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La Convention de Genève sur les réfugiés trop encombrante pour l'UE
La prochaine étape dans la construction de la forteresse Europe contre les migrants sera-t-elle la demande de l'Union européenne de réviser la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés ? La présidence polonaise du Conseil de l'UE a évoqué cette possibilité dans un document – "discussion paper" – distribué aux ministres de l'Intérieur lors de leur réunion informelle hier à Varsovie. Ce thème n'est pas encore une priorité. Mais le simple fait que cette possibilité soit mentionnée montre à quel point les règles du droit international qui garantissent l'asile aux persécutés sont devenues trop encombrantes pour les États membres de l'UE. De plus en plus de gouvernements effectuent des refoulements aux frontières, niant le droit de demander l'asile. La Commission reste silencieuse, regardant au mieux de l'autre côté, au pire devenant complice par omission des violations du droit international.
Les ministres de l'Intérieur de l'UE hier se sont concentrés sur les rapatriements. “Nous travaillons sur de nouvelles règles plus strictes”, a déclaré le commissaire aux Affaires intérieures, Magnus Brunner. “Personne ne comprend pourquoi les personnes qui ne peuvent pas rester ne sont pas rapatriées.” Le commissaire a confirmé que les centres de rapatriement dans des pays tiers, en dehors du territoire européen, pourraient faire partie des soi-disant “solutions innovantes”. Un autre modèle innovant soutenu par la Commission est le mémorandum signé par l'Italie avec l'Albanie pour externaliser les procédures d'asile. Le gouvernement de Giorgia Meloni vient de le réactiver, bien que les tribunaux italiens aient contesté à deux reprises le mécanisme des “procédures accélérées aux frontières”, car cela remet en question certains principes du droit d'asile établis par la Convention de Genève.
La Convention sur le statut des réfugiés de 1951 est née des cendres des persécutions nazies et de la Seconde Guerre mondiale. Signée par 144 États, elle définit le terme "réfugié" et précise tant les droits des migrants demandeurs d’asile que les obligations légales des États de les protéger. Le principe fondamental est celui du non-refoulement, qui stipule qu'aucun réfugié ne peut être renvoyé dans un pays où sa vie ou bien sa liberté pourraient être gravement menacées. Aujourd'hui, le principe de non-refoulement est considéré comme une norme de droit international coutumier. Mais au sein de l'UE, de plus en plus de gouvernements remettent cela en question avec leurs politiques menées au nom de la sécurité des frontières et de la lutte contre l'immigration irrégulière.
Le "discussion paper" de la présidence polonaise suggère que les réglementations internationales et européennes sur le droit d'asile ne sont plus adéquates face au phénomène migratoire actuel. "Ces principes ont été développés après la fin de la Seconde Guerre mondiale et étaient caractérisés par une situation géopolitique très différente de celle d'aujourd'hui", indique le document. En 1951 et dans les décennies suivantes, les flux de candidats à l'asile étaient de loin inférieurs à ceux d'aujourd'hui. La crise des réfugiés syriens de 2015-2016, avec plus d'un million de personnes traversant les frontières de l'UE, a tout changé. Le rejet des migrants par les citoyens et les électeurs, avec la montée des partis d'extrême droite lors des sccrutins, a créé un sentiment d'urgence supplémentaire pour les gouvernements. L'utilisation des migrants comme une arme hybride (de la part de la Biélorussie et de la Russie depuis 2020) ou de chantage politico-financier (de la part de la Turquie ou de la Libye, à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie) est une autre raison invoquée pour suspendre les règles d'asile.
C'est sur la base de ces raisons politiques que la Commission a fermé les yeux ou consenti à des dérogations aux règles internationales sur la protection des réfugiés. L'Italie a conclu des accords avec la Libye et la Tunisie pour externaliser les refoulements par l'interception des migrants en mer, en utilisant les financements de l'UE. La Grèce a récemment été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour avoir pratiqué des refoulements de manière systématique, mais la Commission n'a rien trouvé à redire. A la frontière entre la Turquie et la Bulgarie, trois mineurs égyptiens sont morts de froid à Noël parce que la police bulgare avait refusé de les secourir dans la forêt de Burgas. Des centaines d'abus contre des migrants cherchant à traverser la frontière ont été enregistrés en Croatie. Au mieux, la Commission a demandé des explications. Ses porte-parole sont restés silencieux hier lorsque les journalistes ont demandé si la motion adoptée par le Bundestag allemand, à l'initiative du leader de la CDU, Friedrich Merz, et avec les votes du mouvement d'extrême droite AfD, prévoyait de refouler les demandeurs d'asile à la frontière.
L'utilisation des migrants comme arme politique a poussé la Commission à donner son approbation à la suspension du droit d'asile. L'institution n 'a pas réagi à la loi adoptée par la Finlande en juillet 2024 qui autorise les gardes-frontières à refouler les migrants tentant d'entrer dans le pays depuis la Russie. En décembre dernier, elle a approuvé un projet de loi polonais visant à introduire une suspension territoriale de la possibilité de demander l'asile pour les migrants qui franchissent la frontière avec la Russie et la Biélorussie. La suspension des droits fondamentaux peut être autorisée "si elle est proportionnée, temporaire et limitée à ce qui est strictement nécessaire" pour faire face à une menace à la sécurité, a déclaré la Commission dans ses lignes directrices. Ce sont "les situations exceptionnelles dans lesquelles les États membres peuvent adopter également des mesures exceptionnelles", a expliqué Henna Virkkunen, la vice-présidente de l'institution . "Ils peuvent limiter l'exercice du droit d'asile, mais cela doit se faire dans des conditions très strictes".
Selon le “discussion paper” de la présidence polonaise, les "limitations à l'application" du droit d'asile actuellement prévues pour des “situations extraordinaires" ne sont plus suffisantes. "Il est important de considérer si la situation actuelle est simplement temporaire ou si elle est déjà une nouvelle réalité. Si cette dernière hypothèse est vraie, invoquer la nature extraordinaire de la situation ne peut justifier l'utilisation de seules normes dérogatoires et elle doit être envisagée dans un cadre plus large face aux défis que nous rencontrons", indique le document. Pour cette raison – selon la présidence polonaise – il est nécessaire de "stimuler le débat sur la question au niveau international. L' absence d'alternatives à l'acceptation des demandes de protection internationale et le respect du principe de non-refoulement nécessitent certainement une discussion approfondie". Traduction : il faut un débat sur la révision de la Convention de Genève de 1951.
Car la Convention de Genève représente un obstacle à des mesures toujours plus radicales de l'UE contre les migrants et les demandeurs d'asile. Que ce soit la révision du concept de "pays sûr", que la Commission envisage de proposer, ou l'idée de créer des centres externes à l'UE où amener les candidats à l'asile en attente d'une décision concernant leur protection internationale, le principe de non-refoulement limite la marge de manœuvre. De plus, la Convention de Genève – avec la Charte des droits fondamentaux de l'UE – peut être utilisée par la Cour de justice de l'UE pour contester ou déclarer illégales certaines réglementations européennes ou nationales qui dépassent les limites de ce qui est permis par le droit international sur les réfugiés. La tentative de la présidence polonaise de briser le tabou de la Convention de Genève a un mérite : mettre fin à l'hypocrisie d'une UE qui prétend regarder avec horreur Donald Trump tandis qu'il déporte des migrants illégaux, tout en refoulant avec les demandeurs d'asile.
La citation
"Guten Morgen, Deutschland ! Bienvenue au club !".
Viktor Orban, après l’adoption d’une motion de la CDU-CSU grâce aux voix de l'AfD pour durcir les politiques migratoires.
Migration
Merkel dénonce l’erreur commise par Merz - La famille démocrate chrétienne se divise en Allemagne après l’adoption d’une motion anti-migrants déposée par la CDU-CSU au Bundestag grâce au soutien du mouvement d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). L’ancienne chancelière Angela Merkel a dénoncé “l'erreur” commise par le candidat de la CDU Friedrich Merz d’avoir “accepté les yeux ouverts, pour la première fois, une majorité avec les voix de l’AfD lors d'un vote au Bundestag allemand” et sa prise de position fait la une de la presse allemagne. Merkel a appelé les partis démocratiques à travailler ensemble et à rejeter “les manœuvres tactiques” avant le vote aujourd'hui d’une proposition de loi sur la migration déposée par la CDU-CSU. La motion adoptée mercredi n’a pas de caractère contraignant. Elle exhorte le gouvernement à restreindre l'immigration, en particulier à rejeter les demandeurs d'asile à la frontière. Lors de la crise provoquée par les réfugiés syriens en 2015-2016, Angela Merkel avait refusé de renvoyer les demandeurs d’asile passés par la Grèce, pays de première entrée dans l’UE, en raison des mauvaises conditions d’accueil réservées par les autorités grecques.
Merz droit dans ses bottes - “Je veux des majorités au centre politique. Mais je ne suis plus disposé à laisser une minorité me dissuader de voter sur une question qui est juste. Notre proposition est correcte et nécessaire sur le fond”, a déclaré Friedrich Merz. Favori pour devenir chancelier après les élections législatives du 23 février, le chef de file de la CDU est toutefois embarrassé par la polémique et les critiques au sein de son parti. Merz a proposé de tenir de nouvelles discussions sur la migration avec les sociaux-démocrates (SPD) au pouvoir et les Verts avant le vote de la proposition de loi sur la migration prévu aujourd’hui.
Les socialistes européens attisent la polémique - “Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les conservateurs allemands (CDU/CSU) ont adopté une motion anti-migrants avec le soutien de l'AfD d'extrême droite. Friedrich Merz vient de briser un cordon sanitaire vieux de 80 ans contre l'influence de l'extrême droite - pour des gains politiques mesquins. Un signal dangereux. Une erreur impardonnable”, a déploré le groupe socialiste au Parlement européen dans un communiqué.
Les Allemands partagés sur la stratégie de Merz - 47% approuvent la motion anti-immigration de CDU/CSU adoptée avec les voix de l'AfD mais 48% se disent contre, selon un sondage publié par la ZDF cité par le journaliste Pascal Thibaut, auteur de la lettre d’information Lettre d’Allemagne. Les 2/3 des sympathisants chrétiens-démocrates soutiennent cette stratégie, mais 2/3 des Allemands soutiennent le refus d’une coopération officielle avec l'AfD et 31% regrettent la position de la CDU. 7 Allemands sur 10 considèrent l'AfD comme un danger pour la démocratie, 41% plaident pour l'interdiction du parti; mais 54% y sont opposés.
L'UE et Munsk
Douze pays exercent des pressions sur la Commission pour utiliser le DSA contre les interférences - Les ministres des affaires européennes de douze pays ont écrit à la vice-présidente de la Commission, Henna Virkkunen, et au commissaire à la Justice, Michael McGrath, pour les inciter à agir contre les ingérences dans les démocratie européennes à travers les plateformes en ligne. “Les menaces croissantes d'interférences étrangères et d'interventions perturbatrices dans les débats publics lors d'événements électoraux clés représentent un défi direct à notre stabilité et à notre souveraineté. Les incidents récents nécessitent une action urgente et unie pour défendre les prochaines élections dans l'UE et dans les pays candidats à l'UE.” La Commission doit “entreprendre des actions déterminées pour protéger l'intégrité des processus électoraux européens. Les États membres, unis par des valeurs communes de démocratie et de primauté du droit, ont confié à la Commission la responsabilité unique de sauvegarder ces principes. Par conséquent, nous appelons la Commission à respecter ce mandat avec une détermination inébranlable.” La dureté du tn laisserait-il comprendre que la présidente de l’institution 'Ursula von der Leyen n'a pas voulu le faire ? La Belgique, Chypre, la Croatie, la République tchèque, le Danemark, la France, l'Allemagne, la Grèce, les Pays-Bas, la Roumanie, la Slovénie et l'Espagne exhortent la Commission à “exploiter pleinement les pouvoirs conférés par le Digital Services Act (DSA) pour atténuer les risques éventuels et à accélérer les enquêtes en cours. Ces mécanismes doivent être utilisés sans hésitation.”
Vroum vroum
Von der Leyen annonce un plan d'action pour l'automobile le 5 mars - La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a présidé hier la première réunion du dialogue stratégique sur l'avenir de l'industrie automobile en Europe. Vingt-deux acteurs du secteur se sont assis autour de la table. Les constructeurs allemands étaient tous présents. Stellantis n'a pas pu participer car son PDG, John Elkann, avait des problèmes d'agenda. Le dialogue sera rapide. Von der Leyen a annoncé que la Commission présentera le plan d'action pour l'automobile le 5 mars prochain. La rédaction va-t-elle être confiée aux services de la Commission ou bien le plan a été déjà préparé par le cabinet de la présidente en concertation avec certaines capitales ? Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a déclaré que von der Leyen avait accepté son idée d'un plan européen pour fournir des incitations financières à l'achat de véhicules électriques pour soutenir les constructeurs en difficulté. L'Allemagne insiste également pour atténuer les amendes milliardaires que certains constructeurs risquent d'avoir à payer pour ne pas avoir atteint les objectifs de réduction des émissions d'ici fin 2025. “Ce plan d'action tracera un chemin clair pour garantir que le secteur puisse prospérer en Europe et rivaliser avec succès sur la scène mondiale”, a déclaré von der Leyen.
Euro
La BCE réduit (et réduira) les taux pour contrer la stagnation - Malgré une inflation persistante, la Banque centrale européenne a décidé hier de réduire les taux d'intérêt pour la quatrième fois consécutive, annonçant la possibilité d'un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire pour faire face à la faible croissance de la zone euro et aux risques d'une guerre commerciale avec les États-Unis. Le taux de référence des dépôts a été abaissé de 25 points de base, se chiffrant à 2,75 %. Les taux ont diminué au total de 1,25 point de pourcentage par rapport au pic de septembre 2023. Sans s'engager sur un calendrier précis, la présidente Christine Lagarde a annoncé que d'autres baisses pourraient suivre. “Il est trop tôt pour considérer quand nous devrions arrêter de baisser les taux”, a déclaré Lagarde. “Nous savons dans quelle direction nous voulons aller, et c'est celle que nous prendrons.” Hier, Eurostat a annoncé que la croissance dans la zone euro avait été stagnante au quatrième trimestre 2024.
La BEI vise des investissements records dans la défense, le climat, le logement et la technologie – La présidente de la Banque européenne d’investissement, l’Espagnole Nadia Calviño, a présenté hier les résultats de la BEI pour 2024 (qui reflètent les dépenses les plus élevées de l’histoire de l’institution en matière de transition climatique) et, surtout, a mis en avant les priorités pour 2025 et les années suivantes. Calviño a expliqué que le bras financier de l’UE investira environ 95 milliards d’euros et a souligné les mêmes priorités que celles que la Commission européenne avance depuis des semaines : soutien à l’industrie de la sécurité et de la défense, transition climatique, logement abordable et durable, et nouvelles technologies. Calviño a précisé que ses plans visent à "intensifier le soutien aux technologies de pointe, y compris les technologies propres, l’intelligence artificielle, les puces, l’informatique quantique et haute performance, les sciences de la santé et les technologies médicales, ainsi que la capacité industrielle de pointe de l’Europe". La part allouée à la défense reste très faible, à environ 2 milliards d’euros en 2025, mais elle double par rapport à 2024.
Norvège
Le gouvernement tombe à cause d'un différend sur une directive de l'UE - La Norvège n'est pas un pays membre de l'UE, mais en faisant partie de l'Espace économique européen, qui lui permet de faire partie du marché intérieur, elle est obligée d'incorporer la législation communautaire. Comme le montre le conflit sur l'alignement réglementaire avec le Royaume-Uni après le Brexit ou les conflits périodiques avec la Suisse, le sujet est politiquement explosif. Hier, le gouvernement norvégien est tombé à cause de la volonté du Premier ministre, Jonas Gahr Store, de mettre en œuvre trois directives de l'UE dans le secteur de l'énergie. Le parti eurosceptique faisant partie de la coalition, le Parti du Centre, a décidé de quitter le gouvernement. “Nous ne devons pas céder plus de pouvoir à l'UE”, a déclaré son dirigeant Trygve Slagsvold Vedum, qui est également ministre des Finances. Jonas Gahr Store, leader du Parti travailliste, pourrait rester au pouvoir avec un gouvernement minoritaire jusqu'aux élections prévues le 8 septembre.
Ce qui se passe aujourd'hui
Présidence polonaise de l'UE : réunion informelle des ministres de la Justice à Varsovie
Commission : séminaire du collège des commissaires
Eurostat : données sur les financements des gouvernements pour la recherche et le développement ; données sur les salaires minimums au premier semestre ; données sur les émissions de gaz à effet de serre en 2023
Vu les développements géopolitiques en cours et les eaux troubles et imprévisibles dans lesquelles l’Europe est entraînée, une révision des grands textes de l’après-guerre qui encadrent la question des réfugiés pourrait tout à fait se retourner contre les Européens vivant près des lignes de fracture d’abord, contre les autres ensuite. Ce serait de la présomption historique que de croire que la condition de réfugié ne toucherait jamais que les autres.