L’UE fait défaut à l’Ukraine
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L’UE fait défaut à l’Ukraine
A court de munitions, à court d’argent, à court de soutiens, les Ukrainiens traversent une très mauvaise passe. Ils se sentent lâchés par leurs soutiens à Bruxelles et à Washington. Les promesses ne sont pas tenues et les divisions politiques internes rendent leur exécution de moins en moins réalisables. Les obstacles se multiplient sur la voie de l’adhésion et menacent la solidarité européenne. Le ralentissement de l'aide est un "danger mortel", a averti la première dame ukrainienne Olena Zelenska dans un entretien dimanche avec la BBC. "Si le monde est fatigué, il nous laissera simplement mourir", a-t-elle lâché.
L’appel sera-t-il entendu par l’UE, dont les ministres des Affaires étrangères se réunissent aujourd'hui à Bruxelles ? Sans aucun doute. Mais quelle sera la réponse? L’Union est nue, et financièrement dans la gêne. Elle ne tiendra pas sa promesse de livrer le million d’obus promis pour 2023. “L'objectif ne sera pas atteint cette année”, a confirmé un diplomate au fait du dossier. “Mais ce sera sans doute possible dans le courant de l’année prochaine”, a-t-il assuré. Les achats communs de munitions trainent également. “Ils ne sont pas une priorité pour les gros exportateurs”, souligne-t-il. Les contributions nationales remplacent l’action commune européenne. L’Allemagne a annoncé le 8 décembre la fourniture de 1.750 obus de 155 mm et d'armements à l’Ukraine. Le Parlement bulgare a désavoué un véto du président Roumen Radev et donné son feu vert à la livraison de véhicules blindés.
“L’Ukraine est en train de perdre”. Le défaitisme enflamme militaires et politiques européens et américains comme une traînée de poudre. Est-il justifié ? Les soldats ukrainens sur le front témoignent que non. Mais ils ont besoin d’armes et de munitions. Ils le disent. Et leurs chefs relaient cet appel dans les capitales européennes et à Washington. Dmytro Kuleba, le ministre des Affaires étrangères ukrainien sera présent lundi à Bruxelles pour sensibiliser ses homologues. Le président Zelensky multiplie les appels à l’aide auprès des dirigeants du monde entier. Mais les regards se sont tournés ailleurs. La fatigue se fait sentir, même si les dirigeants européens et américains assurent le contraire.
Le projet de conclusions pour le sommet des 14 et 15 décembre était en discussion dimanche. Nous l’avons consulté. Il est plein d’engagements sur le “soutien inébranlable” de l’UE à l’Ukraine, de promesses sur la fourniture des munitions et d’assurances sur la poursuite de l’assistance financière. Mais “Orban bloque tout”, dénoncent les délégations à Bruxelles.
Le Premier ministre hongrois campe sur ses positions. Il demande de retirer les négociations d’adhésion et le plan d’assistance financière à l’Ukraine de l’ordre du jour du sommet car il ne leur donnera pas son accord. Or l’unanimité est requise. L’Allemagne dénonce un bluff, mais Viktor Orban se montre déterminé. Emmanuel Macron l’a convié à dîner jeudi soir à Paris, mais il n’est pas parvenu à le convaincre d’opter pour une “abstention constructive” comme il l’a toujours fait jusqu’ à présent. “En Hongrie, plus des deux tiers de l’opinion publique sont opposés à l’ouverture de toute négociation et le parlement hongrois est totalement contre”, a-t-il expliqué dans un entretien à l’hebdomadaire français le Point auquel il a fait référence comme sa position à sa sortie du palais de l’Elysée.
L’UE peut-elle renoncer à parler des deux principaux sujets du sommet ? C'est difficile. Mais si elle ignore la position de Viktor Orban, l’échec est assuré. Le premier ministre néerlandais Mark Rutte, un Libéral, a fait capoter en février 2020 un sommet consacré au budget pluriannuel de l’UE pour la période 2021-27 car il refusait les propositions sur la table. Il avait fait une entrée très médiatisée en arrivant avec une pomme et une biographie de Chopin pour “passer le temps” car “il n’y a rien à négocier”, avait-il déclaré.
L’UE a-t-elle un plan B ? Des solutions sont discutées. Une assistance financière de 50 milliards –17 en cash, 33 en prêts– est prévue pour aider l’Ukraine pendant les 4 prochaines années. Elle est incluse dans une révision du budget pluriannuel qui suscite de sérieuses réserves allemandes. “Si aucun accord n’est trouvé pour abonder le budget, l’aide à l’Ukraine peut être sortie de la négociation et allouée sur une base annuelle”. C’est ce que préconisent l'Allemagne et plusieurs pays nordiques. Des garanties individuelles seraient demandées aux Etats membres pour contourner le refus hongrois, a expliqué un négociateur. L’option marquerait le retour aux solutions nationales, comme pour les livraisons d’armements. Elle serait la fin de l’esprit communautaire qui a inspiré l’UE depuis sa naissance.
L’ouverture des négociations d’adhésion peut pour sa part être différée à mars 2024, date de la clause de rendez-vous annoncée par la Commission européenne pour vérifier que les 7 réformes demandées à l’Ukraine ont été adoptées et mises en œuvre. “La Commission demande d’ouvrir les négociations avant que les conditions imposées soient remplies et elle reconnaît que le compte n’y est pas. Or dans les conditions non remplies, il y a la protection des minorités nationales, et donc de la minorité hongroise en Ukraine”, souligne le représentant d’un Etat membre. Orban cache la forêt européenne. Beaucoup de pays ne sont pas pressés d’ouvrir les négociations pour les adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie”, nous ont confié plusieurs délégations. Mais seul Orban, dit tout haut ce que les autres confessent.
Volodymyr Zelensky redoute cette solution. “Nous avions sept recommandations et nous avons réalisé tout ce que l'on attendait de nous en décembre”, a-t-il annoncé samedi après l’adoption des législations sur la lutte contre la corruption et les minorités nationales. “Nous nous attendons à ce que les dirigeants de l'UE reconnaissent comme il se doit les efforts de l'Ukraine et à ce que l'UE tienne ses promesses en la matière”, a-t-il averti.
La citation
"Nous continuerons à soutenir l'Ukraine dans sa guerre de défense. Nous le faisons avec une aide financière et des livraisons d'armes (...). Non, cette guerre ne se terminera probablement pas aussi rapidement que nous l'aurions souhaité. C'est pourquoi nous devons être en mesure de continuer à faire ce que nous faisons aujourd'hui, cette année, l'année prochaine et l'année suivante. Si d'autres faiblissent, nous devrons augmenter notre part".
Olaf Scholz, chancelier de la République fédérale d'Allemagne
La Semaine
Dix milliards pour Orban - La Commission européenne demain pourrait débloquer 10 milliards d'euros de fonds de la politique de cohésion pré-affectés à la Hongrie, qui avaient été gelés pour violation de l'État de droit. L'évaluation préliminaire des réformes de la justice introduites par le gouvernement de Viktor Orban est positive. La Commission juge satisfaisant le renforcement du rôle du Conseil national de la justice et les nouvelles règles applicables à la Cour suprême, qui devraient limiter l'influence du gouvernement et permettre aux tribunaux de faire appel devant la Cour de justice de l'Union européenne. Tous les fonds de cohésion ne seront pas dégelés : quelque 11,7 milliards devraient rester bloqués, en partie à cause du mécanisme de conditionnalité sur l'État de droit, en partie à cause de violations des règles de l'UE sur la liberté académique, les droits des LGBT et les règles en matière d'asile. Nombreux sont ceux qui, à Bruxelles, espèrent que les 10 milliards suffiront à convaincre Orban de lever son veto sur l'Ukraine.
Recherche d'un accord sur la révision du budget - La dernière Negobox sur la révision du cadre financier pluriannuel présenté par la présidence espagnole de l'UE "va dans la bonne direction, mais pas suffisamment pour mettre tout le monde d'accord", nous a dit un haut fonctionnaire de l'UE. Ce sera l'autre sujet, outre l'Ukraine, du Conseil européen de jeudi et vendredi. Le dernier projet de conclusions ne comporte qu'un seul "p.m." : pour mémoire. "La Négobox est encore trop chère pour certains pays", a déclaré le fonctionnaire : "Il y a encore une énorme somme d'argent" demandée aux contributeurs nets (26,8 milliards d'euros, selon la dernière version retouchée par le président du Conseil européen, Charles Michel). Reste le problème des ressources pour compenser la hausse des taux d'intérêt sur la dette contractée par NextGenerationEu : "Ils sont très chers et les Etats membres sont réticents à ce sujet", nous a dit le fonctionnaire. Il reste à voir comment les pays du Sud réagiront aux réductions proposées par la présidence espagnole par rapport à la proposition de la Commission. Dans la Negobox, le Fonds pour l'innovation de 5 milliards d'euros, qui était censé compenser les aides d'Etat allemandes dans les technologies vertes, a disparu. Les ressources supplémentaires pour les politiques migratoires ont également été réduites.
Ecofin
Un pas en avant à l'Ecofin vers le nouveau Pacte de stabilité - Les ministres des finances de l'UE n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la révision de la gouvernance économique, mais ont tout de même réussi à faire un pas en avant significatif vers le nouveau Pacte de stabilité et de croissance. Après une nuit de négociations, la France et l'Italie ont arraché une concession à l'Allemagne : une période transitoire de 2025 à 2027, au cours de laquelle les pays faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif bénéficieront d'une légère réduction de l'effort budgétaire pour tenir compte de la hausse des taux d'intérêt. "Nous y sommes presque", a déclaré la ministre espagnole des finances, Nadia Calvino, en expliquant que des consultations "techniques, juridiques et politiques" étaient encore nécessaires. Un groupe de petits pays frugaux - les Pays-Bas, l'Autriche, la Finlande, la Suède, le Danemark et le Luxembourg - n'a pas encore donné son feu vert à l'accord. Calvino s'est dit prêt à convoquer un nouvel Ecofin extraordinaire dans la semaine précédant Noël. Quoi qu'il en soit, le nouveau Pacte de stabilité semble beaucoup plus austère que celui initialement proposé par la Commission.
Franco-Italien
La France découvre l'utilité de l'Italie pour négocier avec l'Allemagne - Dans la nuit de jeudi à vendredi, Bruno Le Maire a découvert que l'Italie pouvait être un allié utile face à l'Allemagne. Depuis le début des tractations sur le Pacte de stabilité, le ministre français des Finances avait choisi de négocier bilatéralement avec son homologue Christian Lindner sur les grandes lignes des nouvelles règles. Au cours des derniers mois, il y a eu cinq réunions en tête-à-tête et d'innombrables appels téléphoniques en franco-allemand. M. Le Maire a accepté toutes les demandes de Lindner, sans obtenir grand-chose en retour. Sa frustration était évidente jeudi matin, lorsqu'il a annoncé une "ligne rouge" française sur l'effort budgétaire à consentir pour les pays faisant l'objet d'une procédure pour déficit excessif. Ce n'est qu'à ce moment-là que M. Le Maire a vraiment fait équipe avec l'Italien Giancarlo Giorgetti. Face aux deuxième et troisième économies de l'UE réunies, Lindner a été contraint de faire au moins une concession. Cela servira-t-il de leçon pour d'autres négociations à venir ?
Trilogue
Accord sur la loi relative à l'intelligence artificielle - Le trilogue le plus long de la législature a été atteint dans la nuit de vendredi à samedi, lorsque les négociateurs du Parlement européen et de la présidence espagnole de l'UE ont annoncé l'accord sur la loi relative à l'intelligence artificielle. Le commissaire Thierry Breton a célébré l'événement en publiant un billet sur X dans lequel il souligne que l'UE est la première au monde à disposer de règles en matière d'intelligence artificielle. Les négociateurs du Parlement européen ont mené un long bras de fer avec le Conseil sur les potentielles violations des droits de l'homme par les gouvernements et les entreprises. "Les négociations très difficiles de ces derniers jours ont permis de renverser l'approche sécuritaire qui aurait voulu permettre aux gouvernements et aux particuliers d'utiliser ces technologies pour la reconnaissance émotionnelle sur le lieu de travail, pour l'identification sur la base de l'appartenance ethnique et des opinions politiques, pour prédire qui va commettre un crime", a déclaré Brando Benifei, l'un des rapporteurs du Parlement européen. L'utilisation de la reconnaissance biométrique dans les espaces publics sera "limitée à la recherche de terroristes et à quelques crimes très graves", a assuré M. Benifei.
Accord reporté sur le pacte migratoire - Les trilogues ne se sont pas tous bien déroulés la semaine dernière. Celui "Jumbo" sur le nouveau pacte sur les migrations et l'asile s'est terminé dans l'impasse dans la nuit de jeudi à vendredi. La présidence espagnole de l'UE et les négociateurs du Parlement européen ont convenu de se réunir à nouveau le 18 décembre.
Ce qui se passe aujourd'hui
Conseil Affaires étrangères
Conseil Agriculture et pêche
Réunion ministérielle du Partenariat oriental
Parlement européen : session plénière à Strasbourg (débats sur les élections européennes ; politiques fiscales en temps de crise)
Parlement européen : audition des lauréats du Prix Sakharov 2023 devant les commissions des affaires étrangères, du développement et des droits de l'homme
Parlement européen : audition des commissaires Dombrovskis et Gentiloni devant les commissions des affaires économiques et du budget
Commission : le commissaire Hoekstra participe à la plénière de clôture de la Cop28
Commission : le commissaire Schmit à Paris pour participer à un événement de haut niveau sur l'Année européenne des compétences
Commission : le commissaire Lenarcic assiste à Genève au lancement de l'aperçu humanitaire mondial 2024 de l'OCHA et rencontre Mirjana Spoljaric, présidente du Comité international de la Croix-Rouge
Parlement européen : réunion du Bureau
Eurostat : données sur les dépenses culturelles des ménages