Ukraine: l'Europe n’entend rien, ne sent rien, ne voit rien
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Les institutions bruxelloises se mettent en vacances pendant quelques jours. La Matinale européenne suit le mouvement. Une pause bienvenue après ces quatre premiers mois intenses. Vous êtes nombreux à nous lire et à nous encourager. Merci!
Nous revenons le 4 avril pour continuer à décrypter les enjeux des Européennes, les grands desseins et les petits calculs des eurocrates, les peines de la guerre en Ukraine et tous les sujets de la vie de l'UE.
Ukraine: l'Europe n’entend rien, ne sent rien, ne voit rien
La Russie mobilise, l’Ukraine est sur la défensive. Moscou se déclare en “Etat de guerre”, Kiev attend les armes et les munitions promises par les alliés. Indécision, pusillanimité, les Européens n’ont encore pas pris conscience d’être embarqués dans une guerre. Ils attendent l’Amérique, mais l'Amérique est paralysée, en campagne électorale, fatiguée de cette guerre lointaine. Vladimir Poutine exploite ces signes de faiblesse et prépare l’offensive.
Jeudi 21 mars. Les dirigeants de l’Union européenne sont réunis en sommet à Bruxelles. Un conseil européen de guerre qui suscite beaucoup d’attentes. Trop sans doute. A Moscou, le Kremlin déclare que la Russie est “en état de guerre” et le ministre de la défense russe Sergueï Choïgou annonce la constitution de deux corps d’armées de terre, soit 16 nouvelles brigades, 14 nouvelles divisions. Le chef de la diplomatie lituanienne Gabrielius Landsbergis s'alarme. “La Russie ne va pas s’arrêter. Elle mobilise 500.000 hommes, plus qu’il n’en faut pour l’emporter en Ukraine, donc elle veut aller plus loin. Il faut s’en convaincre”.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, plus de 150 missiles russes frappent en Ukraine. Ils ciblent des infrastructures. 8 endommagent le gigantesque barrage hydroélectrique de Zaporijia. S’il est détruit, une vague inondera une énorme zone et pourrait provoquer d’énormes dégâts dans la centrale nucléaire. Les bombardements ont continué. Chaque jour une ville ukrainienne a été touchée. En une semaine, la Russie a tiré 190 missiles, guidé 140 attaques de drones et largué 700 bombes guidées.
“Tout le monde voit les cibles visées par la Russie. Les missiles n’ont pas de retard, contrairement aux programmes d’aide destinés à l’Ukraine. Les drones n’ont aucune indécision, contrairement à certains politiques”. Volodymyr Zelensky ne prend pas de gants pour dénoncer les promesses non tenues par ses alliés. Mais les propos du président ukrainiens n’ébranlent pas la satisfaction affichée par les dirigeants européens après un “bon sommet”. Certes, le président français Emmanuel Macron a averti que ”l’Ukraine pourrait tomber très vite”, mais l’heure est aux félicitations. L’Union affiche sa volonté d’aider l’Ukraine “aussi intensément que nécessaire” et mobilise les moyens pour financer des achats d’armes et de munitions.
Elle inscrit son action dans la durée, avec la montée en puissance des capacités de production de ses industries de la défense. Les 27 ont donné mission à la Commission européenne d’étudier et de présenter “d’ici à juin toutes les options de mécanismes financiers de financements” a ajouter à ceux de la Banque Européenne d’Investissements. L’Allemagne et les Pays-Bas avaient fait biffer du projet de conclusions la mention des “solutions de financement innovantes”, terme pour un nouvel emprunt européen, mais les deux pays ont accepté que la référence à toutes les options figure dans les conclusions adoptées. Aucune opposition.
Le dirigeant hongrois Viktor Orban prépare son pays à assumer la présidence semestrielle des conseils de l’UE en juillet et a juste fait mentionner ses réserves sur certains aspects des conclusions. Le dirigeant Hongrois ne cache pas souhaiter la fin de la guerre lancée par la Russie. Il considère que le soutien militaire de l’UE ne fait que retarder cette échéance et espère la victoire de Donald Trump lors de l’élection présidentielle américaine en novembre pour mettre un terme au conflit.
Aucune annonce importante sur les armements n’est sortie du sommet. Seule l’Estonie a annoncé l’envoi de munitions et de matériel à l’Ukraine pour 20 millions d’euros. Où sont les obus, les défenses antiaériennes, les missiles, les avions de combat promis à l’Ukraine ? Ils tardent. Les obus sont fournis au compte goutte. Le gros des 800.000 obus de 122 mm et de 155 mm trouvés par le Président tchèque hors de l’UE seront disponibles … à la fin de l’année. Le chancelier allemand Olaf Scholz refuse quant à lui de donner des missiles longue portée Taurus au motif qu’il veut éviter une escalade dans le conflit et Washington a demandé à Kiev d’arrêter les frappes contre les raffineries russes.
“L’Ukraine est à court de munitions et l’aide américaine est bloquée par des conflits de politique interne”, rappelle l’analyste Ulrich Speck, critique sévère de l’inaction européenne. “Les Européens doivent agir rapidement et efficacement, mais ne montrent aucun signe de volonté ou de capacité d’agir”, déplore-t-il. “On a fait des choses inimaginables, mais il faut faire plus, prendre des décisions qui n’ont pas encore été prises”, a reconnu un conseiller après le sommet. “Les budgets européens ont du mal à suivre”, souligne-t-il. Le mot est lâché. Les grands pays de l'UE sont soit très endettés comme la France et l’Italie, soit indécis dans leur soutien, comme l’Allemagne.
Les Etats-Unis sont quant à eux “en plein débat électoral”. “Les Américains sont fatigués de la guerre en Ukraine et leurs dirigeants veulent éviter de leur donner le sentiment qu’ils vont les embarquer dans un nouveau conflit”, explique un diplomate européen de haut rang. “Vladimir Poutine est un tacticien, un calculateur. Il voit les rapports de force et les signes de faiblesse. Après la Présidentielle, il a changé de posture, il prend des risques militaires et politiques et il va tester les Européens. Pour cette raison, il faut tenir dans le soutien à l’Ukraine “, soutient-il.
Zelensky n’ose pas sonner l’appel à la mobilisation car il sait que ses compatriotes sont démobilisés par les promesses d’aide non tenues. Les nouvelles du front sont mauvaises. Les combattants ne tirent plus faute d’obus et ils sont démoralisés par le manque d’équipements et le nombre de morts dans leurs rangs. “Le problème le plus criant pour les dirigeants ukrainiens devient humain”, nous a confié un responsable européen.
Un attentat terroriste perpétré vendredi à Moscou pourrait précipiter les choses. Il a été revendiqué par l’Etat islamiste, mais Vladimir Poutine a mis l’accent sur une implication de l’Ukraine et incrimine Kiev dans chacune de ses interventions. Après l’annonce de l’état de guerre, un prétexte lui est donné pour mobiliser afin de passer à l’offensive. La saison sèche et chaude arrive, propice aux mouvements. Le président russe peut vouloir frapper vite pour engranger des gains territoriaux. “Il n’a pas renoncé à Odessa, pour priver l’Ukraine de son accès vital à la mer Noire. S’il réussit, la Moldavie sera alors à sa merci”, a souligné le responsable européen. Aura-t-il la puissance et la force de frappe nécessaire ? Les forces ukrainiennes renforcent leurs défenses. Elles doivent tenir. Les dirigeants européens qui n'ont pas exclu d’intervenir, comme le Français Emmanuel Macron, pourraient devoir passer à l’action plus tôt que prévu.
”La Guerre en Ukraine nous concerne parce qu’on est impliqués dans ses conséquences. Les Européens doivent donc être capables de prendre des risques pour assurer la sécurité en Europe dans la décennie à venir”, a averti le chef d’état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard à la veille du sommet européen de Bruxelles, lors d’une conférence de presse avec le commandant en chef des forces armées suédoises, le général Micael Byden, venu visiter une des trois bases à vocation nucléaire de l’armée française. La France dirige un groupement tactique de l’Otan déployé en Roumanie pour renforcer le flanc est de l’Alliance. Poutine va-t-il tester la France et l’Otan ? Une réponse a été donnée dimanche lorsqu’un missile de croisière russe a violé l’espace aérien de la Pologne pour frapper en Ukraine. L’Otan n’a pas réagi. Il faut éviter l’escalade.
La citation
"Je n’exclus pas d’utiliser ce que la loi permet au ministre (...) c’est-à-dire, si le compte n’y était pas en matière de cadence et de délais de production, de faire des réquisitions le cas échéant ou de faire jouer le droit de priorisation".
Sébastien Lecornu, ministre français des armées.
Vache sacrée
L'UE a entendu les agriculteurs - Les agriculteurs ont été écoutés, a déclaré hier le ministre belge David Clarinval, après que le Conseil "Agriculture" a donné sa bénédiction au paquet de mesures visant à exempter le secteur des exigences de la conditionnalité environnementale de la PAC. Le texte devrait être définitivement approuvé à la fin du mois d'avril, après le vote en séance plénière du Parlement européen. Finie l'obligation de mettre en jachère 4 % des terres. Finie l'obligation de rotation des cultures. Finie l'obligation de couvrir les sols pendant les périodes sensibles. Les exigences d'éco-conditionnalité, dites "Gaec" ("bonnes conditions agricoles et environnementales") ont disparu, remplacées par les anciens "éco schémas" volontaires. Les gouvernements pourront proposer des aides financières supplémentaires pour inciter les agriculteurs à faire ce qu'ils auraient été obligés de faire dans le cadre des "Gaec" de la réforme de la PAC. Pris dans la panique de la colère rurale, la Commission, les gouvernements et le Parlement européen ont fait une autre concession : les petites exploitations de moins de 10 hectares seront exemptées de contrôles et d'amendes. Elles représentent 65 % des agriculteurs européens qui pourront tranquillement encaisser de l'argent supplémentaire en enfreignant les règles.
La solution à la colère agricole, c'est plus d'aides d'Etat - Le paquet approuvé hier par les ministres de l'agriculture pourrait ne pas être le dernier. "Nous demandons à la Commission de continuer à chercher des solutions", a déclaré David Clarinval, énumérant les mesures demandées par ses collègues ministres de l'agriculture : dérogations au Gaec 2 sur les tourbières, redistribution du budget intérieur à la PAC, augmentation du plafond de minimis pour les aides d'État, procédures plus rapides et plus faciles pour modifier les plans stratégiques nationaux, aides pour les crises climatiques, retour en arrière sur le règlement relatif à la déforestation. Mais la clé est la prolongation du cadre temporaire des aides d'Etat décidé pour la guerre en Ukraine afin de permettre aux Etats membres "d'utiliser davantage les budgets nationaux", a déclaré M. Clarinval. "Il est absolument nécessaire de poursuivre les aides d'Etat", a confirmé le commissaire à l'agriculture, le Polonais Januz Wojciechowski. Le commissaire a également établi un classement des pays qui ont le plus octroyé d'aides d'État à leurs agriculteurs grâce au cadre temporaire : 4 milliards d'euros pour la Pologne, 2,8 milliards d'euros pour l'Italie et 858 millions d'euros pour la France.
La France accusée d'abandonner l'Ukraine sur les produits agricoles - La Présidence belge de l'UE fera une nouvelle tentative aujourd'hui pour tenter d'approuver l'accord conclu avec le Parlement européen sur les mesures commerciales autonomes en faveur de l'Ukraine. Un vote au Conseil pourrait avoir lieu lors de la réunion des ambassadeurs des vingt-sept Etats membres ce matin. Mais une issue positive est "très difficile", nous a confié un diplomate. La Pologne, la France, la Hongrie, la Slovaquie et l'Italie forment une minorité de blocage. Ces pays exigent des restrictions et des sauvegardes supplémentaires sur les produits agricoles ukrainiens, bien qu'ils aient des positions différentes. La France est très offensive sur ce dossier", a expliqué le diplomate, "le soutien à l'Ukraine semble devenir beaucoup moins important pour les Français cette semaine". La présidence belge est confrontée à un dilemme. Si elle devait faire des concessions à la France, elle risquerait de perdre le soutien de certains autres Etats membres, ainsi que du Parlement européen, qui a déjà voté en commission sur l'accord du trilogue. Hier soir, les diplomates travaillaient sur un compromis qui semble convenir à l'Italie : étendre la période de calcul du plafond d'importation qui déclenche les droits de douane jusqu'à la mi-2021, mais sans inclure le blé parmi les produits sensibles.
Géoéconomie
Breton fait plier un géant Chinois en Bulgarie - La société chinoise CRRC Qingdao Sifang Locomotive Co. s'est retirée d'un appel d'offres organisé par le ministère bulgare des transports et des communications à la suite d'une enquête approfondie lancée par la Commission en vertu du règlement sur les subventions étrangères. L'appel d'offres porte sur l'achat de 20 trains électriques, ainsi que sur leur maintenance pendant 15 ans. La valeur estimée du contrat est d'environ 610 millions d'euros. CRRC Corporation Limited, le plus grand fabricant de matériel roulant au monde en termes de chiffre d'affaires, avait présenté une offre nettement inférieure, ce qui a fait naître des soupçons de subventions publiques faussant la concurrence au détriment des entreprises européennes. "En quelques semaines seulement, notre première enquête au titre du règlement sur les subventions étrangères a déjà donné des résultats", a déclaré le commissaire Thierry Breton. “Notre marché unique est ouvert aux entreprises qui sont réellement compétitives et équitables. Nous continuerons à prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la sécurité économique et la compétitivité de l'Europe avec détermination et rapidité", a-t-il ajouté.
Élections européennes
La DSA en action pour protéger l'intégrité des élections - La Commission a publié hier ses recommandations aux grandes plateformes pour atténuer les risques systémiques en ligne pour l'intégrité des élections en vertu de la loi sur les services numériques. Des lignes directrices spécifiques sont édictées pour l’élection du Parlement européen du 6 au 9 juin. Elles appellent au renforcement des processus internes des plateformes, avec la création d'équipes dotées de ressources adéquates pour atténuer les risques. Les plateformes sont invitées à promouvoir l'information officielle, à mettre en œuvre des initiatives d'éducation aux médias et à adapter leurs systèmes de recommandation afin de réduire la viralité des contenus qui menacent l'intégrité des processus électoraux. La Commission demande également des mesures spécifiques pour l'intelligence artificielle afin de contrer l'utilisation de deep fakes. Les plateformes devraient mettre en place un mécanisme de réponse aux incidents en période électorale. À la fin du mois d'avril, la Commission organisera un test de résistance sur la capacité des plateformes à réagir. “Les élections pour le Parlement européen sont particulièrement vulnérables", nous a dit une source de la Commission. Les ressources des plateformes seront particulièrement sollicitées car les électeurs de vingt-sept pays sont appelés à voter. Les plateformes qui ne font pas tout ce qui est nécessaire pour atténuer les risques s'exposent à des amendes pouvant aller jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial ou à des amendes journalières pouvant aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires mondial.
Chaises musicales
Borrell garantit un parachute à l'équipe de Michel - Le scoop vient de Politico.eu. Le Haut Représentant Josep Borrell et la Commission s'apprêtent à procéder à une série de nominations d'ambassadeurs de l'UE auprès des pays tiers et du Service européen pour l'action extérieure. Parmi les noms qui devraient être approuvés aujourd'hui par le collège des commissaires figurent ceux des deux plus proches collaborateurs du président du Conseil européen, Charles Michel. Le chef de cabinet, Frédéric Bernard, devrait être nommé ambassadeur de l'UE au Canada. Le conseiller diplomatique, Simon Mordue, devrait devenir secrétaire général adjoint du Service européen pour l'action extérieure. Le parachutage consiste à nommer des membres du cabinet et des conseillers à des postes de haut niveau au sein de l'appareil administratif de l'UE.
État de droit
Un nouveau scandale frappe Viktor Orban - Après celui de la grâce accordée à un pédophile, un nouveau scandale frappe le Premier ministre hongrois Viktor Orban, et nourrit l’espoir pour l’opposition d'une crise au sein de son régime. Peter Magyar, l'ex-mari de l'ancienne ministre de la justice Judit Varga, a publié hier un enregistrement embarrassant à la fois pour son ex-femme et pour M. Orban lui-même. Dans cet enregistrement, Judit Varga révèle que certains membres du gouvernement Orban ont poussé les procureurs à supprimer des preuves dans des affaires de corruption liées au gouvernement. "Ils ont suggéré aux procureurs ce qui devait être supprimé", a déclaré Mme Varga. Peter Magyar a remis l'enregistrement au procureur général. Dans un message publié sur Facebook, Mme Varga a réagi en accusant son ex-mari de violences domestiques et d'avoir fait des déclarations incriminantes sous l'effet de l'intimidation. M. Magyar faisait autrefois partie du cercle politique d'Orban et avait été récompensé par un certain nombre de postes dans des entreprises publiques. Dans une interview accordée en février, M. Magyar a accusé le gouvernement Orban de corruption généralisée et d'utiliser des campagnes de diffamation pour discréditer ses opposants. Le scandale de la grâce accordée à un pédophile a contraint M. Orban à pousser à la démission l'ancienne présidente Catherine Novak et l'ancienne ministre de la justice Judit Varga, toutes deux considérées comme des figures de proue du Fidesz, le parti de Viktor Orban.
Ce qui se passe aujourd'hui
Commission : conférence de presse des commissaires Schinas et Ivanova sur le paquet enseignement supérieur
Commission : réunion hebdomadaire du Collège des Commissaires
Commission : intervention de la commissaire Kyriakides à la Conférence de haut niveau sur l'avenir de l'Union de la santé
Banque centrale européenne : discours de Philip Lane au Trinity College
Banque centrale européenne : discours de Piero Cipollone à la Maison de l'Euro à Bruxelles
Conseil : réunion du Coreper I et II
Conseil : réunion du Comité politique et de sécurité
Eurostat : données sur la population migrante au 1er janvier 2023 ; données sur le coût de la main-d'œuvre en 2023