Un sommet militaire pour l’UE
Bonjour! Je suis Christian Spillmann et avec David Carretta nous vous proposons la Matinale Européenne, un instrument pour offrir une analyse, un contexte et une perspective à ceux qui s'intéressent à l'UE.
Un sommet militaire pour l’UE
L’aide militaire de l’UE à l'Ukraine est insuffisante et ne permet pas aux forces ukrainiennes de retourner la situation en leur faveur lors des engagements contre les troupes russes. Le sommet extraordinaire convoqué le 1er février à Bruxelles doit permettre un tournant avec un accord sur l’octroi d’une aide macro-financière de 50 milliards d’euros pour les quatre prochaines années et la décision de fournir à Kiev les avions et les missiles à longue portée nécessaires pour détruire les capacités militaires russes en Crimée, territoire ukrainien annexé par Moscou en 2014.
La guerre d’invasion déclenchée par la Russie en février 2022 entre dans sa 3e année. L’Ukraine a résisté, mais sa contre-offensive de l’été 2023 a échoué, faute de soutien aérien. Les Européens et les Américains ont beaucoup promis, mais n’ont pas tout livré et se refusent encore à fournir certaines des armes réclamées par les Ukrainiens.
L’Europe s’était engagée à fournir 1 million d’obus de 155 mm et de missiles pour la fin de l’année 2023. Elle en a péniblement livré 300.000 et 3.300 missiles . Selon le porte-parole du Service européen pour l'action extérieure, vingt autres contrats ont été signés pour 180 000 munitions. D'ici la fin du mois de mars, l'UE ne fournira probablement que la moitié du million de munitions promis. La capacité de production est insuffisante et désordonnée. La France ne pourra pas produire plus de 20.000 obus en 2024, a révélé la Direction des armements. En outre, trop de pays produisent des armements similaires mais pas toujours compatibles. Les munitions fournies ne sont pas utilisables par tous les canons. Les artilleurs ukrainiens se lamentent car ils ne peuvent appuyer les fantassins.
Olaf Scholz a réclamé un “aperçu précis des contributions des Etats membres” lors du sommet extraordinaire le 1er février. ”C’est une question juste. Il y a un véritable problème en termes de soutien militaire”, a reconnu un responsable européen. Le gouvernement allemand a décidé de doubler son assistance militaire à l’Ukraine pour la porter à 8 milliards d’euros en 2024. Mais la contribution de l'Allemagne "ne suffira pas à elle seule à garantir la sécurité de l'Ukraine à long terme", s’est plaint le chancelier. Les livraisons d'armes décidées par la majorité des États membres de l'UE “sont trop faibles", a-t-il dénoncé.
En ouvrant ainsi le “blame game” dans les média, Olaf Scholz prête le flanc à deux critiques: Pourquoi l’Allemagne refuse-t-elle le livrer les missiles furtifs à longue portée Taurus réclamés par l’Ukraine depuis des mois, car avec leurs double charge, ils sont l’arme capables de détruire le pont de Kertch reliant la Crimée à la Russie en perforant son tablier de béton pour frapper les piliers ?Volodymyr Zelensky réclame ces missiles pour isoler la péninsule et dégrader les capacités militaires utilisées pour mener des attaques contre le territoire ukrainien. “La Russie doit savoir que pour nous, la Crimée est un objectif militaire”, a-t-il déclaré dans un entretien à l’hebdomadaire The Economist.
La France et le Royaume-Uni ont fourni des missiles Scalp et Storm Shadow, des armes capables de frapper dans les territoires profonds. Les Ukrainiens en ont obtenu entre 250 et 400 et en ont tiré la moitié, infligeant des pertes sévères aux forces russes. Moscou a été contraint de replier sa flotte de guerre dans des eaux mieux protégées. Mais le pont de Kertch est toujours debout.
Le second reproche fait à l’Allemagne est de vouloir briser la solidarité européenne vis-à -vis de l’Ukraine en coulant la Facilité Européenne pour la Paix (FEP), utilisée pour rembourser les armements sortis des arsenaux des pays. L’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne couvrent 66% des financements de cet instrument. Mais Berlin refuse de continuer en Européen et joue la carte de l’aide bilatérale, plus visible. Quel besoin les dirigeants européens ont-ils de se déchirer à un moment difficile pour l’Ukraine, alors que le soutien américain vacille ?
“Sommes nous prêts à faire ce qu’il faut pour que Poutine perde cette guerre ? ”, a demandé le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell dans une réflexion sur l’Etat de l’UE publié par le Grand Continent. “Il ne faut pas sous-estimer nos adversaires. La Russie est encore capable de mobiliser des troupes en grand nombre malgré des pertes très élevées (...) et Poutine est toujours disposé à laisser des milliers de Russes mourir pour conquérir Kiev”, a-t-il rappelé. “Il ne va pas chercher un apaisement avant les élections américaines dont il espère un résultat favorable pour ses projets impérialistes. La guerre de haute intensité va continuer et nous devons nous y préparer”.
La citation
"C'est le comble. Pour une fois que Charles Michel laisse libre une chaise, tout le monde s'en plaint".
Un fonctionnaire européen anonyme.
Géopolitique
La France à Kiev les mains vides - Déplacement difficile pour le nouveau ministre des Affaires étrangères français Stephane Séjourné, arrivé samedi les mains vides à Kiev au lendemain des annonces mirobolantes faites par le Premier ministre britannique Rishi Sunak lors de sa visite. “Nous entrons dans une phase nouvelle de la coopération de défense”, a-t-il déclaré à l’issue des ses rencontres avec son homologue Dmytro Kouleba et avec le président Zelensky. La France a pour objectif de “renforcer la capacité de l’Ukraine de produire sur son sol” les armes dont elle a besoin, a-t-il précisé. La France a fourni à l’Ukraine de l’artillerie, notamment les canons Caesar, des systèmes de défense anti-aérienne et des missiles furtifs à longue portée Scalp utilisés pour frapper en profondeur des objectifs derrière les lignes de combat. Depuis le début de la guerre, l’aide militaire française est estimée à 3,2 milliards d’euros, selon un rapport parlementaire publié en novembre 2023. En comparaison, le paquet d’aide militaire annoncé vendredi à Kiev par le Premier ministre britannique se chiffre à 2,9 milliards d’euros pour la période 2024-2025 et comprend des missiles à longue portée, de la défense aérienne et des drones, trois des armes réclamées avec insistance par Kiev . "Nous nous tiendrons aux côtés de l'Ukraine dans les heures les plus sombres comme dans les temps meilleurs à venir", a assuré Rishi Sunak.
Le dilemme de l'UE après la victoire des démocrates à Taïwan - Les électeurs taïwanais ont infligé une double défaite à la Chine de Xi Jinping, en choisissant le candidat du Parti démocrate progressiste, Lai Ching-te, comme nouveau président avec 40 % des voix. Les Taïwanais ont prouvé une fois de plus que la démocratie fonctionne aussi pour les Chinois et ont élu le candidat contre lequel Pékin avait mené une campagne d'influence sans précédent, y compris en menaçant implicitement d'attaquer l'île. La victoire de Lai place l'Union européenne devant un dilemme. Maintenir le statu quo dans ses relations avec Taïwan pour tenter de préserver le statu quo dans le Détroit ? Ou chercher à se rapprocher pour des raisons économiques et stratégiques ? Le Parlement européen s'est exprimé en décembre, appelant au lancement de négociations sur un accord "formel" de commerce et d'investissement avec Taïwan. La Commission, tout en reconnaissant le rôle stratégique de Taïwan pour les chaînes d'approvisionnement, s'est montrée beaucoup plus prudente. Le président français, Emmanuel Macron, après un voyage à Pékin en avril dernier, avait clairement indiqué sa préférence. Sur Taïwan, l'Europe ne doit pas "se laisser entraîner dans des crises qui ne sont pas les nôtres".
Xi dit à De Croo qu'il veut des "ponts" avec l'Europe - Le président chinois Xi Jinping a déclaré qu'il voulait construire "des ponts" entre la Chine et l'Union européenne, lors d'une visite samedi à Pékin d'Alexander De Croo, le premier ministre de la Belgique, qui occupe la présidence tournante du Conseil de l'UE. “Face à la situation internationale turbulente, il est nécessaire de construire davantage de 'ponts' entre la Chine et l'Europe", a déclaré M. Xi, selon le compte-rendu de la réunion par les médias de Pékin. "Les deux parties devraient coopérer plus étroitement pour promouvoir une multipolarisation mondiale juste et ordonnée et une mondialisation économique inclusive", a déclaré M. Xi, espérant "que la Belgique, qui assure la présidence tournante de l'UE, jouera un rôle actif à cet égard". L'exercice pour M. De Croo était délicat. Le premier ministre belge n'avait pas de mandat pour parler au nom de l'UE. La justice belge vient d'ouvrir une enquête sur une opération d'influence de la Chine dans ses institutions démocratiques et dans celles de l'Europe. Le premier ministre belge avait également une priorité nationale : la levée de l'embargo imposé par Pékin sur la viande de porc belge.
Une mission navale de l'UE en mer Rouge - Cette semaine, le Service européen pour l'action extérieure pourrait finaliser les travaux devant permettre à l'UE d'annoncer le lancement d'une nouvelle opération navale en mer Rouge lors du Conseil des affaires étrangères du 22 janvier. L'objectif est de rétablir la sécurité et la liberté de navigation dans la région, alors que les Houthis continuent d'attaquer les cargos et les pétroliers en provenance du Yémen. La semaine dernière, les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé des attaques directes contre des cibles houthies en réponse à des missiles et des drones en mer Rouge. Seuls trois États membres de l'UE - l'Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark - ont signé une déclaration commune pour soutenir ces attaques. Parmi les grands pays, c'est l'Allemagne qui milite le plus en faveur de la mission de l'UE. L'Espagne, quant à elle, a déjà annoncé qu'elle n'y participerait pas. Un document du SEAE prévoit d'envoyer "au moins trois destroyers ou frégates antiaériens dotés d'une capacité multi-missions pendant au moins un an". Les ambassadeurs du Comité politique et de sécurité discuteront de la mission demain.
Davos
Von der Leyen et Macron à la grand-messe de Davos - Cette semaine, l'actualité européenne sera également tournée vers la Suisse, où débute aujourd'hui la grand-messe du Forum économique mondial de Davos (WEF). La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, prononcera son discours devant l'assemblée plénière demain. L'exécutif européen participera en masse à cette édition avec 10 commissaires en mission à Davos. 2024 est l'année du retour d'Emmanuel Macron, qui n'avait assisté physiquement au forum qu'une seule fois (2018) depuis son élection à l'Élysée (en 2021, il avait assisté au WEF organisé virtuellement à cause de Covid). Le président français s'exprimera mercredi, le même jour que le nouveau dirigeant argentin, Javier Milei, et le premier ministre chinois, Li Quiang.
Zelensky à Davos avec sa “Formule de paix” - Le président du WEF, Børge Brende, a également confirmé la participation du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui tente de remobiliser la communauté occidentale confrontée à la "fatigue" de la guerre russe. Hier, la quatrième réunion des conseillers à la sécurité nationale sur la "formule de paix" promue par Zelensky s'est tenue à Davos, en présence de 83 délégations. Le grand absent était la Chine. Selon le conseiller fédéral suisse Ignazio Cassis, qui a présidé la réunion, Pékin doit "jouer un rôle important" pour mettre fin à la guerre de la Russie. "Nous devons trouver des moyens de travailler avec la Chine sur ce sujet", a déclaré M. Cassis. Les réunions précédentes ont eu lieu à Copenhague (juin 2023), à Djeddah (août) et à Malte (octobre).
Euro
Le diagnostic de Draghi en attendant le remède - Après l'annonce du départ anticipé de Charles Michel, c'est l'homme qui est sur toutes les lèvres : Mario Draghi sera-t-il choisi comme prochain président du Conseil européen ? Il faudra attendre longtemps avant de le savoir. En attendant, Draghi a participé vendredi à un séminaire de la Commission d'Ursula von der Leyen. L'ancien président de la BCE et ancien premier ministre italien, qui a été chargé de rédiger un rapport sur l'avenir de la compétitivité européenne, a souligné que depuis 2016, une série de faits nouveaux et pertinents pour l'Europe se sont produits dans les domaines les plus divers : de l'élection de Donald Trump à la transition verte, en passant par l'avènement de l'intelligence artificielle. Dans ce contexte, l'économie européenne s'est progressivement affaiblie, perdant son élan et cédant sa centralité dans les chaînes d'approvisionnement, au profit d'autres pays comme les États-Unis et la Chine. La guerre en Ukraine n'a fait que confirmer la fragilité du Vieux Continent, non seulement d'un point de vue économique, mais aussi en termes géopolitique. Selon M. Draghi, il est nécessaire de "définir une feuille de route large et détaillée, qui identifie clairement les priorités, les lignes d'action et les politiques à mettre en œuvre dans les différents secteurs". Le diagnostic est clair. Le remède de Draghi viendra avec son rapport. Mais les solutions doivent être "incisives et ambitieuses".
L'Eurogroupe demande des explications à l'Italie sur le MES - Les ministres des finances de la zone euro demanderont aujourd'hui à leur collègue italien, Giancarlo Giorgetti, "son explication et son interprétation de la situation après le vote négatif du parlement italien" sur la ratification du nouveau traité sur le Mécanisme européen de stabilité (MES). Le rejet de la ratification a été "une déception", nous a dit une source de l'Eurogroupe. Pour le moment, “il n'y a pas de raison de s'alarmer”, car la situation sur les marchés des banques de la zone euro “est très calme”. Toutefois, l'Eurogroupe aurait espéré "célébrer le nouveau renforcement" des instruments de protection de la zone euro. "Il est trop tôt pour tirer des conclusions", mais une "discussion sur la marche à suivre dans les mois à venir" doit commencer, a expliqué la source : "Nous avions un plan A. La grande question est de savoir si nous conservons le plan A ou si nous nous lançons dans un plan B”. L'Eurogroupe attend de M. Giorgetti "qu'il explique pourquoi cela s'est produit et quelle est la probabilité que cela change à l'avenir. Ce sera la base de l'évaluation que nous devrons faire pour l'avenir", a conclu la source.
L'Ecofin confirme la politique budgétaire restrictive - Les ministres des finances discuteront aujourd'hui au sein de l'Eurogroupe et approuveront demain au sein de l'Ecofin la recommandation de politique économique pour la zone euro en 2024, confirmant la ligne d'austérité adoptée l'année dernière après les mesures expansionnistes en réponse à la pandémie et à la crise de l'énergie. La version originale du document présenté par la Commission sera largement confirmée par l'Ecofin. Les États membres seront invités à adopter des politiques budgétaires "prudentes" pour mettre la dette sur une trajectoire descendante. La zone euro devra "mener une politique budgétaire globalement restrictive" et "faciliter un retour rapide de l'inflation à l'objectif de 2 %". "Il y a un large consensus sur la nécessité de maintenir des politiques budgétaires restrictives à la fois pour l'inflation et la viabilité de la dette", a expliqué notre source de l'Eurogroupe. Toutefois, "l'accent sera également mis sur la nécessité de faire preuve d'agilité". Les gouvernements devront se tenir "prêts à changer de politique fiscale si nécessaire", a déclaré notre source.
Ce qui se passe aujourd'hui
Eurogroupe
Présidence belge de l'UE : réunion informelle des ministres de l'environnement
Parlement européen : commémoration de Jacques Delors
Parlement européen : séance plénière à Strasbourg (débats sur les émissions de gaz ; la régulation des instruments financiers ; le mandat de l'Autorité européenne du travail ; les droits sociaux dans les marchés publics)
Commission : la présidente von der Leyen et les commissaires Dombrovskis, Šefčovič, Jourová, Šuica, Gentiloni, Kyriakides, Simson, Ivanova et Hoekstra à Davos pour le Forum économique mondial (jusqu'au vendredi 19 janvier)
Service européen pour l'action extérieure : le haut représentant Borrell au Guatemala
Commission : le vice-président Sefcovic reçoit le collège de l'autorité de surveillance de l'AELE
Commission: le vice-président Schinas se rend au Kazakhstan et au Kirghizistan
Parlement européen : réunion du Bureau
Eurostat : production industrielle en novembre ; commerce international de marchandises en novembre
Otan: le secrétaire général Stoltenberg à Davos pour le Forum économique mondial (jusqu'au mercredi 17 janvier)