Les fourches caudines hongroises
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Les fourches caudines hongroises
Composer, trancher, ravaler les objections: pour sauver l’aide promise à l’Ukraine de la menace d’un veto hongrois, l’Union européenne et ses institutions sont contraintes de passer sous les fourches caudines imposées par Viktor Orban et cela sans aucune garantie que le Premier ministre acceptera de donner son accord pour ouvrir les négociations d’adhésion avec Kiev, deuxième volet du sommet européen des 14 et 15 décembre.
Les réunions s'enchaînent à un rythme effréné depuis lundi pour trouver les voies de passage permettant d’éviter les blocages Hongrois. Viktor Orban refuse de contribuer à l’aide de 50 milliards d’euros promise à l’Ukraine pour les 4 prochaines années, refuse de donner son accord à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Ukraine, qu’il accuse d’être un des pays “les plus corrompus au monde” et refuse d’avaliser de nouvelles sanctions contre la Russie.
Malgré ses menaces, les trois points sont toujours à l’ordre du jour du sommet considéré comme l’un des plus conflictuels de ces dernières années. Viktor Orban n’a cure des anathèmes proférés à son adresse. Il est convaincu d‘avoir raison et sait ne pas être le seul dirigeant mécontent. Les coupes franches réalisées dans les demandes soumises par Ursula von der Leyen pour abonder le budget européen afin de poursuivre le soutien à l’Ukraine lui donnent raison.
L’aide de 50 milliards –17 en dons et 33 en prêts– a été englobée dans un paquet de priorités dont le coût a été chiffré par la Commission européenne à 66 milliards sur 4 ans pour les Etats membres. Mardi soir, les contributions en ‘“argent frais” avaient été ramenées à 22,5 milliards, sans que les montants de l’assistance à l’Ukraine ne soient modifiés. “Un paquet moins cher se consolide peu à peu”, a confié un négociateur européen. L’enveloppe pour les migrations, priorité des priorités pour l’Italie et pour la Hongrie, a été ramenée de 12,5 à 9,6 milliards, mais le président du Conseil italien Georgia Meloni a jugé le montant acceptable.
Personne ne connaît les intentions de Viktor Orban. Le dirigeant hongrois attend l’annonce mercredi du déblocage de 10 des 21,7 milliards d’euros de fonds européens gelés par la Commission. La mesure scandalise nombre de délégations et suscite colère et amertume au Parlement européen, où cette “victoire” hongroise ne passe pas. “L’argent des Européens ne doit pas aller à un dirigeant qui démantèle l’état de droit”, s’insurge l’eurodéputée française Valérie Hayer (Renew). “L’accord Bruxelles-Budapest ne sent pas bon” , a jugé le vice-Premier ministre du Luxembourg Xavier Bettel dans le Luxemburger Wort.
Mais le pragmatisme l’emporte et les partenaires de la Hongrie ravalent leurs objections. Budapest a répondu aux dernières demandes de clarification sur la réforme de son système judiciaire et l’indépendance du système judiciaire. “Si la Commission constate que les griefs qui avaient justifié le gel des fonds sont levés, il est normal qu’elle libère les financements”, explique le représentant d’un Etat membre. Les 10 milliards ne seront pas versés à la Hongrie du jour au lendemain. Les fonds vont permettre d’honorer des demandes de remboursements soumises par la Hongrie pour des projets déjà engagés dans les secteurs des transports et du numérique.
Viktor Orban sera-t-il satisfait des concessions obtenues et va-t-il donner son accord à la poursuite de l’aide de l’UE à Kiev ? “Difficile à dire, mais nous mettons tout en oeuvre pour obtenir l’unanimité des 27”, a assuré mardi un responsable européen. Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kuleba, présent à Bruxelles lundi et mardi pour des réunions avec ses homologues de l'UE, a allumé une lueur d’espoir. “Nous avons reçu le premier signal non public et non officiel de la Hongrie, qui indique une fenêtre d'opportunité", a-t-il annoncé.
L'issue du sommet de l'UE des 14 et 15 décembre est incertaine, tout sera décidé à la dernière minute et personne ne peut dire combien de temps dureront les négociations. Une prolongation jusqu’à samedi est prédite. La délégation hongroise aurait réservé des chambres d'hôtel jusqu'à lundi 18 décembre. Certains y voient un signe positif, car cela montre que Orban est prêt à négocier.
La citation
“Le gouvernement espagnol a manifestement été plus occupé par lui-même que par la présidence du Conseil. Nous avons vu plus d'initiatives pour faire du catalan une langue officielle de l'UE que sur la conclusion de l'accord avec le Mercosur, l'adhésion de l'Ukraine à l'UE ou une position commune sur Israël".
Manfred Weber, président du groupe du Parti populaire européen, avant le débat avec Pedro Sanchez sur les résultats de la présidence espagnole du Conseil de l'UE.
Suivi
Deuxième 'Negobox' de Michel sur la révision du budget - Les ambassadeurs des vingt-sept Etats membres ont discuté hier de la dernière version de la 'Negobox' sur la révision du cadre financier pluriannuel préparé par le président du Conseil européen Charles Michel en vue du sommet qui s'ouvre demain. La contribution supplémentaire ("argent frais") demandée aux États membres serait encore réduite, passant à 22,5 milliards par rapport aux 65,8 milliards demandés par la Commission. La deuxième "Negobox" de Michel prévoit un milliard supplémentaire par rapport à la première pour les politiques migratoires et la dimension interne (de 8,6 à 9,6 milliards), mais avec une plus grande part de réallocation des fonds au sein de ce chapitre. En revanche, la quasi-absence de ressources supplémentaires pour l'industrie est confirmée. Dans le chapitre "STEP", il ne reste que 1,5 milliard d'euros pour le Fonds européen de défense, mais les États membres bénéficieraient d'une plus grande flexibilité (et d'un taux de cofinancement de 100 %) pour allouer des fonds de cohésion aux technologies vertes. L'augmentation du taux d'intérêt sur la dette contractée par NextGenerationEu serait financée par un mécanisme en cascade. Le montant des ressources pour l'Ukraine reste de 50 milliards.
Pour l'Italie, un compromis acceptable sur le budget - Hier au Parlement Giorgia Meloni a rappelé les trois priorités de l'Italie dans les négociations au Conseil européen sur la révision du cadre financier pluriannuel : l'aide à l'Ukraine, plus de ressources pour gérer les migrations et le renforcement de l'industrie européenne. Mme Meloni a réaffirmé qu'elle souhaitait un accord sur l'ensemble du paquet "sans traiter un sujet séparément". Approuver uniquement la facilité pour l'Ukraine, sans traiter de l'économie, "n'aiderait pas l'Ukraine car cela aliénerait l'opinion publique européenne déjà éprouvée par le conflit", a déclaré Mme Meloni. L'Italie ne s'opposera pas à la réduction des augmentations budgétaires prévue par la Negobox de Michel. Mais "pour nous, il est crucial (...) qu'une flexibilité maximale soit garantie sur les fonds existants déjà disponibles pour les Etats membres", a déclaré M. Meloni. En d'autres termes, plus de liberté dans l'utilisation des fonds de cohésion. "Rationalisation des dépenses dans les Etats membres mais aussi à Bruxelles, et la flexibilité pour utiliser les ressources disponibles", a déclaré M. Meloni.
Tusk sera l'anti-Orban du sommet - "Nous appellerons à une mobilisation totale de l'Occident pour aider l'Ukraine", a déclaré hier le nouveau premier ministre polonais, Donald Tusk, dans son discours d'ouverture devant le Parlement. "J'en ai assez d'entendre les politiciens parler de fatigue face à la situation en Ukraine", a déclaré M. Tusk. "L'attaque contre l'Ukraine est une attaque contre nous tous". M. Tusk a déclaré qu'il espérait, lors du Conseil européen de jeudi et vendredi, "convaincre nos alliés de défendre les valeurs démocratiques et l'Ukraine contre l'agression russe". Le premier ministre polonais se présentera à Bruxelles comme l'anti-Orban. "Par une étrange coïncidence, les hommes politiques qui s'attaquent aux fondements de la démocratie sont anti-ukrainiens", a déclaré M. Tusk devant le Parlement.
Guerre des sondages sur l'Ukraine - Le European Council on Foreign Relations hier a publié un sondage montrant qu'une majorité d'Européens est favorable à l'adhésion de l'Ukraine à l'UE, malgré les risques économiques et sécuritaires. L'enquête a été menée dans six États membres. Le soutien est prépondérant au Danemark (50 %) et en Pologne (47 %), tandis que l'opinion publique est partagée en Roumanie (32 % pour, 29 % contre), en Allemagne (37 % pour, 39 % contre) et en France (29 % pour, 35 % contre). L'Autriche est une exception, puisqu'une nette majorité (52 %) est opposée à l'adhésion de l'Ukraine. Dans l'ensemble, 45 % des personnes interrogées pensent que l'adhésion de l'Ukraine à l'UE aurait un "impact négatif" sur la sécurité européenne, tandis que 39 % pensent qu'elle aurait un "impact négatif" pour leur propre pays. À la veille du Conseil européen, Viktor Orban a également publié son propre sondage, affirmant que "les bureaucrates de Bruxelles ne représentent pas le peuple européen". L'enquête commandée par le Premier ministre hongrois - dont les questions semblent destinées à guider les personnes interrogées - indique que 71 % des Européens souhaitent la fin immédiate de la guerre et que 73 % estiment que l'Ukraine devrait être contrainte de négocier avec la Russie.
Les bénéfices sur les avoirs russes gelés vers l'Ukraine, mais pas tout de suite - La Commission européenne a transmis au Conseil une proposition qui pourrait servir de base à l'utilisation en faveur de l'Ukraine des bénéfices réalisés sur les avoirs gelés de la Banque centrale russe. L'objectif à long terme est de transférer les bénéfices dans un fonds de l'UE pour aider à la reconstruction de l'Ukraine. Mais des sources de la Commission nous ont expliqué qu'il n'y aurait pas de transfert dans l'immédiat. La proposition se contente de créer le cadre juridique nécessaire pour obliger les sociétés détenant les actifs - les Dépositaires centraux de titres - à les enregistrer et à les gérer séparément dans leurs systèmes comptables. En outre, la distribution des bénéfices réalisés aux actionnaires ou à d'autres tiers sera interdite. L'utilisation effective des bénéfices nécessitera une autre proposition de la Commission et une décision unanime du Conseil. Cependant, le projet de conclusion du Conseil européen indique la possibilité d'allouer les ressources à la Facilité pour l'Ukraine, réduisant ainsi la facture pour les Etats membres. Ce ne sera pas pour tout de suite.
Divisions
L'Espagne fait pression pour un cessez-le-feu au Moyen-Orient - Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, est déterminé à faire pression sur le Conseil européen pour demander un cessez-le-feu dans la guerre d'Israël contre le Hamas à Gaza. Après que le secrétaire général de l'ONU a invoqué l'article 99 de la Charte et le veto américain au Conseil de sécurité, "pour M. Sanchez il est impératif qu'il y ait un débat approfondi au Conseil européen et que l'UE adopte une position claire", a déclaré une source au fait des intentions du premier ministre espagnol. Selon M. Sanchez, "le moment est venu de demander un cessez-le-feu", de "discuter également de la protection des civils" et de "revitaliser le processus politique sur la base des deux États". M. Sanchez dira aux autres dirigeants que l'UE ne peut se permettre "d'être accusée d'avoir deux poids, deux mesures". Le premier ministre espagnol devrait se heurter à l'Allemagne, qui, avec un groupe majoritaire de pays, s'oppose à l'appel au cessez-le-feu.
Diplomatie
Borrell préoccupé par le sort de Navalny - Le Haut représentant pour la politique étrangère, Josep Borrell, a exprimé hier la préoccupation de l'UE concernant la disparition de l'opposant russe Alexeï Navalny de la prison où il était incarcéré. "Les dirigeants politiques russes sont responsables de sa sécurité et de sa santé en prison", a déclaré M. Borrell, réitérant son appel à la libération "immédiate et inconditionnelle" de M. Navalny "emprisonné pour des raisons politiques".
Autonomie stratégique
Première liste de médicaments critiques de l'UE - L'Agence européenne des médicaments (Ema) a publié hier la première liste de médicaments critiques de l'UE pour ses systèmes de santé, pour lesquels la constitution de stocks et l'approvisionnement continu sont considérés comme une priorité pour éviter les pénuries. Cette liste comprend plus de 250 médicaments, dont des vaccins, des analgésiques et des médicaments contre l'asthme et les maladies rares. La Commission a promis de présenter un plan visant à améliorer l'approvisionnement de ces médicaments d'ici au mois d'avril, après que plusieurs États membres ont fait état de pénuries l'hiver dernier. L'UE dépend de la Chine et de l'Inde pour de nombreux médicaments et les composants chimiques nécessaires à leur fabrication. Parmi les propositions attendues de la Commission figurent des mesures visant à encourager la constitution de stocks par les entreprises pharmaceutiques et la diversification des fournisseurs, ainsi que des incitations à l'investissement dans de nouvelles capacités de production au sein de l'UE.
Ce qui se passe aujourd'hui
Sommet UE-Balkans occidentaux
Parlement européen : session plénière à Strasbourg (débats sur la préparation du sommet de l'UE avec Michel et von der Leyen ; la présidence espagnole de l'UE avec le Premier ministre Sanchez ; la stratégie d'aide aux jeunes pour les frais de logement ; la reconnaissance de la parentalité ; l'extension de la liste des crimes de l'UE aux crimes de haine ; les structures de lutte contre la corruption en Slovaquie ; le programme d'investissement dans la défense ; les cas de violations des droits de l'homme en Biélorussie, en Tanzanie et au Tibet ; le rapport du groupe de travail sur Frontex)
Commission : le vice-président Sefcovic reçoit Tony Estanguet, président du comité d'organisation des Jeux olympiques de Paris
Commission : le commissaire Simson s'exprime à Muscat lors du forum UE-Oman sur l'énergie
Cour des comptes de l'UE : rapport spécial sur le soutien de l'UE aux biocarburants durables dans le secteur des transports
Comité économique et social : session plénière (débat sur les résultats de la Cop28 avec le commissaire Hoekstra)
Conseil : réunion du Coreper I et II
Conseil : réunion du Comité politique et de sécurité
Eurostat : données sur la production industrielle en octobre ; statistiques sur le tourisme en 2022 ; données sur les transferts de déchets en 2021