditionnelles, qui sont précisément les industries où nous exportons le plus vers les États-Unis", a expliqué Draghi. "Nous devrons négocier avec l'allié américain, dans un esprit d'unité, afin de protéger également nos producteurs européens". Selon l'ancien président de la BCE, d'autres reports pour des raisons politiques ne sont pas possibles. "Comme vous l'avez vu au cours de toutes ces années, de nombreuses décisions importantes ont été repoussées parce que nous attendions le consensus. Le consensus n'est pas venu. Seul un développement plus faible est arrivé, une croissance moindre, aujourd'hui une stagnation", a déclaré Draghi.
Commission von der Leyen II
L' étrange discipline de l'ECR lors des auditions des candidats commissaires - Le groupe souverainiste des Conservateurs et réformistes européens (ECR) s'est comporté presque comme un parfait européiste lorsqu'il s'est agi d'exprimer un jugement sur les candidats commissaires lors des auditions au Parlement européen. À l'exception de la Belge Hadja Lahbib, sur laquelle le groupe s'est divisé, l'ECR a toujours voté en faveur des commissaires désignés, se montrant même plus fiable que le groupe des Verts. "Lors des réunions d'évaluation des candidats, l'ECR a été très discipliné, presque craintif", a déclaré une source du Parlement européen. Il est très probable que le groupe auquel appartient Fratelli d'Italia, le parti de Giorgia Meloni, souhaite assurer la confirmation de Raffaele Fitto en tant que vice-président exécutif lors de l'audition de demain. Mais cette attitude a surpris beaucoup de monde. L'ECR est-il prêt à entrer dans la majorité ?
Lituanie
Les sociaaux-démocrates alliés aux populistes antisémites pour former le gouvernement - Le Parti social-démocrate, vainqueur des élections en Lituanie, formera une coalition avec le parti populiste Alba Nemunas, dont le leader Remigijus Zemaitaitis a dû démissionner du Parlement après que la Cour constitutionnelle a statué qu'il avait violé le serment de ne pas répandre la haine contre les Juifs dans une série de publications sur les réseaux sociaux l’année dernière. Le social-démocrate Gintautas Paluckas, désigné comme Premier ministre, a justifié ce choix samedi comme la seule possibilité pour avoir une coalition « durable ». « Certains disent que tout le parti Alba Nemunas est antisémite. Nous ne le pensons pas », a déclaré Paluckas, en assurant qu’« il n'y a pas de place pour l'antisémitisme, ni dans le parti social-démocrate ni au sein du gouvernement ». Zemaitaitis, qui est en procès pour antisémitisme et négationnisme de l'Holocauste, ne sera pas ministre, mais son parti aura trois ministères, y compris celui de la Justice.
Green Deal
Une Cop29 sans attentes - Ursula von der Leyen a décidé de ne pas faire le voyage. Charles Michel a confirmé sa présence. Mais la Cop29 des Nations Unies qui s’ouvre cette semaine à Bakou se tiendra sous un voile de plomb. Non seulement la Cop se tient pour la deuxième fois dans un pays qui est un royaume des hydrocarbures, mais la présidence Trump annonce le désengagement total des États-Unis des objectifs fixés par l’accord de Paris. À Bakou, la Cop29 devrait adopter un nouvel objectif quantitatif collectif sur le financement climatique. L'UE est déjà le premier contributeur international au financement climatique et souhaite élargir le groupe de la générosité. L'UE espère également reconnaitre les objectifs énergétiques mondiaux convenus l'année dernière lors de la Cop28 à Dubaï pour la transition des combustibles fossiles, pour tripler les investissements dans les énergies renouvelables et pour doubler les mesures d'efficacité énergétique d'ici 2030.
Géoeconomie
Progrès dans les négociations avec Pékin sur les droits de douane sur les véhicules électriques - Vendredi, la Commission européenne a annoncé des "progrès" dans les négociations avec Pékin concernant les droits de douane imposés par l'UE sur les véhicules électriques à batterie importés de Chine. Une équipe de fonctionnaires de la Commission était à la capitale chinoise la semaine dernière pour discuter d'un éventuel accord sur un engagement de prix minimum de la part de la Chine, en alternative aux droits de douane anti-subventions. "Il y a eu des progrès techniques sur des éléments qui devront être abordés pour garantir un engagement de prix qui soit à la fois efficace et applicable", a déclaré la Commission. "Les parties ont discuté de manière constructive et approfondie sur la manière d'établir un prix minimum d'importation pour un produit aussi complexe, ainsi que sur des outils pour surveiller et appliquer les engagements". Les négociations se poursuivront cette semaine.
Numérique
La Commission accuse Temu de violer la loi sur la protection des consommateurs - Après la procédure formelle en vertu de la loi sur les services numériques, la Commission européenne et les autorités nationales de protection des consommateurs de Belgique, d'Allemagne et d'Irlande ont accusé le géant chinois du commerce électronique Temu de violer la législation européenne sur les consommateurs. Les pratiques abusives de Temu incluent des fausses réductions, une pression pour finaliser les achats avec de fausses informations sur des quantités limitées ou des délais, fournir des informations incomplètes ou incorrectes sur les retours et remboursements, des évaluations fausses et des difficultés à contacter pour des questions ou des réclamations. Temu dispose maintenant d'un mois pour répondre et proposer des engagements pour se conformer à la législation européenne. Sinon, elle risque une amende basée sur le chiffre d'affaires annuel dans les États membres où l'enquête est en cours.
Cela se passe aujourd'hui
Commission : la commissaire Urpilainen à Paris pour le Paris Peace Forum
Eurostat : indice du volume du commerce de détail en 2023 ; données sur l'emploi à temps plein et partiel en 2023 ; données sur l'éducation secondaire en 2022