La Matinale été: Offensive ukrainienne, ambiguïtés européennes.
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Aujourd'hui, Christian revient sur la guerre de la Russie contre l'Ukraine et explique les ambiguïtés des alliés européens de Kiev malgré l'avancée surprise de l'armée ukrainienne à Koursk.
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Offensive ukrainienne, ambiguïtés européennes
La meilleure défense c’est l'attaque… pour parer un coup de l’ennemi et organiser la défense du territoire conquis. Contraints par le Kremlin à une guerre d’attrition dans le Donbass, Volodymyr Zelensky a lancé ses forces dans une attaque en Russie. Elles sont entrées début août dans l'oblast de Koursk, ont défait les troupes de Poutine, pris le contrôle d’une vaste portion de territoire et préparent sa défense. Mais pour cela, il faut que l’intendance fournie par les alliés suive. Or elle tarde. Le président Ukrainien a lancé dimanche un appel pressant aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à la France. Mais les alliés de l’Otan font la sourde oreille. Est-ce tactique, pour ne pas alimenter la rhétorique russe, ou voulu, par crainte d’une internationalisation du conflit ? L'ambiguïté stratégique est difficile à comprendre.
Kiev a annoncé avoir pris le contrôle de 1.250 km2 et isolé une autre zone de 650 km2 avec la destruction de trois ponts sur la rivière Seym. “A l’heure actuelle, la zone frontalière russe en face de notre région de Soumy est en grande partie débarrassée de toute présence militaire russe. C’est l’un des objectifs de notre opération”, a annoncé lundi le président Zelensky. L’idée est d'en faire une zone tampon, mais également d’avoir des gages pour négocier avec les Russes. Pour l'heure, Moscou refuse de discuter avec Kiev et poursuit ses attaques dans les secteurs des villes de Pokrovsk et Toresk, dans l'est de l'Ukraine. Les autorités ukrainiennes ont ordonné l'évacuation de Pokrovsk.
Deux fers au feu, c’est lourd pour l'Ukraine. “Nos troupes font un travail remarquable dans tous les domaines dans la région de Koursk. Mais en ce qui concerne les approvisionnements de nos partenaires, il faut que les choses s'accélèrent. En temps de guerre, il n’y a pas de vacances. Il faut prendre des décisions, il faut que la logistique soit mise en place en temps opportun pour les programmes d’aide promis. Je m’adresse en particulier aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à la France”. Volodymyr Zelensky est direct. L’Ukraine attend de ses partenaires une décision sur l‘utilisation des capacités à longue portée pour arrêter l’avancée de l’armée russe, a-t-il expliqué.
Mais l’Ukraine semble avoir été reléguée au second plan des préoccupations des alliés de l’Otan. Les Etats-Unis sont en pleine campagne pour la présidentielle de novembre et personne dans le camp démocrate ne veut prendre le risque d’une escalade avec Moscou. Aider l'Ukraine à se défendre, oui. Mais pas à passer à l'offensive. Vladimir Poutine, lui, mise sur la victoire du camp Républicain et espère le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
Le président russe pousse ses forces à l'attaque. Peu lui importe le nombre de vies perdues. Mais il évite tout faux pas pour ne pas braquer les Américains. En revanche, il active ses partisans et ses complices en Europe pour déstabiliser les gouvernements des pays les plus engagés aux côtés de l’Ukraine et cela marche plutôt bien. Le constat est une débandade généralisée. La France est en plein marasme politique, avec trois blocs antagonistes, dont deux, l’extrême droite et l’extrême gauche, sont favorables à une paix aux conditions de Moscou et Emmanuel Macron attend l'émergence d’une coalition pour désigner un nouveau Premier ministre. En affaires courantes, peu de décisions sont donc attendues. L'Italie de Giorgia Meloni est partagée avec un parti du gouvernement, La Lega, ouvertement pro-russe. Elle tremble lorsque le Kremlin hurle et obéit à ses injonctions, comme l’a montré le rappel d’une équipe de la télévision italienne entrée en Russie dans le sillage des forces ukrainiennes.
Le Royaume Uni assure que son soutien est inébranlable, mais le gouvernement de Keir Starmer est dans la tourmente avec les troubles provoqués par une extrême-droite chauffée à blanc par l’activisme d’Elon Musk qui a jugé une guerre civile inéluctable dans le pays dans un message posté sur le réseau X dont il est le propritaire. Le commissaire Thierry Breton l’a mis en garde, mais il a été immédiatement désavoué par Ursula von der Leyen, ce qui laisse penser que le second mandat de l’Allemande à la tête de la Commission européenne va être conflictuel et décevant. L’Otan est en train de changer de capitaine et s’est mis politiquement aux abonnés absents. Son secrétaire général Jens Stoltenberg est en vacances en même temps que son adjoint, lui aussi en fin de mandat, et le Néerlandais Mark Rutte ne prend ses fonctions qu’en octobre.
Mais le plus décevant est le gouvernement allemand, qui compte ses sous et son soutien à Kiev. Pour réaliser des économies afin de boucler son budget, il a décidé de réduire de moitié en 2025 les montants alloués aux aides militaires bilatérales accordées à l’Ukraine. “Si l'Allemagne ne parvient pas à trouver 3 milliards d'euros sur un budget de 481 milliards d'euros pour soutenir l'Ukraine dans sa lutte existentielle pour l'avenir de l'Europe, pourquoi la Russie croirait-elle que l'Allemagne viendrait en aide à ses alliés d'Europe de l'Est en temps de guerre ?”, a déploré l'analyste Ulrich Speck. Mujtaba Rahman, du centre Eurasia, est tout aussi cinglant. lorsqu'il dénonce un “autre excellent exemple de la manière dont la politique intérieure (dans ce cas, allemande) et les contraintes budgétaires obsolètes sapent les ambitions géopolitiques de l'Europe - et sa crédibilité”.
“L'Allemagne est et reste le plus fervent partisan de l'Ukraine en Europe. Et nous poursuivons notre soutien avec un prêt de 50 milliards d'euros que nous lançons avec le G7. Cela permet à l’Ukraine de se procurer des armes à grande échelle. Elle peut s’appuyer sur cela”, s’est défendu le chancelier Olaf Scholz. Mais Kiev est perdant, car un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, dit le proverbe. Pour compenser la réduction de son aide bilatérale, Berlin mise sur un prêt qui doit être garanti par les futurs intérêts produits par les actifs russes immobilisés. Les fonds seront-ils disponibles dès 2025 ? Et le chancelier ne dit pas que la réduction du soutien de l'Allemagne ruine les annonces de financements de l’Otan, car elles sont la somme des contributions bilatérales des pays membres de l’Alliance.
“Je ne serai jamais un Président aussi génial que vous. Aussi méritant que vous”. L’hommage rendu par Alain Delon lors d’un entretien en visioconférence avec le président Zelensky en 2022 et rediffusé après l'annonce de son décès dimanche a touché par la sincérité de l’acteur et sonné comme un rappel à l'ordre pour les dirigeants de l’alliance. Le soutien à l’Ukraine a cédé le pas devant les calculs et la confiance de Kiev s’est évanouie. “Il y a quelques mois, si l’on avait entendu parler de notre projet d’opération dans la région de Koursk, beaucoup de gens dans le monde auraient dit que c’était impossible et que cela dépassait la ligne rouge la plus stricte de toutes celles tracées par la Russie. C’est pourquoi personne n'était au courant de nos préparatifs”, a confié Volodymyr Zelensky.