Ukraine: le tournant américain
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Ukraine: le tournant américain
L’aide américaine a été débloquée. L’Otan a donné son feu vert pour l'envoi en Ukraine de systèmes de défense anti-aérienne Patriot prépositionnés pour la défense collective de l’Alliance. Les Européens se mobilisent et s’organisent. Des annonces sont attendues aujourd’hui à Bruxelles où se réunissent les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’UE. Les forces ukrainiennes vont recevoir les armements nécessaires pour protéger leurs villes et leurs infrastructures, permettre aux combattants sur la ligne de front de repousser les offensives russes, équiper de nouvelles unités, reprendre le contrôle du ciel ukrainien et infliger des dommages aux forces d’occupation russes en Crimée et sur le territoire même de la Russie.
Enfin. La chambre des représentants américains a adopté samedi l’aide de 60,8 milliards de dollars promise à l’Ukraine et bloquée pendant des mois par les élus républicains. Donald Trump a compris qu’il allait contre le sens de l'histoire et que cela pourrait lui coûter l’élection présidentielle en novembre. Il a donc déclaré le 12 avril sur les réseaux sociaux que “la survie de l’Ukraine était importante pour les Etats-Unis” et a ainsi ouvert la voie à l'approbation du paquet d’aides: 60,84 milliards de dollars pour l’Ukraine, dont 23 milliards de dollars pour reconstituer les stocks d’armement et de munitions des États-Unis, auxquels s’ajoutent 26 milliards de dollars pour Israël et 8,12 milliards de dollars pour l'Indo-Pacifique. Mais 112 élus républicains ont voté contre. Les amis américains de Poutine ne baissent pas les bras.
"La première fourniture d'armes sera livrée à l'Ukraine quelques jours après la signature de la loi", a déclaré Patrick Ryder, porte-parole du Pentagone, au New York Times. Le sénat américain doit approuver l’aide cette semaine pour permettre au président Joe Biden de signer le bon de livraison. Le soulagement des Européens est perceptible. Le vote de l’aide américaine a été unanimement salué. Beaucoup de platitudes et quelques envolées lyriques comme celle de la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock: “Le coeur des soutiens à l’Ukraine bat à nouveau en rythme. Les Etats-Unis et l’Europe sont solidaires contre la guerre terroriste de Poutine. Aujourd'hui est un jour de confiance pour l’Ukraine”. Plus pragmatique et plus sévère, la Première ministre de l’Estonie Kaja Kallas a souhaité que le retour des Américains ”encourage tous les alliés à fouiller dans leurs entrepôts et à faire davantage”.
La réalité est cruelle, comme l’a souligné l’analyste tchèque Jakub Janda, spécialiste des questions de sécurité et officier de réserve. “Il est embarrassant que l'Europe super-riche dépende d'un seul vote du Congrès américain pour savoir si l'Ukraine survivra ou non. L'Europe devrait financer les défenses ukrainiennes au point de ne pas dépendre de ses alliés américains”. Les deux moteurs de l’UE sont bridés sur le plan militaire. L’Allemagne n’agit pas si les Etats-Unis ne font rien et suit les lignes rouges dessinées par Washington. La France, elle, ne peut pas agir seule. Ses armements sont sophistiqués, comme les canons Caesar et le système de défense sol- air Mamba, mais leur production est confidentielle et elle a peu de stock. Quant aux autres membres de l’UE, ils sont pelotonnés sous le parapluie américain. “Géant économique, nain politique, ver militaire”, telle est l’UE aujourd'hui, alors qu’une guerre fait rage à ses portes. “Les Européens ont eu plus de deux ans pour accélérer sérieusement leur production d’armes et de munitions. Cela ne s’est pas produit. Ils ont encore beaucoup de choses dans leurs arsenaux qu’ils pourraient donner à l’Ukraine. Cela n’arrive pas”, déplore l'analyste allemand Ulrich Speck.
Mais maintenant que les Américains se sont ressaisis, les Européens s’agitent. D’autant que l’Otan vient de donner son feu vert pour la fourniture des systèmes de défense antiaérienne Patriots prépositionnés pour la défense des infrastructures militaires de l’Alliance. “Nous devons prendre le risque de prélever sur les capacités militaires prévues par l’Alliance pour assurer la sécurité collective, à la condition de les remplacer pour respecter les objectifs de l’Alliance”, a- expliqué vendredi le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg à l’issue d’une réunion des ministres de la défense de l’Alliance dans le cadre du conseil Otan-Ukraine. “Nous parlons d’ensembles complets, en état de marche, avec leurs munitions”, a précisé Jens Stoltenberg. Une batterie de Patriot comprend les stations de lancement, un radar pour la détection, le suivi des cibles et la conduite du tir, des brouilleurs, une station de contrôle, et un groupe électrogène. Elle est servie par une centaine de soldats et ses éléments peuvent être dispersés sur une surface de plusieurs kilomètres carrés.
L’Allemagne, la Pologne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Grèce et la Roumanie ont des batteries de Patriots. Mais le gros des stocks est détenu par les Etats-Unis. Ils ont une soixantaine de Patriots en étagères pour la vente et n’en n’ont donné aucun à l’Ukraine. Des annonces sont attendues lors de la réunion “Jumbo” entre les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l’UE aujourd'hui à Bruxelles. L’Ukraine a également obtenu d’autres systèmes de défense sol-air, notamment un Mamba (SAMP/T) franco-italien, quelques batteries IRIS-T allemandes et des S-300 d’origine soviétique . Mais faute de munitions, ces défenses n’ont pu protéger ces dernières semaines les villes et les installations énergétiques contre les missiles et les drones envoyés par la Russie. Les dirigeants ukrainiens ont eu le sentiment d’être abandonnés et le moral des combattants a pris un rude coup.
Les Européens ont eu honte et se sont ressaisis. “De nombreux Alliés qui ne disposent pas de systèmes de défense anti-aérienne se sont engagés à apporter un soutien financier pour en acheter pour l'Ukraine”, a précisé Jens Stoltenberg. Candidat pour lui succéder à l’automne, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte s’est montré lui aussi très allant sur les fournitures d’armes à l’Ukraine. “Nous savons que de nombreux pays disposent d’un grand nombre de systèmes Patriot et ne veulent pas les fournir directement. Nous pouvons les acheter chez eux et les livrer à l’Ukraine. Nous avons de l'argent disponible”, a-t-il affirmé. Les Européens ont abondé de 5 milliards la facilité pour la paix utilisée pour financer les achats de matériels militaires destinés à l’Ukraine et ils vont pouvoir ajouter au pot 3 milliards d’euros provenant des bénéfices confisqués des avoirs russes gelés dans l’UE. Une batterie Patriot neuve coûte 500 millions de dollars, selon les indications obtenues à l’Otan.
La France ne sera pas de cette partie. Les Mamba français sont réservés pour la protection des installations nucléaires, a expliqué jeudi le président Emmanuel Macron à l’issue du sommet européen. “Mais nous mobilisons ce que nous pouvons produire et ce que nous avons de disponible”, a-t-il précisé. La France livre à l’Ukraine des missiles sol-air de courte portée Crotale et Mistral et surtout des missiles de croisière Scalp qui permettent de frapper en profondeur, alors que l’Allemagne ne peut fournir ses Taurus pour des raisons tactico-politiques, a souligné le président français. Emmanuel Macron a insisté sur le rôle et l’importance des coalitions mises en place pour les armements fournis à l'Ukraine en fonction des capacités et des disponibilités des Etats membres. Les chars, l’artillerie, la défense anti-aérienne, les avions de combat, les munitions sont ainsi gérées. “La République tchèque a confirmé avoir fourni un demi-million d'obus d'artillerie dans le cadre de son initiative sur les munitions”, a annoncé vendredi le secrétaire général de l’Otan.
Si l’aide promise par les alliés occidentaux arrive vite, l’Ukraine devrait pouvoir positionner ses nouvelles défenses anti-aériennes et fournir en munitions les combattants sur les lignes de front avant l’offensive russe annoncée pour l’été. Les avions F-16 devraient être opérationnels dans le ciel ukrainien et les frappes de missiles longue portée devraient permettre de détruire les capacités militaires russes en Crimée et tenir à distance la flotte russe de la mer Noire. Anton Gerashchenko, conseiller du ministre ukrainien de l’Intérieur, veut le croire.
La citation
"Excellente nouvelle en provenance du Capitole à Washington (...) mais il est également temps de rappeler que maintenant l'UE doit augmenter sa production d'armements, de munitions et de fournitures afin d'aider l'Ukraine à long terme (...). Nous devons aussi faire nos devoirs".
Tobias Billstrom, ministre suédois des affaires étrangères.
Géopolitique
Le plan de munitions des citoyens slovaques contre Robert Fico - En moins d'une semaine, la collecte organisée dans le cadre de la campagne "Munitions pour l'Ukraine" a recueilli plus de 2,8 millions de dollars auprès de citoyens slovaques ordinaires. Les fonds sont une contribution pour l'achat de 800.000 obus d'artillerie organisé par la République tchèque. La campagne "Munitions pour l'Ukraine" a été lancée comme un geste civique en opposition à la décision du gouvernement de Robert Fico de ne pas fournir d'armes à l'Ukraine ou d'allouer des fonds pour l'achat de munitions. "Nous refusons d'accepter le refus d'aide à un voisin déchiré par la guerre. Nous montrons qu'ils ne sont pas les seuls à décider. Nous sommes convaincus que l'attitude du gouvernement ne représente pas la majorité des citoyens", peut-on lire dans l'appel des initiateurs. L'objectif initial d'un million d'euros a été largement dépassé. À 99 ans, Otto Simko, journaliste et survivant de l'Holocauste, est l'un des initiateurs. "Lorsque j'ai entendu parler de l'initiative du gouvernement tchèque, j'ai été très heureux d'apprendre que l'on cherchait tous les moyens d'aider l'Ukraine à se défendre contre l'agresseur (russe), car il n'y a pas d'autre solution", a déclaré M. Simko à l'agence Reuters. Plus de 45.000 personnes ont décidé de faire un don.
L'UE prépare le quatorzième train de sanctions contre la Russie - Cette semaine, la Commission entamera les "confessionnaux" avec les ambassadeurs des vingt-sept États membres afin de préparer le prochain train de sanctions contre la Russie. Il s'agit du quatorzième. L'objectif est de parvenir à une approbation en mai. Mais l'unanimité pourrait ralentir le processus, d'autant plus que certains États membres insistent sur une série de mesures difficiles à accepter pour d'autres pays. La plus controversée est celle proposée par la Suède, la Finlande et les pays baltes : un embargo sur les importations de gaz naturel liquéfié russe. Ces mêmes pays souhaitent également s'attaquer à la flotte fantôme qui transporte le pétrole russe et imposer des droits de douane sur les importations de tous les produits en provenance de Russie.
L'UE adopte des sanctions contre les colons israéliens violents - Le Conseil de l'UE a décidé vendredi d'inscrire quatre personnes et deux entités sur la liste noire du régime global de sanctions de l'UE en matière de droits de l'homme parce qu'elles sont responsables de violations flagrantes des droits de l'homme à l'encontre de Palestiniens en Cisjordanie, notamment d'actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de violations aveugles du droit à la propriété et du droit au respect de la vie privée. Ces entités sont Lehava, un groupe d'extrême droite juif suprématiste, et Hilltop Youth, un groupe de jeunes extrémistes dont les membres sont connus pour leurs actes de violence à l'encontre du peuple et des villages palestiniens en Cisjordanie. Deux personnalités de Hilltop Youth (Meir Ettinger et Elisha Yered, impliqués dans des attaques meurtrières contre des Palestiniens en 2015 et 2023), Neria Ben Pazi (accusée d'avoir attaqué à plusieurs reprises des Palestiniens à Wadi Seeq et Deir Jarir depuis 2021) et Yinon Levi (qui a participé à de multiples actes de violence contre des villages près de sa résidence à Mitarim Farm, un avant-poste illégal), figurent également sur la liste noire.
Parlement européen
Marathon législatif pour la dernière session - Aujourd'hui s'ouvre à Strasbourg la dernière session de la législature du Parlement européen, au cours de laquelle les députés seront contraints à un véritable marathon de vote pour boucler les mesures législatives avant de se lancer dans la campagne électorale. Les votes sont prévus sur 89 mesures législatives. Les principales ont été concentrées demain (entre autres, la révision de la gouvernance économique, les restrictions sur les importations agricoles en provenance d'Ukraine et les règles sur le travail forcé) et mercredi (les règles sur les emballages et les déchets d'emballages, les droits des travailleurs des plateformes, le devoir de diligence pour les multinationales). Jeudi, dernier jour de travail, les députés approuveront la contre-réforme de la politique agricole commune, avec les dérogations proposées par la Commission sur la conditionnalité environnementale pour les agriculteurs.
Brexit
Rishi Sunak rejette l'offre de l'UE sur la mobilité des jeunes - Le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a rejeté vendredi l'offre de l'UE de négocier un accord sur la mobilité des jeunes afin de permettre aux personnes âgées de 18 à 30 ans de vivre, d'étudier et de travailler des deux côtés de la Manche en réduisant les charges administratives pour ceux qui décident de déménager. Nous n'introduisons pas de programme de mobilité des jeunes à l'échelle de l'UE : la libre circulation au sein de l'UE a été supprimée et il n'est pas prévu de l'introduire", a déclaré un porte-parole du gouvernement britannique. Ce même porte-parole a expliqué que le Royaume-Uni souhaitait conclure des accords avec les différents États membres de l'UE. Il s'agirait du fameux "cherry-picking" que la Commission veut éviter.
Sunak a reporté pour la sixième fois les contrôles des importations en provenance de l'UE - Le "non" de Rishi Sunak aux négociations sur la mobilité des jeunes avec l'UE a permis au Premier ministre britannique d'occulter un problème qui semble désormais irrésolu par le Brexit. Son gouvernement a décidé de reporter pour la sixième fois l'introduction des contrôles sanitaires et de sécurité sur les importations en provenance de l'UE, qui devaient débuter en avril. Le ministère de l'Environnement, de l'Alimentation et des Affaires rurales (Defra) a souligné le risque de "perturbations importantes" en cas d'introduction de contrôles aux frontières, car les systèmes ne sont pas encore prêts pour les contrôles des denrées alimentaires et des animaux. Les entreprises ont demandé que les contrôles soient reportés au moins jusqu'en octobre. La crainte d'une pénurie dans les supermarchés et d'une hausse de l'inflation est plus forte que la stratégie de "reprise en main".
Ce qui se passe aujourd'hui
Conseil Affaires étrangères et Défense à Luxembourg
Forum UE-Conseil de coopération du Golfe à Luxembourg
Parlement européen : session plénière à Strasbourg (débats sur la prévention des boulettes de plastique ; le droit de réparer des objets ; l'interdiction des produits issus du travail forcé ; la prévention de la traite des êtres humains)
Parlement européen : audition des commissaires Dombrovskis et Gentiloni au sein de la commission des affaires économiques et monétaires sur la facilité de relance et résilience
Commission : visite du commissaire Wojciechowski à Shanghai (Chine)
Commission : la commissaire Simson s'exprime par vidéoconférence lors du premier forum ukrainien sur le biométhane
Banque centrale européenne : discours de la présidente Lagarde à l'université de Yale
Parlement européen : réunion du Bureau
Cour des comptes de l'UE : rapport sur l'avenir des voitures en Europe
Eurostat : première notification sur la dette et le déficit en 2023 ; données sur les demandes d'asile en janvier