Survivre dans la machine
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Survivre dans la machine
Ursula von der Leyen a dévoilé sa Commission: seize hommes et onze femmes. Les grands pays – Allemagne, France, Italie, Espagne et Pologne – sont aux postes de commandes avec de lourdes responsabilités, mais leurs commissaires sont tous novices. Il va leur falloir entrer dans un système capable de les broyer, gagner la confiance de la présidente et de son cabinet sous peine d’être marginalisés, former des équipes pour éviter l’échec. En résumé, ils vont devoir survivre dans un environnement impitoyable.
Antagonismes, rapports de forces, divisions pour mieux régner. La commission sortante a été pourrie par ce mode de fonctionnement. Ursula von der Leyen et sa garde rapprochée portent une part de responsabilité dans cette mauvaise gestion de l’institution. L’ego surdimensionné de certains commissaires a fait le reste.
Parachutée en 2019 à la tête de la Commission, Ursula von der Leyen n’avait pas été préparée et n’avait aucun relais au sein de l’institution, hormis son compatriote Martin Selmayr, secrétaire général de la Commission après avoir été le chef de cabinet du président sortant, l’ancien premier ministre du Luxembourg Jean-Claude Juncker, un vrai politique et un vieux routier de l’Europe. Il était déjà aux affaires lors de la signature du Traité de Maastricht en 1992, dont il a été un des principaux artisans. Difficile pour Ursula von der Leyen, ancienne ministre de la défense d‘Angela Merkel, de succéder à ce monument, même s’il était très critiqué. Pire, elle a été flanquée de deux vice-présidents exécutifs imposés par les Etats membres, le Néerlandais Frans Timmermans et la Danoise Margrethe Vestager, tous deux candidats pour son poste. “Elle aurait dû refuser”, avait averti Juncker.
Ursula von der Leyen s’est entourée d’une poignée de fidèles venus de Berlin avec elle - dont son chef de cabinet Bjorn Siebert - tous allemands, tous ignares sur la Commission. Elle s’est recluse au treizième étage du Berlaymont, le vaisseau amiral de l’institution. De Juncker, elle n’a rien conservé, sinon les méthodes de gestion brutales de Martin Selmayr – “Siebert c’est Selmayr en pire”, nous ont confié de nombreux membres de la Commission – et le principe “diviser pour mieux régner”.
Pour son second mandat, Ursula von der Leyen prône le travail en équipe, l’immersion des commissaires dans les services. Mais elle a conservé à ses côtés Bjorn Siebert –c’était une exigence– dont la gestion des relations humaines se résume à “avec moi ou contre moi’”. En public, l'homme est affable, sympathique, pédagogue, “cool” avec ses chaussures de tennis de couleur. Mais au sein de l’institution, le son de cloche est très différent. Il a pris en main l’appareil et le dirige d’une main de fer, après avoir verrouillé tous les centres de décisions avec des fidèles. Les “placards” de l'institution sont pleins de fonctionnaires qui ont déplu à Siebert.
Ursula von der Leyen a obtenu la tête de Thierry Breton, limogé à la veille de la présentation de la nouvelle équipe dont il devait être une des figures. Le Français était en conflit ouvert avec la présidente. Pour la première fois dans l’histoire de la Commission, quatre commissaires et non des moindres – Breton, l’Espagnol Josep Borrell, le Luxembourgeois Nicolas Schmit et l’Italien Paolo Gentiloni – ont publiquement critiqué la gestion de l’institution par sa présidente et dénoncé l’absence de collégialité dans les prises de décisions. A l’exception de Breton, aucun n’a été reconduit par son gouvernement. Départ également de Margrethe Vestager, la toute puissante patronne de la Concurrence. Frans Timmermans avait pour sa part claqué la porte depuis plusieurs mois.
Les nouveaux venus sont tous peu ou prou qualifiés. Mais il ne seront pas en mesure de faire de l’ombre à une présidente devenue une figure politique du Parti Populaire Européen, la famille conservatrice, patronne d’une “commission du PPE” avec quatorze membres. “Il n’y a pas beaucoup de grands formats”, souligne un ancien responsable du Parlement européen qui a travaillé avec les commissaires de la Commission sortante.
Teresa Ribera et Stéphane Séjourné vont devoir faire équipe. “Les deux forment Draghi”, souligne un diplomate européen en référence aux recommandations de l’ancien président de la Banque centrale européenne dans son rapport pour relancer la compétitivité. L’Espagnole et le Français sont deux des six vice-présidents exécutifs, une fonction hiérarchique créée pour “équilibrer” politiquement une commission très à droite. Ribera est socialiste, Séjourné libéral (Renew).
Teresa Ribera, 55 ans, est profilée pour sa mission. Chargée de la Transition propre, juste et compétitive, l’ancienne ministre de l’écologie et de l'environnement, impliquée dans toutes les négociations internationales pour le Climat, se retrouve dans son élément. Pour mener sa mission, elle aura autorité sur la Concurrence, qui n’est plus une baronnie autonome.
Stéphane Séjourné, 39 ans, devient responsable de la Stratégie industrielle, un portefeuille lourd voulu par Emmanuel Macron et profilé pour Thierry Breton. Contrairement à Teresa Ribera, il n’a aucune formation pour cela. “Il n’a pas la carrure de Thierry Breton ni ses connaissances en économie et il ne connaît rien à l’institution. Il risque de se faire manipuler”, note le responsable du PE. Séjourné n’a pas fait forte impression lors de son passage au Parlement européen où il s’est heurté au puissant président du groupe du PPE, l’Allemand Manfred Weber, rappelle notre interlocuteur. “Si Séjourne et Ribera ne travaillent pas en bonne intelligence, ça ne marchera pas”, avertit notre diplomate. Mais leur échec sera aussi celui d’Ursula von der Leyen.
Les nouveaux commissaires vont devoir constituer leur cabinet, leurs équipes, éviter de se faire imposer des collaborateurs par la présidence, s'affirmer sans braquer. Teresa Ribera a déjà commencé à rallier des compétences au sein de l'institution. L'économiste en chef de la Direction générale de l’Energie, l’Espagnol Miguel Gil Tertre, est pressenti pour devenir son directeur de cabinet, a annoncé l’agence de presse espagnole Efe.
La tâche s’annonce beaucoup plus compliquée pour Stéphane Séjourné. La brillante équipe constituée par Thierry Breton a été emportée dans sa disgrâce.
Les six vice-présidents vont devoir se montrer capables de travailler en bonne intelligence avec les commissaires membres de leur cluster. Ce ne sera pas aisé pour Séjourné, flanqué par Ursula von der Leyen de deux commissaires - Valdis Dombrovskis et Maros Sefcovic - placés sous l’autorité de la seule présidente.
Pour ceux qui survivront à l’épreuve de l’audition du Parlement européen - certains vont chuter - la rentrée de la Commission est programmée fin novembre, début décembre. Tous les nouveaux vont devoir apprendre les codes de l’institution, comprendre son fonctionnement, le rôle dévolu au secrétariat général – Commission dans la Commission, constituée de sherpas au service de la présidente –, gagner la confiance de leurs services, trouver des alliés en interne et en externe, notamment dans les médias. Ce sera un peu un retour à l’école, avec les fratries, les bizutages, les humiliations, les caïds.
Les commissaires libéraux de la Commission Juncker se réunissaient régulièrement avec les élus européens de leur famille politique pour faire front commun. Et ça a fonctionné. Martin Selmayr a ainsi été désavoué par Jean-Claude Juncker devant la cabale provoquée lorsqu’il a voulu modifier un document préparé pour le Parlement européen par la commissaire suédoise Cecilia Malmstrom, responsable du commerce international.
Les 100 premiers jours seront importants. Les lettres de mission remises aux commissaires sont claires.Ursula von der Leyen attend beaucoup de son collège pour sa réussite personnelle, car elle a déjà fait des annonces. La présidente a obtenu un second mandat mais elle est tout aussi vulnérable que ses commissaires, car elle a été reconduite par défaut. Le pouvoir de décision reste aux Etats membres et elle a besoin de leur soutien pour le succès de son second mandat.
La citation
“Je pense que nous formerons une grande équipe pour l'Europe”.
Ursula von der Leyen, après avoir rencontré les candidats commissaires.
Commission Von der Leyen II
Objectif 1er novembre (avec l'aide de la menace de Trump) - Ursula von der Leyen espère être opérationnelle le 1ᵉʳ novembre avec sa nouvelle Commission. Elle est convaincue qu'elle peut entrer en service à cette date, malgré le retard dans la nomination des commissaires. “Sur le papier, il est possible de commencer le 1er novembre, mais cela dépendra de la façon dont se déroulent les auditions” devant les commissions du Parlement européen, nous a déclaré hier un haut fonctionnaire de la Commission. “Notre intérêt est de commencer le plus tôt possible”. Mme Von der Leyen a souligné qu'il existait une volonté commune sur ce point de la part du Parlement. En cas de problème, la présidente utilisera presque certainement un argument irréfutable. Le 5 novembre, “il y a les élections présidentielles américaines”, a expliqué le haut fonctionnaire. La menace d'un retour de Donald Trump à la Maison Blanche devrait inciter les groupes politiques de la majorité pro-européenne à ne pas être trop stricts lors des auditions ou trop pointilleux sur le déséquilibre à droite de la Commission.
Ursula von der Leyen conserve un Français dans son cabinet - Alexandre Adam, ancien conseiller Europe du président Emmanuel Macron, sera le Français du cabinet de la présidente de la Commission. Il prend la suite de Stéphanie Riso, conseillère d’Ursula von der Leyen durant son premier mandat et nommée à la tête de la Direction générale du Budget en 2023. L’information dévoilée par nos confrères de Contexte, nous a été confirmée hier par l'intéressé. Diplomate de formation et germanophone, Alexandre Adam sera directeur adjoint du cabinet d’Ursula von der Leyen.
Géopolitique
Borrell condamne l'attaque israélienne contre le Hezbollah avec les bipeurs piégés - L'opération a stupéfié le monde entier. Et hier, il y a eu un rappel. L'attaque contre les miliciens du Hezbollah, attribuée à Israël qui ne l'a cependant pas revendiquée, est inédite par sa modalité (l'explosion simultanée des bipeurs piégés) et son ampleur. L'objectif d'Israël est de rétablir la dissuasion après l'attaque du Hamas du 7 octobre. Le danger est une extension de la guerre au Liban. “Le centre de gravité se déplace vers le nord. Nous réorientons nos forces, nos ressources et notre énergie vers le nord”, a déclaré hier le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant. Le Haut représentant, Josep Borrell, a condamné l'opération. “Des milliers de personnes ont été blessées, des centaines sont dans un état critique, les hôpitaux s'effondrent”, a-t-il déclaré après s'être entretenu avec le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib. “Bien que les attaques semblent avoir été ciblées, elles ont causé de graves dommages collatéraux sans discrimination parmi les civils : plusieurs enfants figurent parmi les victimes”. M. Borrell a jugé la situation “d'extrêmement préoccupante”. Je ne peux que condamner ces attaques qui mettent en danger la sécurité et la stabilité du Liban et augmentent le risque d'escalade dans la région”.
Le B-9 demande à l'OTAN une réponse forte contre les incursions de drones et de missiles russes - Le groupe des pays du B-9 (les Neuf de Bucarest) s'est déclaré “profondément préoccupé” par les incursions répétées de drones et de missiles russes dans leur espace aérien et a demandé “une réponse forte et coordonnée” de la part de l'Otan, a déclaré hier le ministre roumain de la Défense, Angel Tilvar. Le B-9 regroupe neuf pays d'Europe centrale. Parmi eux, la Pologne, la Roumanie et la Lettonie ont vu des drones et des missiles russes se dirigeant vers l'Ukraine pénétrer dans leur espace aérien ou tomber sur leur territoire. Le secrétaire d'État polonais à la défense, Pawel Zalewski, a expliqué que l'Alliance devait trouver “des moyens concrets pour aider à détecter ces attaques dans l'espace aérien et à détruire les objets ennemis”.
Migrants
La grande tromperie populiste des Pays-Bas sur le retrait de la politique d'asile de l'UE - Le gouvernement néerlandais dirigé par Dick Schoof, dont le leader d'extrême droite Geert Wilders est l'actionnaire majoritaire, est né pour mener la politique la plus dure qui soit à l'égard des migrants et des demandeurs d'asile. L'accord de coalition comporte un engagement à rechercher un “opt-out” aux politiques européennes en matière d'asile et d'immigration, semblable à celui dont bénéficie le Danemark. Au cours des dernières semaines, Wilders et ses partisans avaient fait naître l'espoir d'une grande rupture avec Bruxelles. Hier, la grande tromperie populiste est apparue : l'opt-out n'est qu'une opération de propagande interne, car le gouvernement néerlandais lui-même sait qu'il ne l'obtiendra pas. La ministre des migrations, Marjolein Faber-Van de Klashorst, a écrit à la Commission pour annoncer que “le gouvernement néerlandais demandera un opt-out à l'acquis européen en matière d'asile et de migration en cas de modification du traité”. Une réforme du traité n'interviendra pas avant plusieurs années. Un porte-parole de la Commission a répondu : “Nous ne nous attendons pas à des changements immédiats” dans les traités. Ce n'est pas un détail. Malgré l'intention de déclarer une situation d'urgence pour les migrants, Mme Faber-Van de Klashorst a déclaré à la Commission que le gouvernement respecterait le nouveau pacte sur l'immigration et l'asile.
État de droit
La Commission s'apprête à saisir l'amende de 200 millions d'euros non payée par la Hongrie - La Hongrie de Viktor Orban ne veut pas payer l'amende de 200 millions d'euros imposée par la Cour de justice de l'UE après une condamnation concernant la législation sur l'asile. Après avoir envoyé deux lettres d'avertissement, la Commission s'apprête à saisir le montant de l'amende. La date limite était fixée au 17 septembre à minuit. La Commission s'apprête donc à déduire les 200 millions des versements de fonds européens à la Hongrie. “Nous nous dirigeons vers la phase de compensation”, a déclaré hier un porte-parole de la Commission. “Nous examinons quels seront les transferts du budget de l'UE vers la Hongrie”, mais “un certain temps est nécessaire” pour identifier les paiements susceptibles d'absorber l'amende.
Economie
Les retardataires du nouveau pacte de stabilité et de croissance - Seuls deux pays seront en mesure de présenter la trajectoire budgétaire (sur 4 ou 7 ans) requise par les nouvelles règles du pacte de stabilité et de croissance avant la date limite du 15 septembre fixée par la Commission. Les premiers de la classe sont Malte et le Danemark. Quinze autres pays ont accepté une dérogation d'un mois et présenteront leur trajectoire budgétaire le 15 octobre. Il s'agit de la République tchèque, de l'Allemagne, de l'Estonie, de l'Irlande, de la Grèce, de l'Espagne, de la Lettonie, de l'Italie, de Chypre, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal, de la Slovénie, de la Slovaquie et de la Finlande. Neuf pays iront plus loin. Certains d'entre eux ont promis la trajectoire pour le 31 octobre. D'autres ne peuvent pas s'engager en raison d'élections imminentes ou de l'absence de gouvernement. Parmi eux, la France (avec un premier ministre mais sans gouvernement), la Belgique (où les négociations gouvernementales pourraient prendre des mois), l'Autriche et la Bulgarie (où des élections sont organisées respectivement le 29 septembre et le 27 octobre). La Commission est assez compréhensive et flexible. Un problème plus important est le fait que, dans le cadre du dialogue technique avec les gouvernements, la Commission ne s'est pas encore mise d'accord avec tous les pays sur les chiffres de la trajectoire budgétaire.
Antitrust
Google prend sa revanche sur Vestager devant le Tribunal de l'UE - Margrethe Vestager a remporté la semaine dernière deux victoires importantes devant la Cour de justice de l'UE dans des affaires de concurrence contre des géants du numérique. Les juges de l'UE avaient confirmé des décisions historiques contre Apple (aide d'État illégale) et Google Shopping (abus de position dominante). Hier, Google a pris sa revanche. Le Tribunal de l'UE a annulé la décision de la Commission d'infliger à Google une amende de près de 1,5 milliard d'euros pour sa plateforme AdSense. Tout en confirmant la plupart des évaluations de l'autorité antitrust, le Tribunal de l'UE estime que la Commission n'a pas correctement pris en compte les clauses contractuelles considérées comme abusives. Mme Vestager peut toutefois crier victoire dans une autre affaire. Le Tribunal a confirmé l'amende infligée à Qualcomm pour abus de position dominante sur le marché des puces, tout en la ramenant de 242 millions d'euros à 238,7 millions d'euros.
Cela se passe aujourd'hui
Parlement européen : session plénière à Strasbourg (débats sur la sécheresse et les événements climatiques extrêmes ; l'arrêt de la Cour de justice sur les aides d'État à Apple ; l'extraction possible de Paul Watson).
Présidence hongroise : réunion informelle des ministres des transports à Budapest
Commission : la présidente von der Leyen en Pologne dans les régions touchées par les inondations
Commission : conférence de presse de la présidente von der Leyen avec le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, Fatih Birol, sur le soutien à la sécurité énergétique de l'Ukraine
Commission : la présidente von der Leyen organise un déjeuner de travail avec les dirigeants des Balkans occidentaux
Commission : le vice-président Dombrovskis reçoit le ministre chinois du commerce Wang Wentao
Commission : les commissaires Sefcovic et Gentiloni rencontrent le ministre slovaque des finances, Ladislav Kamenický
Commission : discours de la commissaire Ivanova à la conférence sur l'Espace européen de la recherche
Parlement européen : réunion de la Conférence des présidents
Conseil : réunion du Comité politique et de sécurité
Cour de justice de l'UE : arrêt sur Fininvest et le recours de Berlusconi contre la BCE sur Mediolanum ; arrêt sur les restrictions de concurrence imposées par Booking aux hébergeurs ; arrêt sur les aides d'État illégales au London Stock Exchange Group
Comité des régions : session plénière
Eurostat : balance des paiements en juillet ; données sur le logement des jeunes en 2022