Poutine, Trump et Xi aiguillonnent la marche forcée de l’UE vers l’autonomie
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Poutine, Trump et Xi aiguillonnent la marché forcée de l’UE vers l’autonomie
La peur est la force des dictateurs, mais elle est aussi leur faiblesse lorsque leurs adversaires se fédèrent pour leur résister ou s’émanciper. Ce n’est pas leur objectif, mais Vladimir Poutine, Donald Trump et Xi Jinping poussent les Européens à renoncer au confort procuré par leurs dépendances économiques et sécuritaires et à se lancer sur la voie de l’autonomie. La pandémie de la Covid a fait prendre conscience aux Européens combien ils étaient vulnérables à cause de leurs dépendances. Dépendance au gaz et au pétrole vendus à des prix imbattables par la Russie, dépendance à l’accès aux marchés de la Chine, dépendance envers les Etats-Unis pour leur protection.
Le souvenir de la décision de l’administration américaine dirigée par Joe Biden de confirmer la décision de Trump de bloquer les composants pour la fabrication des vaccins est dans la mémoire de tous les dirigeants de l’UE encore en fonction. Le “América first” est une réalité politique et économique. Les Etats-Unis sont un pays ami et un allié, mais ils varient en fonction de leurs intérêts. Ni Washington ni Pékin ni Moscou ne respectent les règles. L’Union européenne a découvert combien elle a été naïve. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a ensuite provoqué un choc sécuritaire. “La souveraineté n’était plus garantie”, explique le représentant d’un Etat membre. La nécessité d’une “autonomie stratégique” a été inscrite dans les conclusions du sommet européen de Versailles en mars 22.
En campagne électorale en Caroline du Sud, Donald Trump a fait voler en éclat la dernière illusion européenne, celle de la protection garantie par l’Otan. L’ancien président, qui veut reprendre la Maison Blanche et assume sa volonté d’agir en “dictateur” une fois élu, a toujours considéré les Européens comme des ennemis, des profiteurs, des mauvais payeurs. Il a froidement annoncé à ses partisans qu’il refusera d’engager les forces américaines pour défendre un membre de l’alliance atlantique attaqué par la Russie si ce dernier “n’a pas payé pour sa protection” et, emporté par sa folie, il a ajouté qu’il “encouragerait la Russie à passer à l’acte”. Le coup est sévère pour la plupart des Européens, car Donald Trump tient un discours que nombre d’Américains veulent entendre de leurs dirigeants. “Il dit des choses scandaleuses pour exciter les gens. Cela fonctionne lors des rassemblements électoraux. Malheureusement, cela a un impact dans le monde, car nos amis se demandent s’ils peuvent compter sur l’Amérique”, a déploré le sénateur américain Mitt Romney, l’un des plus farouches opposants républicains de Donald Trump.
La Défense est redevenue la priorité des Européens, après des années de désarmement. L’Union européenne n’est pas une alliance militaire, même si plusieurs Etats ont des forces conséquentes. ”Elle a préféré le beurre aux canons”, rappelle le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. L’UE n’a pas de défense commune et pas de politique étrangère commune . Elle est une union de commerçants et ses industries de la Défense sont en concurrence entre elles sur les marchés mondiaux de l’armement. “L’Europe doit devenir un continent sûr”, a plaidé lundi le Premier ministre polonais Donald Tusk lors de sa visite à Paris. “La France et la Pologne doivent devenir des Etats forts, prêts à défendre leur territoire et celui de leurs alliés dans et hors de l’UE”, a-t-il affirmé lors de sa conférence de presse avec Emmanuel Macron. Il s’est ensuite rendu à Berlin, troisième pilier du triangle de Weimar.
Brocardée comme une lubie française, l’Europe de la Défense revit. “L’Europe doit devenir une puissance de sécurité et de défense complémentaire à l’Otan, le pilier européen de l’Otan”, a lancé Emmanuel Macron. Pourquoi avoir tant attendu, demandent ingénument certains observateurs. “Parce que les Européens s’opposent depuis 30 ans à toutes les initiatives françaises dans cette direction”, répond l’ancien ambassadeur Gérard Araud, représentant permanent adjoint à l’Otan de 1995 à 2000. “Pourquoi ? Parce que la protection américaine était moins chère”, explique-t-il. Le prix à payer pour l’adhésion à l’Otan impose de consacrer une partie des dépenses de défense à l’achat d’armements américains sur catalogue. Lorsqu’elle était ministre de la Défense de la chancelière Angela Merkel, Ursula von der Leyen s’était insurgée lors d’une réunion ministérielle de l’Otan contre l’obligation d’acheter des avions de combat F35 américains. La sortie avait été rapportée au président Emmanuel Macron, qui s’en est souvenu et a défendu sa nomination à la présidence de la Commission européenne en 2019.
Le partage de la charge des dépenses pour la défense collective a toujours été un sujet de contentieux entre les Etats-Unis et leurs alliés à l’Otan. Mais depuis 2014, la plupart ont augmenté leurs dépenses et deux tiers d’entre eux vont atteindre l'objectif de 2% de leur PIB. Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg doit annoncer les derniers chiffres lors de la réunion des ministres de la défense de l’Alliance le 15 février. Mais le ver est dans le fruit. La confiance envers le protecteur américain s’est évanouie.
Les déclarations d’intention se multiplient dans l’UE. La très atlantiste Allemagne plaide ouvertement pour la construction d’une Union européenne de sécurité et de défense. Le Danemark vient de rejoindre le mouvement en 2022 après s’être tenu à l’écart des questions de défense, condition pour son maintien dans l’UE. “Nous ne vivons pas des temps paisibles. Quiconque veut la paix doit réussir à dissuader et a besoin d’une base industrielle solide”, a soutenu lundi le chancelier Olaf Scholz lors de l'inauguration d’une usine de munitions du groupe Rheinmetall avec Mette Frederiksen, la Première ministre du Danemark, pays associé au projet. “Nous devons développer notre industrie de défense afin de pouvoir continuer à soutenir l’Ukraine et assurer une défense et une dissuasion européennes plus fortes contre la menace”, a affirmé Mme Fredriksen.
Ces déclarations laissent dubitatif. Le Danemark et l’Allemagne consacrent respectivement 1,7% et 1,6% de leur PIB à la Défense. “Il faut agir maintenant avec une augmentation massive des budgets de la défense, un renforcement très rapide des capacités d’armement. Si aucun changement ne se produit dans le monde réel, si la réponse reste largement au niveau déclaratif, comme c’est souvent le cas dans l’UE, nous pourrions avoir rapidement de graves problèmes”, soutient l’analyste allemand Ulrich Speck. La démarche même ne convainc pas. “Une Union européenne de sécurité et de défense serait une seconde Otan sans les capacités militaires des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni, mais avec des décisions à la majorité qualifiée au lieu du consensus. Quelle petite nation européenne choisira cette solution au lieu de l’Otan?”, demande le hongrois Peter Siklosi, spécialiste des questions de défense.
L’Union européenne a trois priorités face aux nouvelles menaces: assurer sa sécurité, l’ autonomie de son industrie et sa sécurité alimentaire. Elle se retrouve face à “un mur d’investissements” à financer et “elle va devoir faire des choix, car elle ne pourra pas tout faire compte tenu des contraintes budgétaires”, avertit un responsable européen impliqué dans les prises de décisions.
Une autre source de préoccupations s’ajoute: l’ascension des forces d’extrême-droite ou nationalistes pro-russe et anti-européennes en France, en Allemagne et dans nombre d’autres pays européens. “Si Donald Trump est élu, cela va donner une impulsion à toutes les forces trumpistes en Europe. Or le but de Donald Trump est de disloquer l’UE et il aidera à les faire monter au pouvoir”, s’inquiète notre interlocuteur. “Cette donnée est largement sous-estimée”, déplore-t-il. Le Rassemblement National est le premier parti politique en France et l’AfD, Alternative pour l’Allemagne, ne cesse de progresser dans les intentions de vote. Pour l’instant, ils ne sont jamais parvenus à concrétiser. Mais s’ils parviennent au pouvoir, la France et l’Allemagne s’arrêtent et c’est l’implosion dans l’UE, avertit notre interlocuteur.
La citation
“Il appartient à notre génération de construire une Union européenne plus souveraine, dotée d'une autonomie stratégique ouverte sur le monde, en nouant des alliances pour renforcer notre capacité d'influence. Plus d'influence signifie plus de résilience et moins de dépendance”.
Charles Michel, Président du Conseil Européen
Géopolitique
Le Sénat américain approuve l’aide à l’Ukraine, blocage à la Chambre - Le financement de 61 milliards de dollars pour l’Ukraine est inclus dans un enveloppe de 95 milliards de dollars comprenant un soutien de 14 milliards pour Israël et 5 milliards pour Taïwan. Elle a été approuvée hier par les Sénateurs américains avec le vote des élus républicains non trumpistes, mais elle est bloquée à la Chambre des représentants, car son président, partisan de Donald Trump, s’oppose à son adoption. Le président Biden a appelé les députés à suivre ls sénateurs “Si nous ne nous opposons pas aux tyrans qui cherchent à conquérir ou à découper le territoire de leurs voisins, les conséquences pour la sécurité nationale de l'Amérique seront considérables”, a-t-il plaidé
Poutine veut faire taire Kaja Kallas - La Première ministre estonienne et plusieurs responsables baltes font l’objet d’un avis de recherche pour arrestation lancé par la police russe. Ils sont accusés d’hostilité à l’égard de la “mémoire historique” de la Russie avec la destruction ou la dégradation de monuments en hommage aux soldats soviétiques” de la 2e guerre mondiale. “L'action de la Russie n'est pas surprenante. C'est encore une fois la preuve que je fais ce qu'il faut. Le soutien fort de l'UE à l'Ukraine est un succès et cela nuit à la Russie”, a commenté hier Kaja Kallas. la dirigeante estonienne . “Tout au long de l'histoire, la Russie a dissimulé ses répressions derrière de prétendues forces de l'ordre. Je le sais par l'histoire de ma famille. Lorsque ma grand-mère et ma mère ont été déportées en Sibérie, c'est le KGB qui a délivré le mandat d'arrêt. Le Kremlin espère que cette mesure contribuera à nous réduire au silence, moi et d'autres, mais ce ne sera pas le cas”, a-t-elle assuré . Kaja Kallas est candidate pour le poste de secrétaire général de l’Otan, mais elle est également pressentie pour succéder à l’Espagnol Josep Borrell au poste de Haut Représentant pour l’action extérieure de l’UE
Chacun pour soi sur les sanctions contre les colons extrémistes en Cisjordanie - La France a sanctionné hier 28 “colons extrémistes” coupables de “violences contre des coils palestiniens en Cisjordanie”. Le communiqué du Quai d’Orsay précise que les colons sont interdits de séjour en France. L’UE tente d’adopter des sanctions européennes, mais l'initiative est bloquée par la Hongrie et la Slovaquie.
Numérique
La Commission gracie iMessage, Bing, Edge et Microsoft Advertising - La Commission a annoncé hier qu'elle avait clôturé quatre enquêtes de marché ouvertes le 5 septembre 2023 en vertu de la loi sur les marchés numériques (DMA), en décidant qu'Apple et Microsoft ne devaient pas être désignés comme gardiens des services de plateforme de base suivants : le service de messagerie iMessage d'Apple et les services en ligne Bing (moteur de recherche), Web Edge (navigateur) et Microsoft Advertising (publicité en ligne) de Microsoft. En juillet 2023, la Commission avait inscrit ces services sur la liste des "gatekeepers", avant de lancer une analyse approfondie à la suite d'une plainte "en réfutation" déposée par Apple et Microsoft. La Commission continuera à surveiller l'évolution du marché en ce qui concerne ces services, au cas où des changements substantiels se produiraient. Ces décisions sont sans préjudice de la désignation d'Apple et de Microsoft comme "gatekeepers" pour leurs autres services de plate-forme de base.
Economie
Les entreprises demandent moins de paperasserie pour les autorisations - 83 % des entreprises européennes considèrent la complexité et la longueur des processus d'autorisation comme un obstacle à l'investissement dans l'Union européenne, selon une enquête publiée hier par BusinessEurope. L'enquête a été menée auprès de 240 entreprises de 21 pays européens entre mai et juin 2023 afin de connaître leur expérience des processus d'autorisation industrielle de l'UE. Les entreprises font état de problèmes avec les autorités publiques (rapidité et manque de coordination), ainsi que de complications et d'incertitudes liées aux réglementations européennes et nationales. "Dans le contexte mondial hautement compétitif d'aujourd'hui, la rapidité revêt une importance stratégique. Les procédures d'autorisation industrielle longues et complexes sont un obstacle à la transformation verte et numérique des entreprises et à la compétitivité mondiale de l'UE", a déclaré Fredrik Persson, président de BusinessEurope. Quatre-vingt-six pour cent des entreprises souhaiteraient que les autorités fixent des délais pour l'octroi des permis. Quatre-vingt-deux pour cent demandent une meilleure communication entre les entreprises et les autorités. Soixante-dix-neuf pour cent aimeraient avoir la possibilité de commencer les projets et la construction plus tôt.
Ce qui se passe aujourd'hui
Présidence belge de l'UE : réunion informelle des ministres de la Recherche
Commission : réunion hebdomadaire du Collège des commissaires
Commission : le président von der Leyen reçoit le premier ministre albanais, Edi Rama
OTAN : conférence de presse du secrétaire général, Jens Stoltenberg, avant la réunion des ministres de la Défense
OTAN : réunion du Groupe de contact pour la défense de l'Ukraine (Ramsetein)
Parlement européen : visite de la présidente Metsola en République tchèque
Parlement européen : audition de Piero Cipollone devant la commission des affaires économiques sur l'euro numérique
Comité économique et social : session plénière (débats avec les commissaires Sefcovic et Hoekstra)
Eurostat : estimations du PIB et de l'emploi au 4ème trimestre 2023 ; chiffres de la production industrielle en décembre ; comptes des émissions de gaz à effet de serre au 3ème trimestre 2023