Gymnich à Bruxelles, Kaja Kallas prend la mesure de son “top job”
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Venue à Bruxelles le 26 août pour des prises de contacts, l’ancienne Première ministre estonienne Kaja Kallas a pris l’ampleur des difficultés lorsqu'elle prendra ses fonctions de Haute Représentante. Ses nouveaux interlocuteurs, les ministres des Affaires étrangères et leurs homologues de la Défense, sont depuis des mois dans l'incapacité de prendre des décisions par certains gouvernements soucieux de ne pas braquer Moscou, Pékin, Téhéran ou Tel-Aviv. Titulaire du poste, l’Espagnol Josep Borrell ne masque plus sa déception et son irritation lorsqu’il rend compte des résultats des réunions qu'il vient de présider.
Les réunions informelles organisées jeudi et vendredi pendant son séjour bruxellois étaient essentiellement consacrées au soutien à l’Ukraine, dont les forces sont engagées dans une opération en territoire russe, dans l’oblast de Koursk, et dans le même temps débordées dans le Donbass, pendant que le reste du pays vit à l’heure des bombardements. Les ministres ont écouté les doléances de leur homologue Dmytro Kouleba, préoccupé par les retards dans la livraisons des armements et des munitions promises, et soucieux d’obtenir la levée des restrictions imposées sur l’utilisation des missiles afin de pouvoir frapper des cibles militaires russes en profondeur.
La réponse n’a pas été à la hauteur et a frisé la provocation lorsque le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani lui a répondu: “Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie. L'Otan n'est pas non plus en guerre avec la Russie, c'est pourquoi l'Italie maintient sa position de limiter l’utilisation de nos armes à l'intérieur du territoire ukrainien”. Josep Borrell n’a pu se retenir. “Il est ridicule de dire qu'autoriser (l'Ukraine) à frapper à l'intérieur du territoire russe signifie être en guerre contre Moscou. Nous ne sommes pas en guerre contre Moscou - et je pense qu'il est ridicule de dire cela”. Ambiance.
Trois états sont particulièrement difficiles lors des réunions Affaires étrangères: la Hongrie, la Slovaquie et l'Italie. Ces trois pays ont, d'une manière ou d'une autre, exprimé leur opposition à la nomination de Kaja Kallas au poste de haut représentant en juillet. Après la décision du Conseil européen - Viktor Orban s'étant abstenu et Giorgia Meloni ayant voté contre - une procédure écrite a été lancée pour confirmer les positions des dirigeants de l'UE. La Hongrie et l'Italie ont confirmé leur position lors du Conseil européen. Surprise : elles ont été rejointes par la Slovaquie, qui a voté “non” à Kallas.
“Je me demande à quoi servent les réunions des ministres des Affaires étrangères si nous ne sommes pas en mesure de prendre des décisions et que tout est renvoyé au Conseil (des chefs d’Etats et de gouvernements)”, a déploré un ancien ministre. Le “top job” dévolu à Kaja Kallas est difficile. “On ne prend que des coups”, nous ont confié plusieurs responsables du service d’actions extérieures. Kaja Kallas aura certainement eu l’occasion d'en parler avec Federica Mogherini lors de leur rencontre à Bruxelles. “Merci pour vos conseils et vos bonnes paroles”, lui a-t-elle écrit sous la photographie illustrant leur entretien.
Le Haut représentant est ignoré par le Kremlin et la situation ne va pas s’arranger avec Kaja Kallas, sous le coup d’un avis de recherche lancé par Moscou pour une affaire pénale non précisée. Il est également ignoré par Pékin et peu considéré à Washington. Les grandes puissances exploitent les divisions entre les Etats de l'UE et traitent avec leurs dirigeants, plutôt qu’avec leurs représentants.
La politique étrangère n’est pas une compétence de l'UE, pas plus que la défense, et jalouses de leur souveraineté, les grandes diplomaties européennes jouent leur partition en solo, ou parfois en trio comme la France, l’Allemagne et la Pologne dans le cadre du triangle de Weimar. Le Haut représentant est très souvent sur la touche, jamais sur le devant de la scène. Josep Borrell en a fait l’amer constat à plusieurs reprises. Ses relations ont été exécrables avec Ursula von der Leyen. La raison: le Haut Représentant n’a aucun moyen pour mener son action. Ils sont tous entre les mains de la Commission européenne. Josep Borrell a osé réclamer le contrôle des politiques avec une dimension extérieure (développement, commerce), ce qui lui a été refusé.
Kaja Kallas siégeait à la table du Conseil européen avec les autres dirigeants de l’UE. Elle a accepté de devenir la subalterne de la présidente de la Commission européenne lorsqu’elle a accepté le poste de Haute Représentante. Elle va découvrir l’autre Ursula von der Leyen, très impliquée sur l'Ukraine, comme elle. Vont-elles savoir travailler en bonne intelligence et former un binôme ? Ancienne ministre de la Défense, la présidente veut garder la main sur les Affaires étrangères et la Défense. Son intervention vendredi à Prague pour le forum sur la sécurité GlobSec 2024 a confirmé cette volonté et elle n’a pas hésité à prendre à partie certains membres du Conseil, sans les nommer, mais de manière très explicite. “Aujourd’hui, certains responsables politiques au sein de notre Union, et même dans cette partie de l’Europe, brouillent notre message concernant l’Ukraine. Ils font peser la responsabilité de la guerre non pas sur les agresseurs, mais sur les agressés. Ils ne blâment pas la soif de pouvoir de Poutine, mais la soif de liberté de l’Ukraine”, a-t-elle lancé. L’attaque visait le dirigeant Hongrois Viktor Orban, qui ne cache plus sa proximité avec le président russe Vladimir Poutine, mais elle englobait aussi tous les partisans d’une “capitulation de l'Ukraine” au nom de la paix.
Ursula von der Leyen veut passer la surmultipliée pour le réarmement de l’Union au cours de son second mandat. “Notre objectif doit être de mettre en place une production d’envergure continentale pour la défense. L’Europe centrale est bien placée pour être l’un des moteurs et l’un des plus grands bénéficiaires de cette nouvelle impulsion donnée au secteur européen de la défense (...) Nous devons envisager une refonte systémique de la défense européenne. C’est la responsabilité stratégique de l’Europe, quelle que soit l’issue des élections américaines le 5 novembre”, a-t-elle plaidé. La présidente n’a pas encore finalisé sa nouvelle Commission, mais elle a déjà fixé le cap et les priorités, dont celle de doter l’UE de “davantage de nucléaire”, au risque de déplaire à certaines capitales et de contrarier certains des candidats commissaires. Quel sera le rôle de Kaja Kallas ?
La citation
“Le Manifeste de Ventotene est la base de l'UE et représente toutes les valeurs auxquelles nous croyons. Je l'enverrai à Poutine”.
Josep Borrell.
Allemagne
L'AfD gagne en Thuringe - C'est la première victoire électorale de l'extrême droite en Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale. Alternative pour l'Allemagne (AfD) est arrivée en tête hier lors des élections en Thuringe et s'est classée deuxième en Saxe juste derrière les conservateurs de la CDU. “Sensationnel”, a déclaré le chef de file de l'AfD, Tino Chrupalla, en commentant les résultats : “La volonté des électeurs est qu'il y ait un changement politique à la fois en Saxe et en Thuringe”. L'AfD ne sera pas en mesure de gouverner, car aucun parti ne souhaite s'allier à l'extrême droite au sein d'une coalition. Mais le résultat est une gifle pour les partis formant la coalition d'Olaf Scholz. En Thuringe, avec environ 6 % des voix, les sociaux-démocrates du SPD ont obtenu leur pire résultat depuis la réunification, tandis que les Verts ont plongé sous le seuil des 5 %. AfD a obtenu 33 % en Thuringe, bien devant la CDU avec 23,6 %. En Saxe, avec 31,5 %, les conservateurs devancent de peu l'extrême droite (30,4 %). Le succès des populistes se situe des deux côtés du spectre politique. Le nouveau parti d'extrême gauche anti-migrants et pro-russe, l'Alliance Sahra Wagenknecht, a obtenu environ 15 % en Thuringe et 12 % en Saxe.
France
Macron joue la carte socialiste avec Cazeneuve comme nouveau premier ministre - Le président français Emmanuel Macron recevra ce matin le Socialiste Bernard Cazeneuve au palais de l'Élysée dans le cadre de ses consultations en vue de la nomination d'un nouveau Premier ministre. Son nom circule depuis plusieurs jours comme possible chef d'un gouvernement de coalition, qui devrait être soutenu par le centre, la gauche modérée et la droite modérée. Ou du moins un gouvernement qui ne risque pas de tomber à l'Assemblée nationale grâce à un accord de “non-censure” entre les socialistes, les écologistes, les centristes et la droite modérée “Bernard Cazeneuve ne le demande pas, mais s'il le fait, c'est par devoir et pour éviter de nouvelles difficultés au pays”, a déclaré son entourage au Monde. Cazeneuve a été l'une des personnalités centrales de la présidence de François Hollande entre 2012 et 2017, occupant les postes de ministre des Affaires européennes, de ministre du Budget, de ministre de l'Intérieur et de Premier ministre. En 2022, Bernard Cazeneuve quitte le Parti socialiste car il s'oppose à l'alliance avec la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon autour du projet de Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale.
Géopolitique
Ursula von der Leyen contre Orban et Fico sur l'Ukraine - La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a implicitement accusé vendredi Viktor Orban et Robert Fico de vouloir “l'assujettissement de l'Ukraine” par la Russie en promouvant un faux récit sur la paix. “Aujourd’hui, certains responsables politiques au sein de notre Union, et même dans cette partie de l’Europe, brouillent notre message concernant l’Ukraine”, a déclaré Mme von der Leyen lors d'un discours prononcé au Forum Globsec. “Pourriez-vous reprocher aux Hongrois d'être responsables de l'invasion soviétique de 1956 ? Blâmeriez-vous les Tchèques pour la répression soviétique de 1968 ? La réponse à ces questions est très claire : le comportement du Kremlin était illégal et odieux à l'époque. Et le comportement du Kremlin est illégal et atroce aujourd'hui”. Selon Mme von der Leyen, “ceux qui prônent l'arrêt du soutien à l'Ukraine ne prônent pas la paix. Ils soutiennent l'apaisement et l'assujettissement de l'Ukraine. Pour elle, “la paix n'est pas simplement l'absence de guerre. La paix est un accord qui rend la guerre impossible et inutile”. En outre, “l'intégration de l'Ukraine dans notre Union européenne est pour nous au cœur de nos efforts de paix”, a déclaré Mme von der Leyen.
Borrell qualifie de “ridicules” les objections de l'Italie à la fin des restrictions sur les armes - Les raisons invoquées par le ministre italien des affaires étrangères, Antonio Tajani, pour s'opposer à la fin des restrictions sur l'utilisation sur le territoire russe des armes fournies à l'Ukraine n'ont pas été bien accueillies par le Haut Représentant, Josep Borrell. “Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie. L'OTAN n'est pas en guerre contre la Russie. L'Italie maintient sa position sur l'utilisation de nos armes à l'intérieur du territoire ukrainien”, a déclaré M. Tajani jeudi, rejetant les demandes de Kiev d'autoriser des frappes plus importantes contre la Russie. “Je pense qu'il est ridicule de dire qu'autoriser des frappes à l'intérieur du territoire russe signifie être en guerre avec Moscou”, a répondu M. Borrell vendredi. “Nous ne sommes pas en guerre contre Moscou, je pense qu'il est ridicule de dire cela. Nous soutenons l'Ukraine. L'Ukraine est attaquée depuis le territoire russe et, selon le droit international, elle peut réagir en attaquant les lieux d'où elle est attaquée. Il n'y a donc rien d'étrange à cela. On peut être d'accord ou non, mais ce n'est pas une guerre contre Moscou si certains États membres lèvent les restrictions”, a déclaré M. Borrell. Selon le haut représentant, l'opposition de l'Italie et d'autres pays est dictée par des “raisons politiques”.
L'UE tarde à fournir un million de munitions - Les ministres de la défense se sont déclarés prêts à former 15 000 soldats ukrainiens supplémentaires d'ici à la fin de l'année, mais ont rejeté la demande de Kiev d'effectuer la formation directement en Ukraine. L'UE se contentera d'ouvrir une “cellule” de la mission d'assistance militaire à Kiev, avec un personnel limité (cinq militaires), afin d'assurer la coordination avec le gouvernement ukrainien. Vendredi, M. Borrell a également révélé les derniers chiffres concernant les livraisons de munitions. “Nous avons atteint 65 % de notre objectif initial, qui était de livrer un million de munitions. Il y a eu une accélération au cours de l'été. L'industrie travaille à plein régime. Nous sommes à 65 %”, a déclaré le Haut représentant. L'objectif d'un million de munitions - qui avait en fait été porté à 1,2 million - a peu de chances d'être atteint d'ici la fin de l'année. En outre, selon l'une de nos sources, les 650 000 munitions effectivement livrées par les pays de l'UE à l'Ukraine comprennent également une partie des quelque 150 000 munitions livrées jusqu'à présent par la République tchèque dans le cadre d'une initiative parallèle.
Commission von der Leyen II
Les noms de la prochaine Commission - Vendredi, le délai donné par Ursula von der Leyen aux gouvernements pour envoyer les noms des candidats au poste de commissaire européen a expiré. La Belgique, qui est plongée dans des négociations pour la formation de son gouvernement, n'a toujours pas répondu. La Bulgarie est le seul pays à avoir répondu positivement à la demande d'Ursula von der Leyen d'envoyer deux noms - un homme et une femme - pour garantir l'égalité des sexes. Voici tous les noms des candidats nominés, leurs pays respectifs et les partis politiques européens. Allemagne : Ursula von der Leyen (PPE). Estonie : Kaja Kallas (Renew). Autriche : Magnus Brunner (PPE). Bulgarie : Ekatarina Zaharieva (PPE) et Juliano Popov (Indépendant). Croatie : Dubravka Suica (PPE). Chypre : Costas Kadis (PPE). République tchèque : Jozef Sikela (PPE). Danemark : Dan Jorgensen (S&D). Finlande : Henna Virkkunen (PPE). France : Thierry Breton (Renouveau). Grèce : Apostolos Tzitzikostas (PPE). Hongrie : Oliver Varhelyi (Patriotes). Irlande : Michael McGrath (Renouveau). Italie : Raffaele Fitto (ECR). Lettonie : Valdis Dombrovskis (PPE). Lituanie : Andrius Kubilius (PPE). Luxembourg : Cristophe Hansen (PPE). Malte : Glenn Micallef (S&D). Pays-Bas : Wopke Hoekstra (PPE). Portugal : Maria Luis Albuquerque (PPE). Roumanie : Victor Negrescu (S&D). Slovaquie : Maros Sefcovic (S&D). Slovénie : Tomaz Vesel (Indépendant). Espagne : Teresa Ribera (S&D). Suède : Jessika Roswall (PPE).
L'équilibre au sein de la prochaine Commission - Sauf changement de dernière minute, la Commission von der Leyen II sera majoritairement masculine et conservatrice. L'égalité entre les hommes et les femmes est loin d'être acquise. Mme von der Leyen risque de ne même pas respecter les critères de la directive sur l'équilibre entre les hommes et les femmes dans les conseils d'administration des sociétés cotées en bourse (40 %), faisant moins bien que ses prédécesseurs José Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker. Les gouvernements ont envoyé les noms de 18 candidats et 7 candidates. Une huitième femme pourrait arriver grâce à la décision de la Bulgarie de présenter deux candidats de sexe différent. La neuvième (qui permettrait d'égaler Barroso et Juncker) dépend de la Belgique. Mme Von der Leyen aurait fait pression sur Malte et la Roumanie pour qu'elles échangent leur candidat masculin contre une candidate féminine. Sur le plan politique également, la Commission von der Leyen II est en déséquilibre avec la majorité qui la soutient au Parlement européen. Le PPE a 13 commissaires (qui passeront probablement à 14 si von der Leyen opte pour la Bulgare Zaharieva), les socialistes 5, les libéraux 3 (qui passeront probablement à 4 avec le commissaire belge). Il n'y a pas de commissaires Verts. En revanche, l'ECR et les Patriotes, qui ont voté contre la confirmation de Mme von der Leyen, sont représentés dans le nouveau collège.
Les prochaines étapes pour la prochaine Commission - Ursula von der Leyen devrait passer la semaine prochaine à structurer sa nouvelle Commission et à interviewer les candidats, en vue de répartir les responsabilités et les portefeuilles. La présentation du nouveau collège pourrait avoir lieu le 12 septembre. La semaine suivante, à Strasbourg, le Parlement européen devrait fixer le calendrier des auditions des candidats dans les commissions parlementaires. La procédure d'audition des commissaires devant les députés européens devrait durer entre deux et trois semaines. S'il n'y a pas de rejet, le Parlement européen pourrait voter la confiance à l'ensemble du collège lors de la session plénière convoquée à Strasbourg du 21 au 24 octobre, permettant ainsi à la Commission von der Leyen II d'entrer en fonction le 1er novembre. Mais il s'agit là d'un grand “si”.
Cela se passe aujourd'hui
Présidence hongroise de l'UE : réunion informelle des ministres des Affaires européennes à Budapest
Commission : la présidente von der Leyen se rend à Bled, en Slovénie, visite les zones touchées par les inondations d'août 2023 avec le Premier ministre Robert Globo et prononce un discours lors du Forum stratégique de Bled
Commission : discours du commissaire Hoekstra à l'occasion de l'ouverture de l'année universitaire à l'université d'Eindhoven
Commission : le commissaire Wojciechowski à Chypre
Commission : la commissaire Simson à Windhoek, Namibie, assiste à un événement de l'Association namibienne de l'hydrogène vert
Cour des comptes de l'UE : rapport spécial sur l'absorption des fonds de la facilité pour la relance et la résilience (RRF)
Parlement européen : audition de Claudia Buch, présidente du conseil de surveillance unique de la BCE, au sein de la commission des affaires économiques
Eurostat : statistiques sur les principaux facteurs du changement climatique en 2022