Macron le président lanceur d’alerte
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Macron le président lanceur d’alerte
Emmanuel Macron est un lanceur d’alerte. L’appel à une Europe puissance lancé jeudi dernier dans son discours à la Sorbonne est une critique de la naïveté d’une Union européenne qui a désarmé et n’imagine pas la fin de la protection du parapluie américain de l’Otan. Mais nul n’est prophète en son pays. Son plaidoyer n’a pas suscité un grand enthousiasme. Ses partenaires sont plus préoccupés par la santé économique de la France et la situation politique dans le pays que par la vision de son président pour l’Europe. Pourtant, l'alarme lancée par Macron concerne tout le monde et est de plus en plus partagée : l'UE doit apprendre à faire cavalier seul, sans le grand protecteur américain. Beaucoup se posent toutefois une question : Macron est-il prêt à faire ce qu'il prêche ?
Le président français avait déjà choqué lorsqu’il avait fustigé une Otan en état de “mort cérébrale” quelques semaines avant le sommet de Londres en décembre 2019. La critique visait le soutien tacite du président américain Donald Trump et du secrétaire général de l’Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, à l’opération militaire lancée par la Turquie, sans aucune concertation avec ses alliés, contre les kurdes en Syrie dans une zone où étaient présentes des forces françaises. La relation entre la France et les Etats-Unis est faite de défiance, à l’image de la relation entre un chat et un chien. Partenaires, alliés, amis, mais avec la conscience que chacun peut laisser tomber l’autre si les intérêts divergent. “Les Etats-Unis ont deux priorités. Les Etats-Unis d'abord, et c’est légitime, et la question chinoise ensuite”, a rappelé Emmanuel Macron dans son discours. “La question européenne n’est pas une priorité géopolitique pour les années et les décennies qui viennent, quelles que soient la force de notre alliance et la chance d’avoir aujourd’hui une administration (américaine) très engagée sur le conflit ukrainien”, a-t-il averti.
Le président français ne veut plus passer pour un naïf. Il l’a été avec avec sa conviction que le président russe Vladimir Poutine n’envahirait pas l’Ukraine malgré les avertissements des Américains. Emmanuel Macron sait que le soutien de l’Amérique à l’Ukraine n’est pas “irrévocable” et que tous les dirigeants américains ne considèrent pas l’obligation de solidarité stipulée dans l’article 5 de l’Otan comme un ”devoir sacré”. Donald Trump a déclaré que s’il était élu président des Etats-Unis en novembre, il ferait cesser tout soutien militaire à l’Ukraine. Il a par ailleurs raconté à ses partisans lors d’une réunion de campagne avoir averti les membres de l’Otan qu’il refuserait de se porter au secours d’un allié attaqué par la Russie si ce dernier n’a respecté son engagement de consacrer au moins 2% de son PIB à ses dépenses de Défense. “En fait, je les encouragerais à vous faire ce qu’ils veulent”, a-t-il précisé.
Les Américains ne sont pas toujours “solides comme des rocs”. Ils ont planté leurs alliés en Afghanistan en négociant seuls leur retrait du pays avec les Talibans. Mis devant le fait accompli, les autres membres de l’Otan engagés dans l’opération Resolute Support ont été incapables de sécuriser l'aéroport de Kaboul pour poursuivre l’évacuation en 2021 et ont abandonné la population de la capitale. Et au moment où le soutien des Etats Unis était crucial pour l’Ukraine, les élus Républicains ont bloqué au Congrès l’octroi d’une aide militaire et financière de 60,8 milliards de dollars pendant plusieurs mois. Les Européens ont été incapables de prendre le relais pour les fournitures d’armements, tout simplement parce qu'ils ne les ont pas L’Europe a délégué sa sécurité à l’Amérique. Elle s’est mise en position d’obligée, et paie les conséquences avec ses achats d’armes made in USA.
L’Union européenne est “un géant politique, un nain politique, un ver militaire”. La formule de l’ancien ministre des Affaires étrangères belge Mark Eyskens est toujours cruellement d’actualité. Emmanuel Macron appelle au réveil, plaide pour passer à une économie de guerre, préconise de renforcer le pilier européen de l’Alliance car en cas de retrait de l’Amérique, ce serait la fin de l’Otan. Seuls, les Européens ne seraient pas en mesure de maintenir une posture de dissuasion et de défense face à la Russie.
Le président français a déploré la “fragmentation” de l'industrie de défense en Europe comme “une faiblesse”. Il a dénoncé la “très forte dépendance vis -à -vis des industriels non européens” et plaidé pour “une préférence communautaire pour les achats militaires européens”. “Il nous faut faire émerger une défense crédible du continent européen et lui donner un contenu”, a-t-il soutenu. Macron s’est dit dans ce contexte prêt à ouvrir le débat d’une défense européenne comprenant l’arme nucléaire. Seule puissance nucléaire de l’UE, “la France garderait sa spécificité, mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen”, a-t-il annoncé dans un entretien avec des jeunes européens à Strasbourg. Cette défense doit aller de pair avec une politique étrangère autonome. “L’Europe doit montrer qu’elle n’est jamais le vassal des Etats Unis d’Amérique, mais qu’elle sait parler à toutes les régions du monde”.
Emmanuel Macron va loin dans la prise de distance avec les Etats-Unis. Sera-t-il entendu? Sera-t-il seulement écouté ? Olaf Scholz l’a félicité le jour même pour ses idées. Mais le chancelier n’en démord pas. “L’Otan est le fondement et le garant de notre sécurité”, a-t-il affirmé quelques jours plus tard lors d'un entretien avec Jens Stoltenberg à Berlin. “Le problème à résoudre pour Macron est la dépendance à l’égard des Etats-Unis et sa solution est l’autonomie et la souveraineté européennes. Mais pour une grande partie de l’Europe, les problèmes sont le néo impérialisme russe et les ambitions hégémoniques chinoises et la solution est de travailler avec les Etats-Unis”, souligne l'analyste allemand Ulrich Speck.
Le chef de la diplomatie polonaise Radoslaw Sikorski a confirmé cette lecture dans un discours prononcé devant le parlement Polonais au moment où Macron s’exprimait à la Sorbonne. “La Pologne ne doit pas choisir entre des relations étroites avec ses partenaires européens et la coopération avec les Etats-Unis. C’est un mythe”, a-t-il affirmé. “De bonnes relations avec les Etats-Unis renforcent la Pologne en Europe et le rôle d’initiative de la Pologne au sein de l’UE font de nous un partenaires plus attrayant aux yeux des alliés et des investisseurs américains”, a expliqué le ministre. Depuis le retour de l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk au pouvoir à Varsovie, la Pologne est devenue un acteur incontournable et le Triangle de Weimar avec la France et l’Allemagne est devenu le nouveau moteur de l’UE. Comme l’Allemagne, la Pologne est prête à renforcer le pilier européen au sein de l’Otan, mais Varsovie fera tout pour “maintenir et renforcer le rôle des Etats-Unis en Europe”, a averti Radoslaw Sikorski. Une pierre dans le jardin de Macron.
Concept mal défini, l’Europe de la défense suscite toujours beaucoup de méfiance au sein de l‘UE. Si nombre de dirigeants partagent le diagnostic d’Emmanuel Macron sur les faiblesses provoquées par les dépendances de l’UE, ils ne sont pas prêts à lâcher les Etats-Unis et le positionnement anti américain d’Emmanuel Macron irrite. “Si l’ambition était de réduire la dépendance européenne à l’égard de la défense américaine, la France aurait dû être à l’avant garde du soutien militaire à l’Ukraine, ce qui n’a pas été le cas”, pointe Ulrich Speck, très critique contre la faiblesse de la contribution française. “L’Europe doit prendre le relais des Etats-Unis au lieu de se contenter de prêcher. C’est l'action qui compte”, soutient Speck. Emmanuel Macron saura-t-il être plus qu’un lanceur d’alerte ? Une réponse est attendue lors du sommet européen des 27 et 28 juin consacré à l’adoption de l’agenda stratégique de l’UE, la feuille de route pour les 5 prochaines années.
La citation
"Nous voulons créer une majorité qui rassemble les forces de centre-droit et envoie la gauche dans l'opposition également au sein de l'UE. C'est difficile mais possible (...). Nous pouvons amener le modèle italien aussi en Europe".
Giorgia Meloni.
Géopolitique
La situation s'aggrave sur le front ukrainien - Le commandant en chef des forces armées, Oleksandr Syrsky, a averti samedi que l'Ukraine était confrontée à "une situation opérationnelle et stratégique complexe", qui "a tendance à s'aggraver", sur la ligne de front. Ces derniers jours, la Russie a réussi à progresser dans plusieurs secteurs de la ligne de front dans l'est de l'Ukraine. Hier, Moscou a revendiqué la prise du village de Novobakhmoutivka, au nord-ouest de la ville d'Avdiivka, qui avait été capturé en février. La Russie poursuit également ses attaques de missiles contre les infrastructures énergétiques. Entre samedi et dimanche, des installations dans les régions de Dnipropetrovsk, Ivano-Frankivsk et Lviv ont été touchées. Le président ukrainien, Volodymyr Zlelensky, a lancé un nouvel appel aux Occidentaux pour qu'ils fournissent des systèmes de défense aérienne "le plus rapidement possible". "L'Ukraine a besoin de sept systèmes Patriot, c'est le minimum", a déclaré M. Zelensky.
La Commission alloue 68 millions d'euros supplémentaires d'aide humanitaire à Gaza - Face à l'aggravation de la crise humanitaire à Gaza, la Commission a annoncé vendredi qu'elle avait alloué 68 millions d'euros supplémentaires sous forme d'aide humanitaire à distribuer par l'intermédiaire d'organisations partenaires qui assistent déjà les Palestiniens dans la bande de Gaza et dans le reste de la région. Ce soutien vise à accroître l'aide alimentaire, nutritionnelle, sanitaire et en matière d'eau et d'assainissement. Un vol du pont aérien humanitaire lancé par l'UE est parti vendredi et deux autres vols sont prévus pour la première semaine de mai. Le montant total de l'aide humanitaire de l'UE aux Palestiniens dans le besoin à Gaza et dans toute la région a été porté à 193 millions d'euros en 2024. "L'état critique des Palestiniens en situation d'extrême danger devient désastreux", a déclaré le commissaire Janez Lenarcic. "Les Palestiniens ne peuvent plus attendre l'arrivée d'une aide significative, Israël doit faire plus pour éviter une nouvelle catastrophe humaine. Le respect du droit international est crucial", a ajouté M. Lenarcic.
Espagne
Le jour de Sanchez - Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Madrid samedi pour demander à Pedro Sanchez de ne pas démissionner, après que le premier ministre socialiste a annoncé cette possibilité face aux attaques de la droite et de l'extrême droite, notamment l'ouverture d'une enquête douteuse pour trafic d'influence et corruption contre son épouse, Begona Gomez. Jeudi, le parquet de Madrid a demandé le classement de l'enquête pour manque de preuves. La décision de M. Sanchez sur son avenir est attendue aujourd'hui. Mercredi dernier, le dirigeant socialiste avait surpris tout le monde - non seulement en Espagne mais aussi à Bruxelles - en annonçant l'annulation de tous ses engagements officiels pour réfléchir à son avenir. "Le président reste, Pedro reste. Nous sommes ensemble, nous devons avancer, nous devons continuer à faire avancer ce pays", a déclaré la numéro deux du gouvernement et ministre du budget, Maria Jesus Montero. Le chef du Parti populaire, Alberto Núñez Feijóo, a parlé de "manies autoritaires du Premier ministre et de son gouvernement, qui se croient impunis, refusant d'accepter la démocratie comme nous ne l'avons pas vu depuis l'époque de Franco". Personne ne sait vraiment ce que Sanchez a l'intention de faire. Une hypothèse est celle d'un vote de confiance pour montrer qu'il dispose encore d'une majorité au Parlement. La possibilité d'une démission a relancé les spéculations sur une éventuelle nomination européenne de Sanchez.
Elections européennes
Von der Leyen mise sur Ursula - Vendredi, le Parti populaire européen a lancé la campagne numérique de sa Spitzenkandidat Ursula von der Leyen. La présidente sortante de la Commission a décidé de mettre l'accent sur la personnalisation. Ursula 2024" est le nom du site web, mais aussi la marque de la campagne. Ses stratèges veulent mettre l'accent sur les aspects personnels d'Ursula von der Leyen. Une manière de détourner l'attention du bilan des cinq dernières années, qui est contesté par le PPE lui-même en ce qui concerne l'accord vert ? Le récit se concentrera davantage sur ce que von der Leyen a fait et fait en dehors de la politique, bien que sa famille ne doive pas être impliquée. Les slogans tourneront autour du concept "Plus qu'une Union, notre maison, notre sécurité, notre liberté". L'équipe von der Leyen utilisera les réseaux sociaux, mais pas TikTok pour des raisons de sécurité et de cohérence avec ce que la Commission a décidé pour cette plateforme. Les événements dans les capitales sont déjà prévus le 30 avril à Prague, le 8 mai à Katowice et le 13 mai à Rome. Mme Von der Leyen participera également au débat des Spitzenkandidats à Maastricht aujourd'hui. Aucune conférence de presse avec des journalistes n'est prévue à Bruxelles pour le moment.
Schmit se concentrera sur les contradictions d'Ursula (y compris Meloni) - Nicolas Schmit, le candidat du Parti socialiste européen, participera également au débat du Spitzenkdandidat à Maastricht. Luxembourgeois, le commissaire sortant aux affaires sociales devrait concentrer ses attaques sur l'extrême droite et la droite souverainiste qui ont voté contre toutes les mesures sociales au cours de la législature. M. Schmit défendra également le Green Deal, critiquant Ursula von der Leyen pour son ambiguïté face au recul du PPE sur le climat et l'environnement. Autre cible du candidat du PSE : le PPE a été à la tête de la Commission pendant vingt-cinq ans et c'est donc lui qui est responsable de la surréglementation qu'il critique aujourd'hui. Schmit devrait enfin interroger von der Leyen sur ses relations avec Giorgia Meloni qui, si elle reste pragmatique au niveau européen, travaille à la transformation de la société italienne et de ses institutions. Sur les droits des femmes, les LGBT, la liberté de la presse, Meloni est-elle compatible avec ce que von der Leyen défend ?
Numérique
Le géant chinois du commerce en ligne Shein désigné pour la DSA - Vendredi, la Commission a officiellement désigné le détaillant de mode rapide en ligne Shein comme une très grande plateforme en ligne au titre de la loi sur les services numériques. Shein, un géant chinois qui vend des vêtements, des bijoux et des cosmétiques à bas prix, a informé la Commission qu'il avait dépassé le seuil de 45 millions d'utilisateurs mensuels dans l'UE prévu par la loi sur les services numériques. Après avoir été désignée comme une très grande plateforme, Shein devra se conformer à des règles plus strictes, telles que l'obligation de prendre des mesures spécifiques pour responsabiliser et protéger les utilisateurs en ligne, y compris les mineurs, et d'évaluer et d'atténuer comme il se doit tout risque systémique découlant de ses services. Dans son communiqué, la Commission souligne en particulier les obligations qui incombent à Shein en ce qui concerne la vente de produits de contrefaçon, de produits dangereux et d'articles portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle, ainsi que les mesures de protection des consommateurs liées aux interfaces utilisateur, aux algorithmes de recommandation et aux conditions de service.
Ce qui se passe aujourd'hui
Élections européennes : débat entre les principaux Spitzenkandidat à Maastricht
Conseil européen : le Président Michel rencontre le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic, et le Président moldave, Maia Sandu
Conseil Agriculture et pêche à Luxembourg
Présidence belge de l'UE : réunion informelle des ministres des Affaires européennes
Présidence belge de l'UE : conférence ministérielle sur la mise en œuvre du Pacte sur la migration et l'asile
Présidence belge de l'UE : cérémonie d'anniversaire de l'élargissement de 2024 avec Charles Michel
Commission : le commissaire Hahn participe à la conférence budgétaire annuelle
Commission : discours du vice-président Sefcovic au Business Circle Luncheon
Commission : le commissaire Urpilainen visite Bratislava en Slovaquie
Commission : les commissaires Simson, Sinkevicius et Hoekstra participent à la réunion des ministres de l'énergie et de l'environnement du G7 à Turin (Italie)
Comité des régions : Journées de l'élargissement
Eurostat : taux d'occupation des prisons en 2022