Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Le Proche Orient, tombeau de l’Europe puissance et de la Commission géopolitique
L’aide au développement et ses financements sont des instruments de la politique étrangère de l’UE. Ils sont gérés par la Commission européenne, mais leur utilisation politique à des fins punitives contre les Palestiniens divise les Européens et dessert l’ambition de l’Union d’être un acteur impartial sur la scène internationale. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, réunit aujourd’hui les ministres des Affaires étrangères européen en format Développement pour tenter de parvenir à une position commune sur l’UNRWA. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens est clouée au pilori par certains membres de la Commission, partisans de lui retirer l’aide européenne après les allégations portées contre une douzaine de ses employés à Gaza, accusés d’avoir participé aux horreurs commises par le Hamas lors de l’attaque sur le territoire d'Israël le 7 octobre 2023.
Le commissaire général de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, a été invité à cette réunion. Il doit expliquer aux Etats membres les mesures prises par l’agence après ces allégations. Une mission a été confiée à l’ancienne ministre des Affaires étrangères française Catherine Colonna, assistée par l’Institut suédois Raoul Wallenberg, l’institut norvégien Chr. Michelsen et l’institut danois pour les droits de l’homme. L’Etat hebreu a demandé son limogeage après la découverte par ses militaires de serveurs informatiques dans un local souterrain sous le siège de l’UNRWA à Gaza considéré comme un “centre de données” de l’organisation terroriste. “L'UNRWA ne sait pas ce qui se trouve sous son siège à Gaza”, s’est défendu Philippe Lazzarini. M. Lazzarini a précisé ne “pas avoir été informé officiellement” par les autorités israéliennes de la découverte de ce tunnel. “Ces rapports méritent une enquête indépendante qu'il n'est actuellement pas possible d'entreprendre étant donné que Gaza est une zone de guerre active”, a-t-il déclaré.
La guerre déclarée au Hamas par Israël et la destruction de Gaza ont enflammé les passions dans l’UE, ravivé les antagonismes au sein de la Commission, divisé les Etats membres et provoqué l’animosité contre l’UE un peu partout dans le monde. Ursula von der Leyen a allumé l’incendie lorsqu’elle a voulu faire de la politique étrangère en se rendant à Tel Aviv le 13 octobre et en décidant de politiser l’aide au développement de l’UE avec l’annonce de la suspension des financements pour les Palestiniens. Cette incursion dans un domaine hors de son champ de compétence, sans informer Josep Borrell ni consulter les États membres, et sans rappeler au Premier ministre isralélien Benyamin Netanyahou l’obligation réclamée par les Etats de l’UE de respecter le droit international et de protéger les populations civiles, est lourde de conséquences."Elle a commis une erreur. On ne peut pas assimiler les Palestiniens au Hamas. Elle est tombée dans le piège et elle va le payer très cher avec les massacres à Gaza", a déploré un diplomate de haut rang. Un sommet européen extraordinaire a été convoqué le 17 octobre en visio-conférence pour “rétablir la position et l'image de l'UE", mais le mal était fait. Et tous les efforts diplomatiques déployés par Josep Borrell pour rallier des soutiens aux sanctions contre la Russie ont été ruinés.
Le haut représentant est dans une position intenable. La politique étrangère et la défense sont des compétences exclusives des Etats membres. “Son job est mal configuré”, nous a expliqué un diplomate bruxellois de haut rang. Il préside les Conseils Affaires étrangères et défense, mais il n’a aucun levier. Les moyens financiers sont entre les mains de la Commission et elle ne les lâchera jamais . Dès son entrée en fonctions, il s’est heurté à l’hostilité et au mépris de l’équipe von der Leyen, nous ont confié plusieurs membres de l’institution. “Josep Borrell fait un travail extraordinaire, mais il est écrabouillé par von der Leyen et par le Conseil” , déplore un ambassadeur. “Il s’épuise à trouver des ententes entre les 27 et lorsqu’il les trouve, elles se font toujours sur le plus petit dénominateur commun”, souligne un haut fonctionnaire européen.
Outre ses relations difficiles avec la présidente de la Commission, dont il est un des vice-présidents, l’Espagnol est en conflit ouvert avec le Hongrois Oliver Varhelyi sur l’aide aux Palestiniens. Chargé de la politique de voisinage et de l’élargissement, le commissaire Varhelyi a annoncé le 9 octobre la “suspension immédiate de tous les paiements” pour les projets de développement en faveur des Palestiniens, soit 691 millions d’euros. Ursula von der Leyen a approuvé la mesure. Elle a dû accepter de la corriger après avoir été mise en garde par Josep Borrell contre les conséquences pour les intérêts de l’UE dans la région avec une décision consistant à punir tous les Palestiniens.
La leçon ne semble pas avoir été comprise. Dès l’annonce des allégations contre l’UNRWA, Oliver Varhelyi a annoncé la décision de la Commission de prendre “des mesures énergiques” en conditionnant le décaissement des financements européens aux résultats de l’enquête lancée l’agence. La mesure s’est ajoutée aux annonces de plusieurs pays de suspendre leurs financements à l'UNRWA et a été comprise comme une suspension du soutien de l’UE.
“Les fonds suspendus s'élèvent à plus de 440 millions de dollars, soit près de la moitié des revenus attendus de l'agence en 2024, et cette situation met en danger son existence même”, a averti Josep Borrell. “La disparition de l'UNRWA constituerait un risque sérieux pour la stabilité régionale. L’agence des Nations Unies ne fournit pas seulement des services essentiels dans la bande de Gaza déchirée par la guerre, elle fournit également des soins de santé, une éducation et d’autres services vitaux à quelque 5,6 millions de réfugiés palestiniens en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), en Jordanie, au Liban et en Syrie”, a-t-il rappelé. Le Haut Représentant a fait le point lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles les 2 et 3 février. “La Commission n’a pas suspendu son financement. Il y a quelques jours, il y a eu une sorte d'effet boule de neige disant que tout le monde suspendait ses financements et puisque tout le monde les suspendait, alors nous devions également les suspendre”, a-t-il déclaré.
Sa conclusion sur la situation créée par ces divisions est toutefois sans appel pour ceux des dirigeants européens qui parlent d’une “Europe puissance” ou comme Ursula von der Leyen, se vantent de diriger une Commission géopolitique. “L'Union européenne n'est pas un État. C'est un groupe d'États qui ont des approches différentes de cette guerre. Nous avons un accord minimum sur la nécessité de pauses humanitaires et d'un soutien humanitaire accru aux personnes touchées par la guerre”, a-t-il rappelé. “Mais lorsque vient le moment de voter aux Nations unies, certains demandent un cessez-le-feu, un cessez-le-feu immédiat et permanent, d'autres votent contre, d'autres encore s'abstiennent. Il est donc très difficile de jouer un rôle important si vous avez - au sein du club - des positions aussi différentes”.
Si l’UE a su rester unie dans son soutien à l’Ukraine, elle n’est jamais parvenue à s’entendre pour le Proche Orient. La Hongrie et la République Tchèque bloquent les sanctions contre les colons juifs coupables de violences contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée. De telles mesures seraient “inappropriées à l’heure actuelle”, a soutenu à New York le chef de la diplomatie hongroise Péter Szijjártó. L’UE ne compte pas au Proche Orient. Elle ne peut même pas suivre les Américains. “Si les États-Unis envisagent la possibilité d'une reconnaissance d’un État palestiniens, c'est un bon signe de leur engagement dans la recherche d'une solution du conflit basée sur la "solution des deux États" défendue par l’UE, a commenté Josep Borrell. “Mais l'Union européenne ne peut reconnaître personne, car nous n'avons pas cette capacité. Ce sont les États membres qui reconnaissent. Je sais que certains y réfléchissent, mais je ne peux pas parler en leur nom”.
La citation
" On ne peut pas jouer à pile ou face notre sécurité tous les quatre ans (…). La démocratie américaine est malade".
Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur.
Géopolitique
Trump reprend le costume du “parrain” contre l'UE - Donald Trump confirme son mépris pour l’Europe et reprend le costume du “parrain” américain. En campagne en Caroline du Sud, il a renouvelé samedi ses menaces de lâcher l‘Otan, une organisation qu’il accuse d’être gangrénée par les “mauvais payeurs” et les “profiteurs”. Il a assuré à ses partisans que s’il est élu, il refusera d’engager les forces américaines pour protéger un membre de l’Alliance en cas d’agression par la Russie “s’il n’a pas payé pour sa protection”. A ce langage de “parrain”, il ajoute qu’il “encouragera” même la Russie à passer à l’acte. Tollé de réactions outragées en Europe et au sein de l’Alliance . “Toute suggestion selon laquelle les alliés ne se défendront pas mutuellement compromet notre sécurité à tous, y compris celle des États-Unis, et expose les soldats américains et européens à des risques accrus”, a averti hier le secrétaire général de l’Alliance Jens Stoltenberg. “Les déclarations inconsidérées sur la sécurité de l'Otan et la solidarité de l'article 5 ne servent que les intérêts de Poutine”, a déploré le président du Conseil européen Charles Michel. Donald Trump avait déjà endossé le costume du parrain lors de son 1er mandat. Il avait publiquement humilié la chancelière Angela Merkel en plein sommet de l’Otan à Bruxelles. Il l’avait accusée de ne pas verser une contribution suffisante pour la protection de l’Allemagne et de financer la Russie avec ses achats de gaz. Les rodomontades de Donald Trump servent en fait les intérêts du lobby militaro-industriel américain, hostile aux velléités des alliés Européens de se doter de capacités militaires “made in Europe”. Avec ces menaces, Donald Trump relance le débat entre les Européens favorables à un pilier de défense européenne autonome au sein de l’Otan et ceux partisans d’une dépendance accrue vis-à-vis des Etats-Unis avec des achats d’armements made in USA pour les ancrer dans l’Alliance et assurer leur protection.
Weimar
Renaissance du Triangle de Weimar - Le Premier ministre polonais Donald Tusk se rend aujourdh’ui à Paris et Berlin pour des entretiens avec Emmanuel Macron puis avec le chancelier Olaf Scholz destinés à resserrer les liens entre la Pologne, la France et l’Allemagne au sein du triangle de Weimar. Donald Tusk sera accompagné par son ministre des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski qui participera à Paris à une réunion avec ses homologues français Stéphane Séjourné et allemand Annalena Baerbock. Les dernières prises de position pro-russes de Donald Trump seront un des sujets des entretiens entre les dirigeants des trois puissances militaires européennes. Mais la politique européenne sera également présente dans la perspective des élections du 9 juin. Les trois pays sont confrontés à une poussée de l’extrême-droite ou de la droite nationaliste anti-européenne. Le Rassemblement National est devenu le premier parti politique en France, le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) est devenu la première force de l’opposition outre Rhin tout comme le parti droit et Justice (PiS) en Pologne. Le chef de la diplomatie française s’est inquiété dans un entretien accordé aux quotidiens Ouest France, Frankfurter Allgemeine Zeitung et Gazeta Wyborcza de la montée des nationalistes car elle risque selon lui de provoquer un “Brexit généralisé”.
Hongrie
Orban coupe les têtes de Novak et de Varga pour sauver le Fidesz du scandale de pédophilie - Samedi 10 février, la présidente hongroise Katalin Novak a été contrainte de démissionner suite à un scandale lié à sa décision de gracier un pédophile condamné, qui embarrassait de plus en plus Viktor Orban et son Fidesz. L'épisode remonte à avril 2023 et a émergé grâce aux révélations de certains médias indépendants. Gracier une personne condamnée pour pédophilie était devenu trop embarrassant pour un dirigeant et un parti qui justifie la persécution de la communauté LGBT par les valeurs familiales et la protection des enfants. Vendredi soir, un millier de personnes se sont rassemblées devant le château présidentiel de Prague pour demander la démission de M. Novak. Une autre femme clé du cercle rapproché de M. Orban, Judit Varga, a démissionné de son poste de députée et a annoncé qu'elle ne mènerait pas la liste du Fidesz aux élections européennes. Mme Varga était ministre de la justice en avril 2023 et avait contresigné la grâce présidentielle.
Finlande
Le retour de Stubb en Finlande - Alexander Stubb a été élu nouveau président de la Finlande, après avoir battu de justesse le candidat des Verts, Pekka Olavi Haavisto, lors du second tour de scrutin qui s'est déroulé hier. Stubb a obtenu 51,6 % des voix contre 48,4 % pour Haavisto. Stubb est un conservateur, appartenant au parti de la coalition nationale actuellement au pouvoir, mais il est progressiste sur de nombreux sujets et surtout très européen et pro-européen. En tout cas, c'est ce qui ressort de sa carrière. Il a été député européen, Premier ministre, ministre des finances, ministre des affaires étrangères, vice-président de la BEI. Il s'agit pour lui d'un retour à la politique de haut niveau, après une pause en tant que directeur de l'école de gouvernance transnationale de l'Institut universitaire européen. M. Stubb a soutenu l'adhésion à l'OTAN et a promu une politique résolument pro-Ukraine. Sa victoire sera un réconfort pour l'UE dans une année électorale marquée par le retour du populisme et la menace du souverainisme et de l'extrême droite.
Trilogues
Accord au trilogue sur la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance - Dans la nuit de vendredi à samedi, la Présidence belge du Conseil de l'UE et les négociateurs du Parlement européen sont parvenus à un accord sur la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance. Le trilogue, auquel ont participé les représentants des deux institutions et ceux de la Commission, s'est déroulé comme prévu : le Parlement européen a cédé au chantage du Conseil et a accepté tous les paramètres numériques du nouveau pacte de stabilité qui avaient été convenus lors de l'Ecofin. Selon une source de la Commission, le Parlement a obtenu que les critères d'extension de la période d'ajustement budgétaire soient "plus flexibles". En outre, le cofinancement national des programmes européens est considéré séparément, ce qui donne aux gouvernements une plus grande marge de manœuvre fiscale, nous a dit la source de la Commission. Le co-président des Verts, Philippe Lamberts, a toutefois émis une évaluation beaucoup moins favorable. "Le Parlement a accepté le diktat du Conseil sur toutes les garanties (pour réduire la dette et le déficit). Il a obtenu des éléments cosmétiques, sans importance. Il n'y a pas eu de véritable négociation", a déclaré M. Lamberts. Selon ses calculs, le rabais sur le cofinancement des programmes de l'UE s'élève à environ 20 milliards d'euros par an, ce qui est bien loin de ce qui est nécessaire pour les transitions climatique et numérique. Le nouveau pacte est "une décision économiquement insensée", a déclaré M. Lamberts.
L'Allemagne et l'Italie bloquent la directive sur le devoir de diligence - L'Allemagne et l'Italie ont fait front commun au Conseil vendredi pour bloquer l'adoption d'une directive sur le devoir de diligence des grandes multinationales. Derrière l'acronyme "Csddd" se cache une mesure visant à lutter contre les importations de biens et de services produits en violation des normes environnementales et des droits de l'homme (comme les T-shirts fabriqués à partir de coton provenant de Xijiang, où les Ouïghours sont condamnés au travail forcé par le régime chinois, ou les produits agricoles cultivés sur des terres issues de la déforestation. Le Parlement européen et le Conseil étaient déjà parvenus à un accord. Les grandes entreprises employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d'affaires net mondial de plus de 150 millions d'euros seraient tenues d'évaluer et de prévenir les impacts négatifs réels et potentiels sur l'environnement et les droits de l'homme dans leur chaîne de valeur. Le parti libéral allemand a contraint le gouvernement d'Olaf Scholz à revenir sur l'accord et à annoncer son abstention. L'Italie est ainsi devenue décisive pour le sort de la directive et s'est jointe à l'Allemagne. La présidence belge de l'UE a été contrainte de reporter le vote, faute de majorité qualifiée. Il n'y a toujours pas de nouvelle date pour tenter de sortir de l'impasse. Il est possible que la directive sur le devoir de diligence ne soit pas approuvée au cours de cette législature.
Ce qui se passe aujourd'hui
Présidence belge de l'UE : réunion informelle des ministres du Développement ; conférence de presse du Haut Représentant Borrell avec le Commissaire général de l'Unrwa, Philippe Lazzarini
Parlement européen : Semaine parlementaire européenne (orateurs : Charles Michel, Valdis Dombrovskis, Pierre Gramegna)
Parlement européen : visite du Président Metsola en Estonie
Parlement européen : audition du vice-président Dombrovskis devant la commission de l'agriculture
Commission : le vice-président Dombrovskis participe à la conférence sur le semestre européen
Commission : le vice-président Schinas participe à l'événement d'ouverture de la conférence de Munich sur la sécurité
Commission : le commissaire Lenarcic reçoit le commissaire général de l'Unrwa, Philippe Lazzarini
Commission : le vice-président Sefcovic se rend à Washington
Commission : le commissaire McGuinness reçoit Piero Cipollone, nouveau membre du conseil d'administration de la BCE