L’Europe a relâché ses démons
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
L’Europe a relâché ses démons
L’Europe des “boomers” est morte. Elle a été enterrée avec Jacques Delors. Et les démons de la division, du repli, de la haine et de l'égoïsme ont été relâchés, encouragés par des apprentis sorciers prêts à pactiser avec les europhobes pour le pouvoir.
La guerre est revenue en Europe. Elle tue chaque jour en Ukraine, aux confins de l’Union. La prospérité s’est évanouie et beaucoup d’Etats sont paralysés par leur endettement. La natalité chute, la compétitivité est en berne et le risque de décrochage est réel. L’Union est mortelle, a averti le président français Emmanuel Macron. Un sursaut est attendu avec les élections européennes du 6 au 9 juin, mais tout porte à penser que l’Union européenne va se replier tel un escargot. On ne tombe pas amoureux d’un grand marché, disait Jacques Delors. Aujourd’hui, l’argument est pourquoi tenter de redresser une moribonde.
Les électeurs ont peur. Les jeunes comme les boomers. Le sentiment d’être laissés pour compte par le système devient de plus en plus prégnant. La tentation est de céder aux sirènes des populistes qui appellent à mettre fin à la guerre en Ukraine et promettent une Europe à la carte, sans quitter l’Union. Quand nous demandions aux Italiens pourquoi ils avaient voté pour Giorgia Meloni et Fratelli d'Italia, la réponse était: “on a voté pour la droite, on a voté pour la gauche, à chaque fois, nous avons été déçus. On va essayer Meloni”. Le passé politique du candidat importe peu pour les nouvelles générations d’électeurs. Les enquêtes d'opinion prédisent une vague populiste et europhobe au Parlement européen. Elle ne va rien submerger. L’institution est en mesure de résister, sauf si elle est sapée depuis l’intérieur. Or les digues cèdent un peu partout au niveau national.
L’arrivée au pouvoir de Geert Wilders au Pays-Bas est le dernier épisode de cette progression de l'extrême-droite. L’Allemagne résiste à l’AfD. Pas la France. Le Rassemblement National de Jordan Bardella et Reconquête, la formation dirigée par Eric Zemmour et Marion Maréchal, recueillent bien plus de 30% des intentions de vote pour les Européennes, transformées en référendum contre Macron. L’absence des Le Pen des listes du RN pour ce scrutin semble avoir libéré nombre d’électeurs de la droite conservatrice.
Elle est bien loin la condamnation de la coalition “noire-bleue” constituée en 2000 en Autriche par le parti conservateur OVP de Wolfgang Schüssel et le parti d’extrême droite FPO de Jorg Haider. “La participation d’un parti extrémiste et xénophobe à un gouvernenment européen est choquante et anormale dans l’Europe d’aujourdhui”, s’était insurgé le chef de l’Etat français Jacques Chirac. Les quatorze autres membres de l’Union avaient décidé de sanctionner l’Autriche. Le gouvernement autrichien était devenu un paria: plus de rencontres bilatérales et aucun soutien aux candidats autrichiens pour des postes dans les organisations internationales.
Qui a condamné la coalition constituée entre Fratelli d’Italia, Lega et Forza Italia après la chute de Mario Draghi pour porter Giorgia Meloni à la tête du gouvernement italien et donc à la table du Conseil européen ? Qui a objecté quand Antonio Tajani, le patron de Forza Italia , a affirmé que Fratelli d’Italia était un parti de centre-droit ? Ramener au pouvoir les formations membres du Parti Populaire Européen est devenu l’obsession de son président, l’Allemand Manfred Weber. Il a salué la coalition Meloni et encouragé l’alliance entre le Partido Popular et Vox en Espagne. Difficile de condamner lorsque de l’autre côté de l’échiquier le PSOE s’est allié avec Podemos, la formation d’extrême gauche anti-européenne. Même embarras au sein de la famille libérale avec l’alliance entre le VVD (Parti populaire pour la Liberté et la Démocratie) de Mark Rutte et le PVV (Parti de la Liberté) de Geert Wilders.
La martingale consiste à séparer la bonne extrême droite de la mauvaise. Ursula von der Leyen, candidate du PPE pour un second mandat à la tête de la Commission, joue cette stratégie. Sa reconduction ne fait pas l’unanimité au sein des partis pro-européens et elle aura besoin de soutiens pour son investiture par les eurodéputés. “Il est important de définir des principes clairs pour savoir avec qui nous voulons travailler au Parlement européen. J’ai trois critères. Le premier est d’être pro-Europe, le second est d’être anti-Poutine et le troisième est d’être pro-état de droit”. Sur cette base, “Ursula candidate” écarte le RN et l’AfD, car “ils sont des amis de Poutine et ils veulent détruire notre Europe”. Quitus en revanche pour Giorgia Meloni, car “elle est clairement pro-européenne et anti Poutine”. Ursula von der Leyen reste vague sur Meloni et l’Etat de droit.
Tout cela ne tient pas la route. Olaf Scholz, le chancelier socialiste allemand n’est pas convaincu par cette opération de communication. Il a averti que la prochaine Commission ne pourra pas s'appuyer sur une majorité qui aura besoin du soutien des extrémistes de droite. Seule une Commission appuyée par les partis traditionnels pro-européens pourra être établie. Toute autre solution serait une erreur pour l’avenir de l’Europe, a-t-il soutenu. Le chancelier est cohérent avec la position du groupe Socialistes et démocrates qui s’est engagé à refuser toute coopération et toute alliance avec l’extrême droite à quelque niveau que ce soit. Cet engagement a également été souscrit par les Verts, les Libéraux de Renew-Europe et The Left. Seul le PPE s’est refusé à fermer la porte aux formations de l’extrême droite jugées fréquentables.
“Je constate un glissement vers la droite au sein du PPE, contre lequel je me bats. Celui qui se penche trop à droite risque de tomber par la fenêtre”, a averti l’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker dans un entretien au Luxemburger Wort. Membre du CSV (Parti populaire social-chrétien) affilié au PPE, il refuse la rupture. “Le CSV a toujours lutté contre les tendances de droite au sein du PPE. Il faut aussi défendre ses convictions au sein de sa propre famille politique (…). En français, il y a un dicton qui dit: quand tous les dégoûtés seront partis, il ne restera plus que les dégoûtants. Cela ne doit pas arriver au PPE”.
Le PPE a mis des années à se séparer de Viktor Orban, le dirigeant hongrois et de son parti Fidesz, devenu le boulet de l’Union européenne. “Nous les civilisons”, expliquait Manfred Weber. Orban a quitté le PPE avant d’en être expulsé et rêve aujourd’hui d’une victoire du “Rassemblement des Patriotes” lancé en juillet 2021 avec Giorgia Meloni (Fratelli d'Italia), Marine Le Pen (Rassemblement National, France), Matteo Salvini (Lega, Italie), Santiago Abascal (Vox, Espagne), Jaroslaw Kaczynski (Droit et Justice, Pologne). Les autres signataires sont le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ, Autriche), le Vlaams Belang (VB, Belgique-Flandre), le Dansk Folkeparti (DF, Danemark), l’Eesti Konservatiivne Rahvaerakond (EKRE, Estonie); le Perussuomalaiset (PS, Finlande), Lietuvos lenkų rinkimų akcija (Action électorale polonaise de Lituanie), le Partidul Național Țărănesc Creștin Democrat (PNT-CD, Roumanie) et Ellinikí Lýsi (Solution grecque, EL, Grèce).
L’Union peut-elle stopper la gangrène qui la gagne et la paralyse ? Viktor Orban a entrepris de bloquer les actions extérieures de l’UE. Il se moque de la menace de recourir à l’article 7 pour suspendre son droit de vote car la procédure est longue et impose le soutien d’une majorité qualifiée difficile à constituer. Son comportement gagne les autres pays de l’UE où les anti-européens sont associés au pouvoir. Les dirigeants des 27 pays de l’UE vont devoir décider comment sortir l’Union du marasme. En 2019, ils ont fait un mauvais choix pour les dirigeants de la Commission, du Conseil européen et du Service pour l’action extérieure. Le trio désigné n’a jamais fonctionné. Ils le reconnaissent en privé, mais ils refusent de l’admettre publiquement. Le 27 et 28 juin 2024, ils peuvent décider de “renverser la table”. Auront -ils cette audace ?
La citation
"Etre fort avec Poutine, c’est prendre le risque de négocier directement, et fermement, avec lui, pas d’engager un engrenage guerrier aux conséquences incalculables".
Géopolitique
La Hongrie bloque le début des négociations d'adhésion avec l'Ukraine - Les chefs d'État et de gouvernement ont décidé en décembre dernier d'entamer les négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie, mais il reste encore quelques étapes à franchir avant le début officiel des négociations et la Hongrie de Viktor Orban utilise à nouveau son veto pour paralyser l'UE. Les deux étapes de la procédure sont un accord unanime sur le cadre de négociation et la décision (également unanime) de convoquer la conférence intergouvernementale. Lors de la réunion du Coreper - l'organe où sont représentés les ambassadeurs des États membres - qui s'est tenue hier, vingt-six pays ont déclaré vouloir convoquer la conférence intergouvernementale avec l'Ukraine et la Moldavie avant la fin du mois de juin. Mais la Hongrie a demandé des changements significatifs au cadre de négociation pour l'Ukraine, ainsi que des ajouts au texte concernant les droits des minorités, le commerce, les politiques de lutte contre la corruption, l'agriculture, le marché intérieur et les relations de bon voisinage. Des experts nationaux retravailleront le texte. La présidence belge de l'UE espère que le cadre de négociation sera approuvé lors du Coreper de la semaine prochaine. Mais tout dépend d'Orban.
L'Italie en première ligne pour accélérer le processus dans les Balkans occidentaux - Au cours de la réunion du Coreper qui s'est tenue hier, certains États membres ont rappelé l'importance d'avancer dans le processus d'adhésion avec les pays des Balkans occidentaux, où des progrès suffisants ont été réalisés en termes de réformes. L'Italie a explicitement demandé que le Monténégro fasse un pas en avant pour certifier la réalisation de certains objectifs intermédiaires dans le domaine de l'État de droit, si toutes les mesures requises sont effectivement prises. Quant à l'Ukraine et à la Moldavie, l'Italie considère qu'il est important d'envoyer un message clair d'encouragement aux deux candidats dans le contexte de l'agression russe. Giorgia Meloni devra-t-elle à nouveau tenter de ramener Viktor Orban à la raison européenne ? En décembre, c'est finalement le chancelier Olaf Scholz qui a persuadé le premier ministre hongrois de quitter la salle du Conseil européen lorsque la décision d'entamer les négociations sur l'Ukraine a été prise.
Accord en vue sur les droits de douane prohibitifs sur les céréales en provenance de Russie - Les ministres du commerce de l'UE devraient donner aujourd'hui leur feu vert définitif à une décision visant à imposer des droits de douane “prohibitifs” sur les importations de blé, d'autres céréales, d'oléagineux et de produits céréaliers en provenance de Russie et de Biélorussie, nous a indiqué un diplomate. À la demande de certains États membres qui ont constaté une augmentation significative des importations de céréales russes, la Commission a proposé en mars d'augmenter les droits de douane de l'UE de zéro à 95 euros par tonne ou 50 % de la valeur. L'objectif, a expliqué le diplomate, est de mettre ces produits russes et biélorusses “hors du marché européen”. Toutefois, il y aura une exemption pour le transit des céréales de la Russie vers les pays tiers. L'accord a déjà été certifié par le Coreper. Après approbation par les ministres du commerce, il devrait être publié au journal officiel.
Le commissaire Varhelyi en Israël rencontre le ministre accusé de crimes de guerre - Depuis deux jours, le commissaire à l'élargissement, le Hongrois Oliver Varhelyi, poste sur son compte X des photos le montrant souriant aux côtés des dirigeants israéliens. Lors de cette visite, du moins en public, aucune critique n'a été émise sur la conduite de la guerre à Gaza par le gouvernement de Benjiamin Netanyahou. Hier, M. Varhelyi a rencontré le ministre de la défense, Yoav Gallant, contre qui le procureur Karim Kahn a demandé à la Cour pénale internationale d'émettre un mandat d'arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. La réunion “a porté sur la situation humanitaire et sécuritaire à Gaza et dans le nord d'Israël, avec une perspective sur le Liban et l'Iran”, a déclaré M. Varhelyi. Un porte-parole de la Commission a expliqué que les commissaires n'ont pas à demander l'approbation préalable d'Ursula von der Leyen, mais que la présidente “fait confiance à M. Varhelyi pour transmettre la position de l'UE sur toutes les questions bilatérales et régionales”. Le commissaire hongrois devrait se rendre à Ramallah aujourd'hui.
Energie
L'Allemagne mise en cause pour une taxe sur le stockage du gaz au détriment de la solidarité européenne - L'imposition par le gouvernement allemand d'une taxe sur le stockage du gaz aux opérateurs des autres États membres sera l'un des sujets débattus aujourd'hui lors du Conseil « Énergie ». L'Autriche, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque veulent contester la taxe allemande, car elle constitue une violation du marché intérieur, va à l'encontre de la solidarité européenne et décourage l'objectif de réduction de la dépendance à l'égard des approvisionnements russes. Ce point de vue est partagé par la commissaire à l'énergie, Kadri Simson, qui souhaitait ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de l'Allemagne dès le mois d'avril. Mais, selon nos sources, l'initiative a été bloquée par le cabinet d'Ursula von der Leyen. La raison ? Le dialogue avec Berlin en vue d'une solution se poursuit", nous avait déclaré un porte-parole de la Commission fin avril. Simson a envoyé une lettre. Le gouvernement d'Olaf Scholz a augmenté la taxe à 2,5 euros par mètre cube, soit près de 10 % du prix du gaz sur le marché au comptant. Les recettes annuelles pour l'Allemagne sont estimées à un milliard d'euros. Dans le sillage d'autres pays européens.
RussiaGate
Perquisitions contre un assistant parlementaire de l'extrême droite - Après le QatarGate et le ChinaGate, le Parlement européen a de nouveau été perquisitionné dans le cadre d'une enquête sur l'ingérence étrangère. Cette fois, c'est la Russie qui en est à l'origine. Le procureur fédéral belge a annoncé hier avoir perquisitionné le domicile en région bruxelloise et le bureau dans le bâtiment du Parlement européen à Strasbourg d'un assistant parlementaire dans le cadre de l'enquête sur la campagne d'influence russe via le site internet Voice of Europe. Le nom de l'assistant est Guillaume Pradoura, qui a travaillé avec l'eurodéputé allemand de l'AfD Maximilian Krah avant de rejoindre l'eurodéputé néerlandais du Forum pour la démocratie Marcel de Graaff. Un autre ancien assistant de M. Krah a été arrêté en Allemagne pour espionnage au profit de la Chine. “Pour moi, c'est une surprise totale", a déclaré M. de Graaf : “Je ne suis pas du tout impliqué dans la soi-disant opération de désinformation russe. J'ai mes convictions politiques et je les revendique”. M. de Graaf a accusé le parquet fédéral d'avoir mené l'enquête sur son assistant par crainte de la montée de l'AfD aux élections européennes. Le parquet fédéral belge a expliqué qu'”il existe des indices selon lesquels des membres du Parlement européen ont été approchés et payés pour promouvoir la propagande russe” via Voice of Europe. “Des indices prouvent que Guillaume Pradoura a joué un rôle important”.
PfizerGate
Les lobbyistes no vax adressent une injonction au Conseil européen pour qu'il ne nomme pas von der Leyen - L'avocat du lobbyiste belge Fréderic Baldan à l'origine de l'enquête du parquet de Liège et du parquet européen sur les achats de vaccins Pfizer impliquant Ursula von der Leyen a écrit à Charles Michel et aux chefs d'Etat et de gouvernement, ainsi qu'au président du PPE Manfred Weber, pour leur adresser trois requêtes formelles mais décidément très bizarres. Fréderic Baldan “met en demeure le Conseil de saisir la Cour de justice pour qu'elle prononce la démission d'office et la déchéance des droits à pension” de Mme von der Leyen et de l'ensemble de sa Commission. Deuxièmement, M. Baldan “met en demeure le Parti populaire européen de retirer la candidature de Mme von der Leyen au poste de président de la Commission”. Troisièmement, M. Baldan “fait interdiction à quiconque de présenter la candidature de Mme von der Leyen au poste de président de la Commission ou à tout autre poste au sein des institutions européennes” jusqu'à la conclusion de la procédure dans l'affaire Pfizer. Si les injonctions ne sont pas respectées dans les huit jours, son avocate , Diane Protat, menace de poursuivre Michel, Weber et les vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement devant les tribunaux.
Ce qui se passe aujourd'hui
OTAN : réunion informelle des ministres des affaires étrangères à Prague
Conseil commerce
Conseil énergie
Conseil européen : le président Michel rencontre le premier ministre espagnol Pedro Sanchez à Madrid
Commission : le vice-président Dombrovskis rencontre Omer Bolat, ministre turc du commerce
Commission : le commissaire Gentiloni assiste au Festival de l'économie de Turin en Italie ; il s'exprime par un message vidéo lors de l'événement « Impossible 2024 » organisé par Save the Children
Commission : le commissaire Lenarcic reçoit le commissaire général de l'Unrwa, Philippe Lazzarini
Commission : la commissaire McGuinness à Athènes
Commission : le commissaire Wojciechowski au Kazakhstan
Cour de justice de l'UE : arrêt sur les recours d'Airbnb, Amazon, Google et Expedia contre la loi italienne sur les obligations d'enregistrement et de contribution financière
Comité économique et social : session plénière (débat avec le vice-président Schinas)
Conseil : réunion du Comité politique et de sécurité
Eurostat : données sur le chômage en avril ; indicateur du climat économique et résultats de l'enquête auprès des entreprises et des consommateurs en mai