L’épouvantail Trump pour réarmer l’Europe
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
L’épouvantail Trump pour réarmer l’Europe
Le bouclier américain en cas d’attaque contre l’Europe est-il factice? L’Europe est-elle en mesure de se défendre seule ? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais elles reviennent sur la table depuis que s'agite l'épouvantail d’un retour au pouvoir de Donald Trump lors de l’élection américaine en novembre. “Il y a un point que nous avons toujours en tête: Donald Trump peut être réélu aux Etats-Unis. Je ne dis pas que cela va arriver. Mais c’est une possibilité. Tout le monde à en tête ce qu’il a fait lors de son précédent mandat et ce qu'il dit de façon régulière sur l’Otan”, nous confiait récemment Laurence Boone, la secrétaire d’état française aux affaires européennes, lors d’un entretien en marge du sommet de décembre.
Le Français Thierry Breton, commissaire à l’Industrie, plaide pour constitution d’un fonds de défense d’au moins 100 milliards d’euros. Et pour appuyer sa demande, il a fait sensation cette semaine en racontant la brutalité d’un échange entre Donald Trump et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. “Nous sommes en janvier 2020 à Davos. Nous sommes assis avec Ursula von der Leyen, moi même, Phil Hogan (commissaire à l’agriculture) et le président des Etats-Unis. A un moment, Donald Trump dit à Ursula: si l’Europe est attaquée, nous ne viendrons jamais vous aider. D’ailleurs l’Otan est morte”.
Thierry Breton a raconté cette histoire à plusieurs reprises, confie son entourage. Mais cette fois, elle a été reprise par la presse américaine et est utilisée dans la campagne aux Etats-Unis. Sa confirmation par la présidente de la Commission, une Allemande, donnerait plus de poids à la réalité de la menace. Car le problème de beaucoup de pays membres de l’UE est la mise en doute de la parole française. La plupart des membres européens de l’Alliance sont incapables d’oser penser que l’allié américain pourrait faire défaut, qu’il pourrait renoncer à répondre à l’activation de l’article 5, la clause de défense collective. Pourtant Donald Trump a maintes fois dit qu’il le ferait.
“Même si cette histoire était exagérée, l’Europe est somnambule. Nous pourrions nous réveiller avec un sérieux mal de tête dans un an. Comme l’a dit Macron, il faut une “Europe qui protège” . Il est tard, mais pas trop tard”, avertit Wolfgang Ischinger, président de la Conférence de Munich sur la sécurité. L’Europe s’est frileusement réfugiée dans la dépendance vis-à-vis des Etats Unis et dépense peu pour sa défense. Huit pays de l’UE, dont sept États d’Europe centrale, consacraient 2% de leur PIB aux dépenses de défense en 2022 et la France était près du but à 1,9%. L’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas sont en revanche loin du compte. Durant son mandat, Donald Trump a rudoyé les Européens sur le thème du partage du fardeau.
“Une ligne de partage s’est créée entre les Européens. Il y a ceux qui défendent une dépendance accrue pour arrimer les Etats-Unis à l’Otan et ceux qui soutiennent qu’au contraire on les arrime en réduisant la dépendance”, explique le représentant d’un pays de l’UE à l’Otan. Dans les deux cas, le prix à payer pour la protection américaine est l'achat d'armement et de matériel américain. Beaucoup d'Etat membres de l'UE ne trouvent rien à redire. "Depuis 2006, 60% des achats d'armements européens ont été des importations de pays non européens, principalement des Etats-Unis", souligne la Commission.
“L’Union européenne est mal adaptée pour faire la guerre, car lorsqu’elle a dû choisir entre le beurre et les canons, elle a choisi le beurre. Elle s’est engagée dans un processus de désarmement silencieux et a réduit ses capacités militaires. Cela change, mais doucement», m’ a expliqué Josep Borrell, lors d’un entretien. “Il va falloir renforcer le pilier de défense européen. On ne peut rester dépendants des Américains si on a un partenaire qui est moins allant”, a plaidé Laurence Boone.
La proposition de Thierry Breton s’inscrit dans cette logique. “Il a dessiné une ambition pour que la base industrielle européenne de défense réponde aux exigences de sécurité de l’UE, expliquent ses collaborateurs. “100 milliards est une évaluation personnelle, une ambition”, a précisé hier le commissaire lors d'une rencontre avec des journalistes. Un besoin d’expliciter son propos formulé lors d’une réunion la veille avec les élus du groupe Renew lors d’un événement pour préparer la campagne des Européennes. “On n’est pas dans le sujet d’une armée européenne. On prend le sujet par la base industrielle. Il faut qu’on ait à terme un fonds d’une centaine de milliards pour avoir une base industrielle prête à répondre à l’ensemble des besoins qui concernent la sécurité de l’Ukraine et nous concernent aussi au premier chef. On est tous dans une posture où la guerre peut durer, de fait elle dure”, a-t-il souligné.
Thierry Breton et son équipe vont présenter le 27 février le Programme Européen d’Investissement dans la Défense (EDIP) dont la dotation doit stimuler les achats conjoints d’armes. “ EDIP aura un budget modeste”, a-t-il précisé. Thierry Breton compte sur 1,5 milliards d’euros, mais il espère obtenir 3 milliards pour lancer la machine. “Si tous les Etats de l’UE consacrent 2% de leur PIB à la Défense, nous aurons 140 milliards d’euros d’augmentation de dépenses militaires par an”, a-t-il souligné. “Il faut aider les industriels à augmenter les capacités de production, même si on n’a pas encore les contrats”, a-t-il insisté.
“Il y a la guerre sur notre continent, il faut qu’on soit en soutien, qu’on se réarme”, a averti M. Breton. “Il nous faut un bouclier anti-missiles européen. Il nous faut nous doter de moyens pour protéger nos infrastructures maritimes et notre espace maritime, le plus vaste au monde”, a-t-il expliqué. “La vision est là, même si elle n’est pas encore totalement finalisée”, a-t-conclu. “Pronto, please” (vite, s’il vous plait) lui a répondu le ministre Polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, un candidat sérieux pour la succession de Josep Borrell âu poste de Haut Représentant
La citation
"Notre projet n'est pas de quitter l'UE, mais de l'occuper".
Viktor Orban, Premier ministre de la Hongrie.
Sommet
Un plan B à 27 pour le financement de l'Ukraine - Les sherpas de Charles Michel et de Viktor Orban se sont rencontrés mercredi pour commencer à négocier un compromis sur le paquet d'aide financière de 50 milliards d'euros que le premier ministre hongrois avait bloqué lors du Conseil européen de décembre. Avant le sommet extraordinaire du 1er février, l'UE serait prête à faire quelques concessions, comme donner à M. Orban la possibilité d'opposer son veto au versement de l'aide chaque année ou introduire un "frein d'urgence" pour bloquer les fonds. Budapest a également demandé à ce que les 50 milliards ne soient pas inclus dans le budget de l'UE. "Ce qui a été demandé (par la Hongrie) pourrait être difficile à accepter pour d'autres", mais "au moins nous avons un dialogue", nous a dit un fonctionnaire de l'UE. Pendant ce temps, Michel et son équipe travaillent sur un plan B et un plan C. L'une des solutions possibles est ce que l'on appelle les "recettes affectées externes" : des contributions directes des États membres en dehors du budget de l'UE. Mais il y a un paradoxe. "C'est ce que demande la Hongrie, qui pourrait éventuellement participer”, a dit le fonctionnaire. Le plan B deviendrait vingt-sept.
Pourparlers pour une rencontre Orban-Zelensky - Le ministre des Affaires étrangères hongrois Péter Szijjártó rencontrera son homologue ukrainien Dmytro Kouleba le 29 janvier à Oujhorod, ville d’Ukraine à la frontière avec la Hongrie, et “si tout se passe bien”, discutera d’un possible sommet entre Viktor Orban et le président Volodymyr Zelenky. "À ce stade, nous avons tous les deux réservé la date du 29 janvier pour nous rencontrer à Oujhorod", a-t-il annoncé hier lors d’un point de presse durant sa visite au Monténégro. La réunion se tiendra deux jours avant un sommet européen extraordinaire à Bruxelles. Un dégel des relations entre Kiev et Budapest est souhaité, car la Hongrie bloque actuellement l’aide militaire et financière de l’Union européenne. Viktor Orban est opposé à l’adhésion de l’Ukraine et refuse l’utilisation du budget européen pour financer une aide de 50 milliards tant que les fonds européens dus à la Hongrie ne seront pas débloqués. Or toutes les décisions relatives à l’aide financière et à l’adhésion doivent être prises à l'unanimité. Des 27.
Chaises musicales
Gentiloni ne se présentera pas aux élections européennes - "Je ne me présenterai pas au Parlement européen", a déclaré hier le commissaire aux affaires économiques Paolo Gentiloni, poursuivi par un journaliste de Politico.eu qui lui demandait s'il se présenterait pour le Parti socialiste européen à la présidence de la Commission ou à un autre des postes qui s'ouvriront après les élections européennes. Le journaliste lui a demandé s'il allait prendre sa retraite. "Je ne prendrai jamais ma retraite", mais "je retournerai dans mon pays", a répondu M. Gentiloni. Le PSE semble manquer de Spitzenkandidaten potentiels. Pour l'instant, seul le commissaire luxembourgeois Nicolas Schmit a exprimé son intention de se présenter comme candidat au poste de président de la Commission. M. Schmit bénéficie du soutien du parti social-démocrate allemand.
France
Remaniement: ça se passe comme ça en France - Pas de grandes surprises pour les partenaires de l'UE. Gabriel Attal a conservé à leurs postes les poids lourds du précédent gouvernement dirigé par Elisabeth Borne. Bruno LeMaire reste aux Finances, Gérald Darmanin, à l'Intérieur, Sebastien Lecornu à la Défense et Eric Dupont-Moretti à la Justice. Mais Gabriel Attal a débarqué Catherine Colonna pour nommer aux Affaires étrangères son ancien compagnon Stéphane Sejourné, patron du groupe Renew au Parlement européen. Il a également viré Clément Beaune, l'ancien conseiller Europe du président Macron, et Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement. Et il a débauché Rachida Dati, une figure de la droite, avec le portefeuille de la Culture. Un retournement de veste peu apprécié par ses amis politiques. Rachida Dati a été séance tenante exclue du parti Les Républicains.
Pologne
Weber défend Tusk contre le PiS - "Nous soutenons pleinement les actions du nouveau gouvernement pour restaurer l'Etat de droit et reconstruire la démocratie en Pologne", a déclaré hier Manfred Weber, chef du groupe PPE, interrogé sur le chaos institutionnel à Varsovie. Le PiS alimente le récit de la violation de l'Etat de droit par le gouvernement Tusk après sa décision de purger la télévision publique et l'arrestation de deux députés condamnés par un tribunal mais qui avaient demandé la protection du président, Andrzej Duda. "Après huit années de destruction de l'État de droit et de la justice, la tâche qui attend le nouveau gouvernement est importante, mais aussi pleine de défis", a expliqué M. Weber. "Nous soutenons pleinement les actions du nouveau gouvernement pro-européen visant à mettre fin à la crise de l'État de droit dans le pays”.
Coulisses
Draghi au séminaire de la Commission von der Leyen - Ursula von der Leyen réunit aujourd'hui tous ses commissaires pour un séminaire sur les priorités pour 2024. Le mandat de la Commission est pratiquement terminé. Outre le programme d'investissement dans la défense européenne, la dernière proposition de poids de la Commission concerne les objectifs de réduction des émissions pour 2040 (en théorie le 6 février). Le séminaire d'aujourd'hui accueillera également un invité surprise : l'ancien président de la Banque centrale européenne et ancien premier ministre italien, Mario Draghi. En septembre dernier, Mme Von der Leyen a chargé M. Draghi de rédiger un rapport sur l'avenir de la compétitivité dans l'UE. Après une réunion avec M. Draghi hier, BusinessEurope a déclaré qu'il attendait beaucoup de son rapport, car il devrait conduire à des actions concrètes pour placer l'économie européenne en tête de l'agenda de la prochaine législature.
Ce qui se passe aujourd'hui
Présidence belge de l'UE : réunion informelle des ministres de l'Emploi et des Affaires sociales à Namur
Commission : séminaire du Collège
Commission : le commissaire Breton participe à un événement de la Banque européenne d'investissement
Parlement européen : visite officielle de la Présidente Metsola à Riga (Lettonie) et Vilnius (Lituanie)
Parlement européen : conférence de presse de pré-session
Conseil : réunion du Coreper I
Banque centrale européenne : discours de Philip Lane à la conférence annuelle Rebuild à Dublin
Eurostat : données sur les ventes de logements au 3e trimestre 2023 ; indice des prix de l'immobilier occupé par son propriétaire au 3e trimestre 2023 ; données sur l'énergie nucléaire en 2022 ; données sur la protection temporaire en novembre 2023