Surprenant Viktor
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Surprenant Viktor
L’Ukraine a obtenu le signal politique attendu de l’UE. La décision d’ouvrir les négociations pour son adhésion lui a été accordée d’une manière pour le moins surprenante à la fin de la première journée d’un sommet européen tendu à Bruxelles. Le Premier ministre de la Hongrie, Viktor Orban, opposé à cette concession, a suspendu son droit de véto et a quitté la salle du Conseil pour une pause pipi le temps de l’approbation de la décision par 26 voix et une abstention par absence.
Du jamais vu. “C’est une décision historique sans précédent”, a confié un responsable européen après l’annonce faite par le président du Conseil, le Belge Charles Michel, descendu exceptionnellement dans l’atrium où travaillent plusieurs centaines de journalistes pour annoncer la nouvelle, quasiment inaudible à cause de la cohue déclenchée par son arrivée. Le sommet se poursuivait sur l’assistance financière de 50 milliards d’euros promise à l’Ukraine pour les 4 prochaines années et le montant du financement de l’aide militaire.
Viktor Orban s’est appliqué à lui-même l’article 7 du traité qui prévoit la suspension du droit de vote pour un Etat membre. “Il a quitté momentanément la salle d’une manière constructive et d’un commun accord pendant le vote”, a expliqué un participant. “Il s’est rendu dans la salle de sa délégation pour utiliser les toilettes”, a-t-il précisé. La décision rappelait aux Belges le geste du Roi Baudoin, déclaré en impossibilité de régner en mars 1990 pour ne pas signer la loi dépénalisant l’avortement, puis informant le Premier ministre de la fin de son impossibilité de régner une fois la loi signée par un conseil des ministres spécial.
“Le Conseil européen a décidé d'ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie. Il a accordé le statut de candidat à la Géorgie et décidé d’ouvrir les négociations avec la Bosnie-Herzégovine dès que le degré nécessaire de conformité aux critères d'adhésion sera atteint. La Commission à présenter un rapport d'ici mars en vue de prendre une telle décision”, a expliqué Charles Michel. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a remercié “tous ceux qui ont œuvré pour que cela se produise et tous ceux qui ont apporté leur aide” pour permettre cette décision.
Qui a eu l’idée de cette formule créative ? Elle aura sans doute beaucoup de parents. Car seul contre 26, Viktor Orban disait non à l’ouverture des négociations avec Kiev et il campait sur cette position à son arrivée au sommet. Le risque de blocage était réel. Il ne s’est pas déjugé. Dans un message vidéo publié par son porte-parole après l’annonce de l’accord, il soutient que la décision d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Ukraine est une “mauvaise idée” et il assure qu’il n’a “pas participé” à cette décision. “Mais in ne lui a pas fait obstacle”, complète un responsable européen
Viktor Orban n’a pas obtenu de contreparties, a assuré une source européenne. Mais sur l'adhesion de l'Ukraine il conserve deux possibilités de veto, lors de l’adoption du cadre de négociations et pour la convocation de la Conférence intergouvernementale, et cela a sans doute pesé dans sa prise de position, a-t-il expliqué.
Convié pour une réunion avec Emmanuel Macron, Olaf Scholz, et les présidents du Conseil Charles Michel et de la Commission Ursula von der Leyen avant l’ouverture du sommet, il s’était montré très légaliste, et n’avait rien cédé. “L’adhésion est un processus au mérite. Il ne souffre d’aucune exception”, soutenait-il pour défendre sa position. “Il nous a fallu dix ans pour satisfaire aux conditions pour notre adhésion”, rappelait-il. L’Ukraine devait satisfaire à sept conditions pour obtenir l’ouverture des négociations. Or elle n’en a rempli que quatre. La Commission européenne l’a reconnu dans sa recommandation. L’Allemagne a invoqué cet argument pour s’opposer à l’ouverture des négociations avec la Bosnie-Herzégovine, car Sarajevo n’a rempli que 2 des 14 conditions imposées. Orban voulait que les mêmes règles s’appliquent pour tous les candidats.
Le Premier ministre hongrois frôle toujours la ligne rouge, mais il évite de la franchir. Le non-respect de l'Etat de droit lui a coûté le gel de 21,7 milliards de fonds européens. Il vient d’en récupérer 10 après avoir fait adopter une réforme judiciaire réclamée par la Commission européenne, gardienne des traités. Les financements pour son plan de relance sont bloqués pour le même motif. “Viktor Orban est dur et retors dans les négociations, mais lorsqu’il tope, il respecte sa parole, contrairement à d’autres dirigeants européens”, confie un responsable européen qui le pratique depuis longtemps.
Depuis sa mise au ban du Parti Populaire Européen qui l’a protégé pendant des années, Viktor Orban est en roue libre et il écoute peu. Mais il cherche sa place. “Mon projet n'est pas de quitter Bruxelles, mais de prendre le contrôle de Bruxelles. Mon idée n'est donc pas que la Hongrie se tienne à l'écart, qu'elle reste sur la touche dans le cercle extérieur, mais qu'elle se rapproche”, explique-t- il. Pour ce faire, il lui faut des alliés. Il compte sur l’Italie de Giorgia Meloni, sur la Slovaquie de Robert Fico. Mais aucun ne le soutient dans sa lutte contre l’adhésion de l’Ukraine. Un lâchage qui a sans doute pesé dans sa décision. Au final, le dirigeant hongrois confirme ce que beaucoup disent de lui: un hâbleur, une grande gueule pas très courageux lorsqu’il est isolé
La crédibilité de l’Europe géopolitique était en jeu. Si elle est incapable de respecter ses engagements, qui poura lui faire confiance. Le président Ukrainien Volodymyr Zelensky a joué sur cette corde sensible lors de son intervention en visioconférence durant le sommet. “Je vous demande une chose: ne trahissez pas les peuples et leur foi en l’Europe. Si personne ne croit en l’Europe, qu'est ce qui maintiendra l’Union européenne en vie”, a-t-il lancé aux dirigeants réunis autour de la table du Conseil.
La citation
"L'histoire est faite par ceux qui ne se lassent pas de se battre pour la liberté".
Volodymyr Zelensky, président de l'Ukraine, après la décision du Conseil européen d'ouvrir les négociations d'adhésion.
Suivi
L'autre véto d'Orban bloque l'aide à l'Ukraine et la révision du budget - Après avoir donné le feu vert aux négociations d'adhésion avec l'Ukraine, la Moldavie et la Bosnie-Herzégovine (et le statut de candidat pour la Géorgie), les dirigeants ont passé plus de sept heures à discuter de la révision du cadre financier pluriannuel. La nuit s'est terminée sans résultat et avec un report, probablement un sommet extraordinaire en janvier 2024. Viktor Orban cette fois a mis à exécution sa menace d'utiliser son droit de veto pour bloquer la décision, ce qui risque de compliquer la situation financière de l'Ukraine. La proposition de révision du budget comprend une enveloppe de 50 milliards d'aide financière à Kiev, qui était soutenue par 26 Etats membres. Pour aller dans le sens des pays frugaux, la dernier Negobox proposé par Charles Michel a ultérieurement réduit l'"argent frais" pour financer d'autres priorités, comme les migrations, la politique industrielle ou l'augmentation des taux d'intérêt sur la dette de NextGenerationEu. Orban a tout bloqué. La Suède a besoin d'un passage devant le Parlement. "Afin de se donner de meilleures chances de parvenir à un résultat positif, les dirigeants ont décidé de mettre fin à la discussion et de revenir sur la question en janvier, se donnant ainsi quelques semaines supplémentaires pour négocier", a déclaré un diplomate de l'UE. Le sujet du sommet d'aujourd'hui sera tout aussi clivant : le Moyen-Orient. Mais cette fois, ce ne sera pas à 26 contre 1.
Incertitude pour le financement de l’aide militaire européenne à l’Ukraine - Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE, bataille pour obtenir un montant permettant de financer la poursuite de l’aide militaire à l’Ukraine. Il a demandé 20 milliards d’euros sur quatre ans, soit 5 milliards par an, mais les Etats membres lui ont refusé ce montant. Aucun chiffre ne figure dans les conclusions du sommet. L’Allemagne ne veut plus entendre parler de la Facilité européenne pour la paix. L'instrument est paralysé par un veto de la Hongrie et Berlin refuse de payer pour les autres. Elle joue désormais la carte des fournitures bilatérales et a programmé 8 milliards d’euros pour l’aide militaire à l'Ukraine en 2024. L’action commune s’effondre. Un mauvais signal risque d’être adressé à l’Ukraine: celui d’un essoufflement de soutien aux forces ukrainiennes. Car l'Union peine à respecter ses engagements. Le million d’obus de 155 mm promis ne sera pas livré avant la mi-2024, le temps que les capacités de production montent en puissance. Elles devraient atteindre un million d’obus au printemps 2024 et tourner entre 1,3 et 1,5 million fin 2024. Mais les industriels ont besoin de contrats pour produire, a souligné un responsable européen.
Sanctions
Accord sur le douzième paquet de sanctions - Lors du Conseil européen d'hier, l'Autriche a finalement donné son accord au douzième paquet de sanctions contre la Russie, débloquant ainsi la procédure formelle d'adoption des nouvelles mesures restrictives. Le texte était prêt depuis mardi. Mais le gouvernement du chancelier Karl Nehammer avait demandé plus de temps. Vienne a contesté la présence de la banque autrichienne Raiffeisen sur la liste des sponsors de guerre de l'Ukraine.
Trilogue
Accord sur une réforme du marché de l'électricité qui plaît à la France - Après des longs mois de négociations, hier les négociateurs du Parlement et du Conseil se sont mis d'accord sur la réforme du marché européen de l'électricité, afin de le rendre plus stable, plus abordable et plus durable. Les consommateurs devraient être protégés contre la volatilité des prix grâce au droit d'accéder à des contrats à prix fixes, à des contrats à prix dynamiques, et de recevoir des informations clés sur les options auxquelles ils souscrivent, en interdisant aux fournisseurs de modifier unilatéralement les termes d'un contrat. Les députés ont également obtenu que les pays de l'UE interdisent aux fournisseurs de couper l'approvisionnement en électricité des clients vulnérables. Mais l'enjeu va bien au-delà des consommateurs. Le texte adopté prévoit des "contrats pour la différence" (CFD), ou des systèmes équivalents ayant les mêmes effets, afin d'encourager les investissements dans le domaine de l'énergie. Dans un CFD, une autorité publique compense le producteur d'énergie si les prix du marché chutent trop fortement, mais perçoit des paiements de sa part si les prix sont trop élevés. L'utilisation des CFD sera autorisée pour tous les investissements dans la nouvelle production d'électricité, qu'elle soit d'origine renouvelable ou nucléaire. La reconnaissance du nucléaire est une victoire pour la France après un clash avec l'Allemagne sur le sujet. La France pourra aussi accorder des subventions pour prolonger la durée de vie de ses réacteurs nucléaires existants.
Accord sur l’accès à l’indemnisation en raison d’un produit défectueux - Les négociateurs du Parlement et du Conseil ont trouvés un accord aussi sur les nuovelles regoles pour faciliter l’accès à l’indemnisation des personnes lésées en raison d’un produit défectueux. La réglementation vise à répondre à l’augmentation des achats en ligne (y compris en provenance de pays tiers) et à l’émergence de nouvelles technologies (telles que l’IA) ainsi qu’à assurer la transition vers un modèle économique circulaire. Les nouvelles règles garantissent qu’il existe toujours une entreprise établie dans l’UE, que ce soit le fabricant, l’importateur ou son mandataire, qui peut être tenue responsable d’un produit qui a causé des dommages, même si le produit n’a pas été acheté dans l’UE. Dans les cas où une entreprise responsable ne peut pas être identifiée, les États membres pourront fournir une compensation au moyen de systèmes nationaux d’indemnisation. Les négociateurs sont également convenus de simplifier la charge de la preuve pour la personne demandant une indemnisation, qui devrait normalement prouver que le produit était défectueux et qu’il a causé le dommage subi. Il sera possible d’obtenir réparation non seulement pour les dommages matériels, tels que la destruction de biens, mais aussi pour les pertes immatérielles, y compris les dommages à la santé psychologique reconnus médicalement. Il sera également possible de demander une indemnisation à la suite de la destruction ou de la corruption de données qui ne sont pas utilisées à des fins professionnelles (par exemple, suppression de fichiers d’un disque dur).
Famille
Le PE pour la reconnaissance de la filiation dans l’ensemble de l’UE - Le Parlement soutient la reconnaissance de la filiation dans l’ensemble de l’Union, indépendamment de la façon dont un enfant a été conçu, est né ou du type de famille qu’il a. Avec 366 voix pour, 145 voix contre et 23 abstentions, les députés hieri ont donnés leur accord a un projet de loi visant à garantir que, lorsque la filiation est établie par un pays de l’UE, les autres États membres la reconnaissent. L’objectif est de veiller à ce que les enfants jouissent des mêmes droits en vertu du droit national en matière d’éducation, de soins de santé, de garde ou de succession. Il n'y aura aucune modification de la législation nationale sur la famille. En ce qui concerne l’établissement de la filiation au niveau national, les États membres seront en mesure de décider, par exemple, d’accepter ou pas la gestation pour autrui, mais ils seront tenus de reconnaître la filiation établie par un autre pays de l’UE, indépendamment de la façon dont l’enfant a été conçu, est né ou du type de famille qu’il a. Les États membres auront la possibilité de ne pas reconnaître la filiation seulement s’ils sont manifestement incompatibles avec leur politique publique.
Euro
La BCE a encore du travail à faire en matière d'inflation - La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a déclaré hier qu'il y avait encore "du travail à faire" pour ramener l'inflation à 2 %, malgré une amélioration de la pression sur les prix prévue pour 2024 et au-delà. Le Conseil des gouverneurs a décidé de maintenir les taux inchangés. Mais "nous ne devons absolument pas baisser la garde", a déclaré Mme Lagarde, expliquant qu'une baisse des taux n'avait pas été envisagée. La BCE a également annoncé une modification du programme d'achat d'obligations lancé pendant la pandémie, cédant aux demandes des faucons d'arrêter les réinvestissements plus tôt que prévu. À partir de juillet, les réinvestissements seront réduits de 7,5 milliards d'euros par mois et seront interrompus à la fin de 2024.
Ce qui se passe aujourd'hui
Conseil européen
Commission : le vice-président Schinas participe à la réunion ministérielle de l'Initiative pour la Corne de l'Afrique
Commission : le commissaire Schmit à Zagreb
Commission : le commissaire Ferreira participe à la réunion des spécialistes sur l'avenir de la cohésion
Eurostat : données sur le commerce international de biens en octobre ; indice du coût de la main-d'œuvre au 3e trimestre ; données sur les flux du marché du travail au 3e trimestre ; données sur l'utilisation des TIC par les ménages en 2023