La Matinale été: la France s’embourbe dans la crise, l’Europe se disperse
Bonjour ! Comme les institutions européennes, la Matinale Européenne est en vacances pour quelques semaines. Mais pendant la pause estivale nous voulons continuer à vous proposer ponctuellement nos analyses.
Aujourd'hui, Christian se penche sur la crise politique dans laquelle la France s'est plongée et sur ses répercussions pour l'Europe à l'aube de la nouvelle législature.
La France s’embourbe dans la crise, l’Europe se disperse.
La France est à la peine avec une grave crise politique, l’Allemagne regarde vers l’Angleterre pour de nouvelles alliances, l’Italie est au coin, ostracisée par le positionnement hostile de Giorgia Meloni et la Hongrie se laisse lentement conduire vers un “exit” par Viktor Orban: l’UE est sortie des Européennes dans un piètre état et recoller les morceaux pour relancer la machine en septembre sera une gageure pour Ursula von der Leyen.
Les Français aiment se détester. La dissolution de l’Assemblée nationale au lendemain de la victoire de l'extrême droite aux Européennes a rebattu les cartes. Le Rassemblement national a été bloqué au deuxième tour des législatives par un Front patriotique, mais il n’aura duré qu’un scrutin. Le pays s'est embourbé depuis dans une crise politique dont personne ne voit l’issue. La gauche radicale crie victoire et veut imposer une inconnue, Lucie Castets, au poste de premier ministre sans lui avoir assuré les soutiens pour une majorité. La candidate multiplie les faux pas et les annonces inquiétantes, comme le refus de respecter le Pacte de Stabilité et de Croissance qui lie les pays de la zone euro.
Emmanuel Macron a rejeté sa candidature et a donné un mois aux “formations républicaines” pour s’entendre, à l'image des partis de la coalition pro-européenne au Parlement européen. Mais l’Europe n’inspire guère les Français. Même les Jeux Olympiques ne parviennent pas à apaiser les tensions, comme en témoignent les polémiques sur la cérémonie d’ouverture. Le monde entier a admiré le spectacle conçu sur la Seine, au cœur de Paris, mais les détracteurs d’Emmanuel Macron à l'extrême droite comme à l'extrême gauche l’ont détesté et déversent leur bile hostile sur les réseaux sociaux où elle est instrumentalisée. La France est incurable et Macron, affaibli, n’a plus la main en Europe.
Cette situation préoccupe les dirigeants allemands. Les relations entre Paris et Berlin sont difficiles, mais les deux pays ont chacun besoin de l’autre et l’Union n’avance que lorsqu’elle est tirée par le moteur franco-allemand. Or le modèle allemand, fondé sur le gaz russe bon marché, les exportations avec la Chine et la sécurité assurée par les Etats-Unis, ne fonctionne plus, soulignent Ulrike Franke et Jana Puglierin dans une analyse pour le European Council on Foreign Relations (ECFR). L’Allemagne doit prendre ses distances et s’ouvrir car une trop forte dépendance à la France et aux Etats-Unis pourrait devenir un problème, soutiennent les deux analystes.
“La France vient peut-être d’éviter un gouvernement d’extrême-droite, mais Marine le Pen pourrait bien devenir présidente de la République en 2027 et son parti, le Rassemblement national pourrait remporter une majorité parlementaire lors des prochaines élections législatives”, avertissent les deux analystes. “Plus important encore, le sentiment anti-allemand français ne se limite pas au RN. Le succès électoral du groupe de gauche Nouveau Front populaire a amené 74 membres du parti La France insoumise (LFI) au Parlement, dont le leader Jean-Luc Mélenchon est notoirement anti-allemand”, ajoutent-elles. “Le RN et LFI ont plaidé pour la sortie de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN et, dans le cas de LFI, pour une sortie totale de l’Otan” .
De l’autre côté de l’Atlantique, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche à l’issue de l'élection présidentielle de novembre aux Etats-Unis posera problème à l’Allemagne qui était “l’une de ses cibles favorites durant sa présidence”. “Trump pourrait encore vouloir sortir les États-Unis de l’Otan, ou affaiblir l’organisation à un point tel qu’elle perde la majeure partie de son pouvoir protecteur (…) L’Allemagne devrait viser à être moins dépendante singulièrement et à travailler avec d’autres acteurs, tels que la Pologne, le Royaume-Uni et les pays nordiques. L’Allemagne est de plus en plus seule, elle doit donc être préparée”, concluent les deux analystes.
Le chancelier Olaf Scholz est déjà à la manœuvre, affirme Alexandra de Hoop Scheffer, analyste du German Marshall Fund, dans un entretien avec la journaliste Caroline de Gruyter publié par le quotidien néerlandais NRC Handelsblad. “L'influence française en Europe diminue après les élections françaises. Le chancelier Olaf Scholz profite de cette occasion pour diluer l’influence française en faisant appel aux Britanniques. Il noue également des alliances dans d'autres domaines pour contrer la France. Dans le domaine financier et économique, par exemple, il se retourne vers les pays frugaux , dont les Pays-Bas, pour empêcher l'introduction des euro-obligations pour la défense, que préconise la France”, soutient Alexandra de Hoop Scheffer. “L’Allemagne utilise deux stratégies à la fois : elle construit de nouvelles coalitions au sein de l’UE pour affaiblir la France et, pour des questions plus vastes comme la politique étrangère, elle fait appel aux Britanniques”, explique-t-elle.
Investie pour un second mandat à la tête de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen est très attendue. Son mois d’août sera consacré à la constitution de sa nouvelle Commission. Fin juillet, quatorze pays avaient désigné leurs candidats commissaires sans respecter la demande de la présidente de lui soumettre deux noms, un homme et une femme. L’Allemagne est représentée par Ursula von der Leyen, l’Estonie par Kaja Kallas, nommée par les Etats au poste de Haut Représentante pour la politique extérieure avec rang de Vice-Présidente et cinq candidats étaient déjà en fonctions dans la commission sortante: le Français Thierry Breton, le Letton Valdis Dombrovskis, le Slovaque Maros Sefcovic, le Hongrois Oliver Varhelyi et le Néerlandais Wopke Hoekstra. Les sept autres postulants désignés sont l’Espagnole Teresa Ribera, la suédoise Jessika Roswall, la Finlandaise Henna Virkkunen, le Slovène Tomaž Vesel, l’Irlandais Michael McGrath, le Tchèque Jozef Síkela et le Maltais Glenn Micallef.
Les Etats membres ont jusqu’au 30 août pour désigner leurs candidats. L'attribution des portefeuilles sera une indication des grands axes de la politique qu’entend mener Ursula von der Leyen. Les candidats seront ensuite auditionnés au Parlement européen en septembre et octobre. Certains pourraient être recalés. La présidente et ses plumes ont en revanche échappé à la rédaction de son discours sur l'État de l’Union. “On a pas ce discours l’année des élections, vu qu’on est au milieu de la formation de la nouvelle Commission”, nous a expliqué un responsable européen. Instauré par le traité de Lisbonne en 2009, le SOTEU (State ot the European Union) dresse le bilan de l’année passée et trace les grandes lignes pour l’avenir de l’Union européenne.
D’autres écrirons le bilan du premier mandat d’Ursula von der Leyen et l’Italien Mario Draghi se chargera de décrire les défis les plus pressants pour l’Union européenne et de donner des solutions dans son intervention pour la présentation de son rapport sur la compétitivité de l’UE attendue fin septembre. Mais tout cela n’aura aucun sens si la France reste ingouvernable. “Cette mauvaise passe intervient au plus mauvais moment. Si elle dure, on va voir des divisions en Europe. L’Allemagne, qui a énormément de moyens, pourrait vouloir jouer solo. La France risque de tout perdre et l’Europe pourrait se casser”, nous a confié un responsable européen très préoccupé par la paralysie française.