La Communauté politique européenne: l’Europe globale en esquisse
Bonjour ! Je suis David Carretta et, avec Christian Spillmann, nous vous présentons la Matinale Européenne. Aujourd'hui, c'est le grand jour d'Ursula von der Leyen, sur qui tout ou presque a été écrit. Nous avons donc décidé de consacrer de l'espace à un autre événement important, le sommet de la Communauté politique européenne.
C'est Sébastien Maillard, conseiller spécial de l'Institut Jacques Delors et grand connaisseur de la CPE, qui nous fait l'honneur de nous expliquer les enjeux du sommet organisé au Blenheim Palace, la maison natale de Winston Churchill près d’Oxford. Merci Sébastien !
La Communauté politique européenne: l’Europe globale en esquisse
par Sébastien Maillard, Conseiller spécial de l'Institut Jacques Delors
L’Europe ne se résume pas à l’Union européenne. Quel autre pays que le Royaume-Uni peut davantage le signifier en accueillant ce 18 juillet la Communauté politique européenne (CPE) ? Plus de 45 chefs d’Etat et de gouvernement du continent entier sont attendus au somptueux Blenheim Palace, près d’Oxford, pour le 4e sommet du genre. Imaginée à l’origine par Emmanuel Macron en mai 2022, aux débuts de la guerre en Ukraine, la CPE se définit le mieux par ce qu’elle n’a pas : pas de siège, pas de budget, pas de bureaucratie, pas de conclusions. Et un ordre du jour aussi souple que les espaces mobiles du palais natal de Winston Churchill, où son lointain successeur Sir Keir Starmer recevra ses homologues. Et eux seuls.
Là est le trait dominant de cette Communauté. Elle est un club pour “Leaders only”. Uniquement les chefs d’Etat ou de gouvernement y sont conviés. Ce n’est pas une organisation intergouvernementale mais interpersonnelle. Il y a quelque chose de giscardien dans l’inspiration de ces rencontres favorisant l’échange spontané au plus haut niveau. Elles ne sont pas en effet sans rappeler l’esprit initial du G5 et du Conseil européen voulu par VGE pour installer un climat décontracté avec ses pairs. Des causeries au coin du feu ou un cadre cosy équivalent, à l’écart si possible des grandes villes, pour tenter d’infuser une “intimité stratégique”, selon l’expression forgée par le président Macron à propos de la CPE. Pour favoriser l’intimité cette fois, Downing Street a prévu un “afternoon tea”, Angleterre oblige.
Créer une atmosphère intime à plus de 45 reste une gageure. Mais ce qu’apprécient ses participants est d’abord d’y être tous traités sur un pied d’égalité, que leur pays appartienne ou non - ou plus - à l’UE, qu’il soit un jeune ou vieux candidat à l’adhésion ou jamais de la vie, qu’il soit grand ou petit. Voire minuscule : la CPE comprend également Andorre, Monaco, le Liechtenstein et Saint-Marin. Ce traitement d’égal à égal compte vis-à-vis de l’élargissement. L’un des premiers motifs pour créer ce nouveau format était précisément de disposer d’un espace qui rompt “ la nature profondément asymétrique de la relation entre l’Union et les pays qui aspirent à la rejoindre pour toute la durée du processus”, comme le justifia Alexandre Adam, alors conseiller Europe à l’Elysée. La CPE n’est pas une alternative à l’élargissement mais, pour ses aspirants, son anticipation.
Le format retenu tranche aussi avec l’inertie institutionnelle. La CPE n’est même pas une organisation à proprement parler, tant sa souplesse la distingue d’institutions établies comme l’UE, le Conseil de l’Europe, l’OSCE, l’Otan, l’OCDE,.. L’intérêt d’un énième format en surplus à ces organisations existantes a d’ailleurs interrogé à la naissance de la CPE - et continue d’interroger sérieusement à Berlin. Mais il faut croire que cette informalité apporte un air frais bienvenu par rapport à des organisations parfois engoncées dans leurs procédures. Du moins à voir la quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement se rendre assidûment à chaque sommet de la CPE : quatre tenus en moins de deux ans et d’autres programmés. Qui dit mieux ?
Ces hauts niveaux de fréquence et de fréquentation se justifient par la guerre en Ukraine. La CPE est fille de ce conflit, qui va encore l'attention des dirigeants à Blenheim Palace. Le premier sommet au château de Prague, le 6 octobre 2022, comme le suivant près de Chisinau, le 1er juin 2023, portaient en soi la charge symbolique d’un front anti-Poutine (à quelques dirigeants près, comme Vucic et Orban, chargé du prochain sommet). Cette fois encore, le lieu emblématique churchillien voudra galvaniser l’esprit de résistance contre l’envahisseur russe. Le sommet est le message. On y parlera soutien à l’Ukraine en plénière mais aussi, selon les tables rondes, lutte contre la désinformation, connectivité des infrastructures énergétiques et migration illégale. Nul doute que va aussi planer l’ombre de Donald Trump. L’ancien président sera alors investi candidat par son parti en vue de l’élection américaine du 5 novembre. Le prochain sommet de la CPE est fixé le 7 novembre, dans la foulée du scrutin présidentiel outre-Atlantique. Une victoire de Trump mettrait les Européens plus que jamais au défi d’assurer eux-mêmes leur sécurité. Le Royaume-Uni veut en être.
C’est dans ce cadre géopolitique mouvant, à l’Est et à l’Ouest, que la CPE trouve sa raison d’être. Dans un monde de plus en plus multipolaire, elle dessine en pointillés, sans l’affirmer encore, une sorte d’Europe globale, en écho à l’expression de Sud Global. Un club dont la géographie commune lie les intérêts, à défaut des valeurs , sauf celle du respect de l’intégrité territoriale. Des Européens qui se parlent entre eux. Bien que le Royaume-Uni ait convié, pour la première fois à un tel sommet, des représentants de l’Otan et de l’OSCE, ce que le contexte sécuritaire du continent peut justifier, la session inaugurale du Parlement européen au même moment à Strasbourg interdit à sa présidente Roberta Metsola et à celle de la Commission sortante, Ursula von der Leyen, de rejoindre Bleinheim. Charles Michel et Josep Borrell représenteront l’UE.
Les Anglais, que le nom même de Communauté politique européenne au départ révulsait, ne regretteront sans doute pas l’absence d’une délégation plus fournie des institutions de l’UE. S’il revient aux Vingt-Sept de s’y montrer unis, la CPE doit se garder d’apparaître trop UE centrée. Son originalité et sa force sont justement d’offrir un nouveau cadre de dialogue stratégique avec un acteur aussi incontournable pour la sécurité du continent que le Royaume-Uni, en dehors de tout contentieux et passif hérités du Brexit. C’est l’intuition originale du président Macron. La démarche est comparable avec la Turquie, bien que le président Erdogan sèche de nouveau ce sommet. La CPE permet d’associer directement cette puissance régionale à des discussions européennes nonobstant l’impasse complète dans laquelle se trouve la procédure d’adhésion d’Ankara à l’UE. La CPE permet d’enjamber ces différends pour mieux dégager des intérêts stratégiques communs à l’échelle du continent.
Et à moindre échelle aussi. Une autre caractéristique des sommets CPE, favorisés par leur informalité, est de permettre des réunions bi-tri-quadri-latérales thématiques. Au sommet inaugural de Prague, les dirigeants d’Arménie et d’Azerbaïdjan se sont rencontrés avec la France et l’UE. La Suède a plaidé son adhésion à l’Otan. A Chisinau, en Moldavie, les leaders serbe et kosovar ont échangé, avec la France, l’Allemagne et l’UE. A Grenade, le 5 octobre dernier, l’Italie et le Royaume-Uni ont parlé immigration illégale avec l’Albanie, la France et les Pays-Bas. D’autres bilatérales, comme celle avec le Kosovo, ont en revanche échoué. Cette fois, Keir Starmer compte esquisser à ses homologues de l’UE, en marge du sommet, son projet de large pacte de sécurité, dont la défense est un volet essentiel.
Outre servir de cadre à ces échanges au plus haut niveau, Paris rêverait que la CPE donne aussi une impulsion politique à des projets d’envergure, pour la jeunesse (pass interrail étendu) ou la culture (protection du patrimoine). Mais leur concrétisation butte sur l’informalité consubstantielle à la CPE, sans moyens institutionnels ou budgétaires, lesquels dépendent in fine de la Commission. La France pousse ces projets, mais sans entraîner.
Les mauvaises langues diront que finalement la CPE n’est rien d’autre qu’un “talk shop”. Quel avenir alors pour ce format ? Peu importe. La CPE ne représente pas une fin en soi mais plutôt un passage. Dans une période aussi tumultueuse, elle sert pour l’heure de cadre agile, où faire émerger les intérêts qui lient tous les Européens, de l’Islande au Caucase. Un cadre à continuer de structurer pour concevoir un futur ordre sécuritaire européen, que la menace russe et la perspective d’une autre présidence Trump rendent impérieux.
La citation
“Je suis très optimiste, comme toujours".
Manfred Weber, président du groupe PPE sur l'élection d'Ursula von der Leyen.
Majorité Ursula
La réélection d'Ursula von der Leyen aujourd'hui - Le sort d'Ursula von der Leyen se jouera ce midi, lorsque les 720 députés européens voteront sur sa reconduction à la présidence de la Commission pour un second mandat. Ursula von der Leyen a besoin de 361 voix pour obtenir la majorité absolue. Les estimations de la veille se situent entre 375 et 425 voix. Cela dépendra du nombre de déserteurs dans les groupes de sa majorité - Populaires, Socialistes et Libéraux - qui sera informellement élargie aux Verts pour l'occasion. Le moment clé ne sera pas le discours de von der Leyen en séance plénière, mais la publication de ses orientations politiques. Le document qui exposera le programme des cinq prochaines années est attendu à huit heures du matin dans les boîtes aux lettres électroniques des députés européens. “Les orientations politiques sont cruciales", nous a confié une source bien informée. La clé est de "trouver l'équilibre en termes de langage entre quatre groupes politiques différents, de la droite du PPE aux Verts", a expliqué la source.
Les thèmes de l'élection d'Ursula von der Leyen - Prospérité, sécurité et démocratie devraient être les thèmes principaux du discours d'Ursula von der Leyen devant la plénière du Parlement européen. C'est sur ces points que la présidente de la Commission a insisté lors de ses rencontres avec les groupes politiques. Sur d'autres politiques, comme l'immigration et le Green deal, l'exercice d'équilibrisme devant les eurodéputés sera plus délicat. "L'immigration est un sujet controversé", nous a confié une source. "Le Pacte vert est également délicat”. Les Verts sont prêts à accepter la neutralité technologique pour les voitures zéro émission en 2035. Le PPE exige des engagements clairs sur la possibilité de conserver le moteur à combustion avec des carburants synthétiques. Les Verts veulent des garanties sur la protection des droits de l'homme dans les politiques migratoires. Le PPE insiste sur les accords avec les pays tiers, y compris la possibilité d'externaliser les procédures d'asile. Si Mme von der Leyen s'expose trop sur l'une ou l'autre de ces questions, elle pourrait perdre des voix.
Une majorité construite sur des contacts bilatéraux - Au Parlement européen, tout le monde parle d'une majorité pro-européenne, mais il n'existe pas de coalition majoritaire formelle. Les Populaires, les Socialistes et les Libéraux n'ont signé aucun document de politique commune. C'est encore moins le cas des Verts, que le PPE veut maintenir à la marge. Ursula von der Leyen a construit son soutien uniquement par des contacts bilatéraux. Elle a rencontré individuellement les groupes et les chefs de délégation des partis nationaux. Elle a téléphoné à des députés européens ou les a vus directement. "Ursula von der Leyen n'a jamais rencontré les quatre groupes. Il n'y a eu que des rencontres bilatérales", nous a expliqué une source directement impliquée dans les négociations.
Un arrêt gênant pour Ursula von der Leyen sur les contrats de vaccins Covid - Le Tribunal de l'UE a porté un coup à Ursula von der Leyen à la veille du vote pour sa confirmation au Parlement européen dans un arrêt accusant la Commission de ne pas avoir été suffisamment transparente sur les contrats d'achat de vaccins contre le Covid-19. Les juges luxembourgeois ont partiellement fait droit à deux recours déposés par des députés européens et des citoyens qui avaient contesté le refus de la Commission de donner accès aux contrats et à certains documents. La Cour a estimé que l'infraction concerne les clauses des contrats relatives à l'indemnisation des dommages causés par les vaccins, ainsi que les déclarations d'absence de conflit d'intérêt des membres de l'équipe de négociation pour l'achat des vaccins. Ce jugement n'a rien à voir avec le PfizerGate, l'enquête lancée par un parquet belge et le Parquet européen sur les SMS échangés par Mme von der Leyen avec le PDG de Pfizer, Albert Burla, lors des négociations pour l'achat de vaccins.
The Left demande le report de l'élection d'Ursula von der Leyen - Suite à l'arrêt de la Cour de justice européenne sur les achats de vaccins par Covid, la Gauche a demandé le report de l'élection d'Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. Le groupe d'extrême gauche souhaite que les services juridiques du Parlement européen envisagent de reporter le vote jusqu'à ce que la Commission européenne ait divulgué les documents pertinents sur les vaccins. "La décision de la Cour européenne de justice prouve une fois de plus qu'Ursula von der Leyen n'a pas de boussole morale lorsqu'il s'agit de transparence ou d'intégrité", ont déclaré les coprésidents de The Left, Manon Aubry et Martin Schirdewan. "L'opacité et les conflits d'intérêts sont des thèmes récurrents dans sa trajectoire politique (...). Si des députés européens avaient encore des doutes : voter pour Ursula Von der Leyen signifie soutenir les accords en coulisses et le manque d'intégrité".
Géopolitique
Dans sa première résolution, le Parlement demande des armes pour permettre à l'Ukraine de frapper la Russie - L'acte est symbolique, mais important. La première résolution adoptée hier dans le cadre de la 10ème législature portait sur l'Ukraine. Dans cette résolution, les députés demandent à l'UE et à ses États membres d'accroître leur soutien militaire à l'Ukraine "aussi longtemps que nécessaire et sous toutes les formes requises". En outre, ils demandent aux pays de l'UE et aux alliés de l'Otan de s'engager collectivement et individuellement à soutenir militairement l'Ukraine à hauteur d'au moins 0,25 % de leur PIB annuel. Enfin, ils préconisent "la levée des restrictions sur l'utilisation des systèmes d'armes occidentaux fournis à l'Ukraine contre des cibles militaires sur le territoire russe". Un paragraphe est consacré à la "mission de paix" de Viktor Orban après son accession à la présidence tournante du Conseil de l'UE. Le Parlement européen "condamne la récente visite du Premier ministre hongrois Viktor Orban en Fédération de Russie" et "considère que cette visite constitue une violation manifeste des traités et de la politique étrangère commune de l'UE, y compris le principe de coopération loyale". Les députés demandent qu'il y ait des "conséquences pour la Hongrie".
Numérique
La Cour de l'UE contre TikTok sur la DMA - Tous les arrêts du Tribunal de l'UE n'ont pas été défavorables à la Commission hier. Les juges de Luxembourg ont rejeté un appel de Bytedance, la société qui fournit la plateforme TikTok, qui avait contesté sa désignation en tant que "gatekeeper" en vertu de la loi sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA). Le Tribunal a rappelé que l'objectif du législateur avec la DMA est de "contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en établissant des règles visant à assurer la contestabilité et l'équité des marchés dans le secteur numérique". Les juges ont estimé que Bytedance avec TikTok atteint les seuils quantitatifs pour être désigné comme un "gatekeeper" et que la plateforme est un point d'accès important pour les utilisateurs commerciaux afin d'atteindre les utilisateurs finaux. Pour le Tribunal, la Commission a appliqué correctement le DMA.
Transport
La Commission sélectionne 134 projets d'une valeur de plus de 7 milliards d'euros - La Commission a annoncé hier avoir sélectionné 134 projets de transport qui recevront plus de 7 milliards d'euros de subventions au titre du mécanisme "Connecting Europe Facility" (CEF), dédié aux investissements dans les infrastructures stratégiques. Cette aide vise à améliorer et à moderniser le réseau ferroviaire, les voies navigables et les routes maritimes de l'UE le long du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Les projets ferroviaires recevront 80 % des 7 milliards d'euros. Le financement ira à des projets majeurs visant à améliorer les connexions ferroviaires transfrontalières le long du réseau RTE-T principal, dans les États membres baltes (Rail Baltica), entre la France et l'Italie (Lyon-Turin) et entre le Danemark et l'Allemagne (tunnel de Fehmarnbelt). Une vingtaine de ports maritimes en Irlande, en Espagne, en Finlande, aux Pays-Bas, en Allemagne, à Malte, en Lituanie, à Chypre, en Croatie, en Grèce et en Pologne bénéficieront d'une aide pour la modernisation de leurs infrastructures. Les travaux sur les infrastructures fluviales amélioreront les connexions transfrontalières entre la France et la Belgique dans le bassin Seine-Escaut et entre la Roumanie et la Bulgarie sur le Danube.
Ce qui se passe aujourd'hui
Parlement européen : session plénière à Strasbourg (élection du candidat à la présidence de la Commission)
Sommet de la Communauté politique européenne à Blenheim Palace au Royaume-Uni
Banque centrale européenne : conférence de presse de la présidente Lagarde à l'issue de la réunion du conseil des gouverneurs
Comité économique et social : audition publique sur le changement climatique et son impact sur l'économie
Eurostat : données sur la production dans le secteur de la construction en juin ; données sur l'emploi dans les plateformes numériques en 2022